Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les membres de la Commission des affaires culturelles,
Nous nous permettons de commenter ci-dessous les principaux amendements déposés par le Gouvernement en regrettant tout d’abord le peu de temps dont nous disposons pour analyser ces propositions, pourtant essentielles.
– Amendement AC307 : il étend les exceptions à l’inconstructibilité des domaines nationaux aux bâtiments nécessaires « à leur valorisation ». Ce terme, bien connu des associations, permettra d’y implanter tout type de bâtiment. Ce même mot avait d’ailleurs été utilisé pour justifier l’implantation du complexe et des stades de Roland Garros sur des terrains classés à Versailles, projet écarté in extremis. L’argument de l’impossibilité de construire « une boutique destinée aux visiteurs » est fallacieux puisque celles-ci sont « nécessaire à la visite par le public » des domaines nationaux (restauration, vente de catalogues et de souvenirs), exception déjà prévue par le texte. Les domaines nationaux ne manquent au demeurant pas de bâtiments existants à reconvertir...
– Amendement AC310 : il remet en partie en cause l’inaliénabilité des domaines nationaux. Il suffit pour cela de transférer certaines de leurs dépendances à des collectivités locales, qui ne sont pas tenues par la condition d’inaliénabilité (réservée à l’État ou aux établissements publics de l’État selon l’article L 621-36). Les précédents existent. Il faudrait écrire « peuvent être cédées à une personne publique de l’État ».
Ces amendements montrent que les domaines nationaux persistent à être considérés comme des réserves foncières alors qu’ils seront, en particulier dans le cadre du Grand Paris, des poumons nécessaires à la respiration d’une ville densifiée.
– Amendement AC288 : s’agissant de l’aliénation des biens classés de l’État, les « observations du ministre chargé de la culture » ont montré leur caractère très aléatoire, faute d’être éclairées par une institution spécialisée (autorisation d’aliéner la surintendance des Bâtiments à Versailles, le Pavillon de La Muette construit par A.-J. Gabriel...). Il faudrait, à tout le moins, préciser que l’avis du ministre est « rendu après avis de la commission nationale du patrimoine et de l’architecture ».
– Amendement AC261 : s’agissant des éoliennes, il est impératif de rectifier une coquille de la rédaction proposée : les critères de visibilité et de co-visibilité n’ont jamais été, depuis qu’ils existent (1943), cumulatifs mais alternatifs. Il faut donc écrire « sont visibles depuis un immeuble classé ou inscrit au titre des monuments historiques ou visibles en même temps que lui ». Le contraire n’aurait aucun sens et rendrait le texte inapplicable. En outre, il est important de rendre son rôle en la matière à l’ABF, seul véritable connaisseur du dossier, la commission régionale n’intervenant, conformément au droit commun, qu’à partir de cette première analyse.
– Amendement AC286 : rétablir le principe selon lequel le « silence de l’administration vaut acceptation » dans la procédure de recours administratif contre l’avis de l’ABF est particulièrement grave. En effet, il s’agit généralement de dossiers à forts enjeux patrimoniaux et économiques. L’invalidation de l’avis de l’ABF par l’écoulement du temps aboutit à déresponsabiliser le préfet de Région et à rendre sa décision (aux conséquences irréversibles) peu compréhensible. En outre, le nombre très faible des recours, « 100 sur 400.000 avis » selon l’étude d’impact du projet (2.3.5.1), n’est pas de nature à remettre en cause l’objectif d’accélération des procédures administratives.
– Amendement AC299 : rejeter la possibilité de compléter au fil de l’eau la protection des intérieurs en secteur sauvegardé est particulièrement grave. Cette disposition, demandée par les associations, répond en effet à un constat, celui de la disparition accélérée des décors intérieurs des secteurs sauvegardés (escaliers, cheminées, boiseries, stucs...), y compris dans le cadre d’opérations « Malraux ». Le texte, sanctionné pénalement, permettant la visite des logements au moment de l’élaboration du Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) est inappliqué (Bourges, Saint-Germain-en-Laye...) et souvent inapplicable à grande échelle. C’est au moment de la vente des immeubles ou lors de travaux d’envergure que ce repérage peut surtout être fait, en s’appuyant sur les propriétaires soucieux du devenir de leurs habitations. Les associations nationales ont proposé de solliciter leurs membres à ce propos.
Le Gouvernement explique que le texte du Sénat ne serait « pas applicable » puisque « les annexes d’un document d’urbanisme telles que les "fiches immeubles" d’un PSMV ne sont pas opposables contrairement au règlement, lequel ne peut être modifié ou révisé sans enquête publique ». Or, le Sénat propose précisément de donner une valeur réglementaire aux « fiches immeubles » décrivant les intérieurs en permettant leur annexion au PSMV. Une modification du PSMV avec enquête publique n’est alors pas nécessaire puisque cette possibilité porte exclusivement sur les immeubles déjà classés comme « à conserver » (souvent sans plus de précision) dans le PSMV. La possibilité de donner une publicité à ces protections n’est pas essentielle et suppose d’ailleurs l’accord des propriétaires.
Repousser cet amendement conduirait à se priver d’un instrument fructueux de collaboration réunissant habitants, ABF et associations. Il y a urgence à prendre des mesures en la matière avant qu’il ne soit trop tard.
– Amendement AC297 : le fait pour le Sénat de maintenir les dispositions actuelles du code du patrimoine prévoyant, dans les secteurs sauvegardés, que le Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) est « élaboré conjointement par l’État et l’autorité compétente en matière d’urbanisme » n’appartient pas aux dispositions pouvant être rendues facultatives. Il s’agit, en effet, dans le cadre du maintien d’une politique nationale du patrimoine, de s’assurer de ce que les PSMV sont bien « co-construits » par les collectivités et l’État et pas simplement validés a posteriori par celui-ci. Les secteurs sauvegardés, ensembles urbains emblématiques, justifient le maintien de cette disposition.
Nous tenons enfin à vous dire la lassitude des associations tant certaines des observations ci-dessus nous semblent tomber sous le sens : le patrimoine ne devrait pas être un sujet de querelles politiques ou la variable d’ajustement des politiques d’aménagement, mais un facteur de cohésion.
Julien Lacaze, vice-président de la SPPEF