Nouvelles menaces sur la place de la Concorde

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La transformation de la place de la Concorde à la sauce Anne Hidalgo est en marche ! C’est-à-dire, en réalité, la pérennisation du massacre régulier auquel cette place entièrement classée monument historique est soumise de la part de la mairie de Paris (voir nos articles). Le Conseil du VIIIe arrondissement, lundi 22 janvier, puis le Conseil de Paris deux semaines plus tard vont devoir se pencher prochainement sur cette question.


1. Patrimoine historique de la place de la Concorde dévalorisée
par la circulation automobile... (22 septembre 2021)
Photo : Didier Rykner
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Vous pouvez télécharger ici le texte de présentation du projet et les résolutions que les conseillers de Paris doivent voter. Anne Hidalgo leur demande, ni plus ni moins, de lui donner un blanc-seing pour réaliser ses funestes projets. La description, toute sommaire qu’elle soit, laisse en effet déjà entrevoir à quel point ce projet sera désastreux.
Ses motifs sont, en résumé, les suivants :

 la place de la Concorde est « un des pires ilots de chaleur de la capitale » : il faut donc « rafraichir la place et favoriser les continuités écologiques ».
 la place de la Concorde est « entièrement consacrée à l’automobile » : il faut donc « pacifier et apaiser la plus grande place parisienne, en facilitant sa traversée et privilégiant les mobilités actives » ;
 la place de la Concorde est « un vaste espace minéral » : il faut donc « renouer avec le patrimoine végétal, l’histoire de la place et ses perspectives emblématiques »

Il faut par ailleurs :

 « préserver la vocation d’espace de rassemblement de la Concorde »,
 « offrir une nouvelle expérience et de nouveaux usages ».

On comprend donc bien quelle est la volonté de la mairie de Paris. Transformer la place de la Concorde comme elle l’est déjà une partie de l’année, en espace dédié à l’événementiel, confondant ainsi ce monument historique avec un champ de foire et un stade. C’est l’objectif clairement affiché dans ce document de cinq pages : après les Jeux Olympiques, « des installations légères sur l’espace libéré [de la circulation automobile] pourraient ainsi accueillir dans un juste équilibre, une alternance de grands événements, de manifestations culturelles et sportives ». Il suffit de se promener en ce moment pour avoir un avant-goût de ce qui nous attend (voir l’article).


2. Patrimoine historique de la place de la Concorde dévalorisée
par la circulation automobile... (24 mai 2022)
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Cette volonté, incompatible avec la conservation et le respect des lieux, est justifiée par des arguments irrecevables. L’envahissement par les voitures tout d’abord. On sait que la circulation automobile est la bête noire d’Anne Hidalgo. Mais si la réduction de la place de l’automobile à Paris est un objectif souhaitable, celui-ci doit se faire de manière raisonnée et concertée, afin de permettre à la ville de tenir son rang de capitale économique du pays. Ceci est pourtant assez simple à réaliser à la Concorde, sans trop de problème : les voies sont si larges qu’il est tout-à-fait possible de les réduire de moitié sans empêcher la circulation de se faire. Mais certainement pas en la cantonnant à la moitié de la place, comme la mairie de Paris l’imagine. Une place comme la Concorde, avec son terre plein central où se trouvent l’obélisque et les fontaines, est faite pour que la circulation y soit giratoire. C’est ne rien comprendre à l’urbanisme que de vouloir la couper en deux, comme cela a d’ailleurs été fait à la Bastille avec les résultats que l’on connaît.


3. Patrimoine historique de la place de la Concorde dévalorisée
par la circulation automobile... (24 mai 2022)
Photo : Didier Rykner
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L’argument de l’îlot de chaleur et des 50° de températures que pourrait atteindre la météo parisienne dans quelques dizaines d’années n’est pas moins absurde. On ne sauvera pas la planète en « végétalisant » la place de la Concorde. Celle-ci est minérale, et elle doit le rester. Si une canicule s’installe pendant quelques jours en été, il suffira pour ceux qui craignent les températures élevées de ne pas venir place de la Concorde pendant cette période (oui, nous avons parfois des idées de génie…). C’est le document de la mairie qui le rappelle : « la Place a peu évolué dans sa géométrie et sa minéralité » depuis la transformation par Hittorff après 1844, quand celui-ci a comblé les fossés qui existaient auparavant. C’est bien cet état qui est classée monument historique. Il est faux d’écrire que « l’état Gabriel, qui s’est accompagné de l’aménagement de parterres végétalisés en complément des fossés, et l’état « Hittorff 1 » de 1836, constitu[e]nt un état de référence au regard du mobilier et de la statuaire apparus lors de ce réaménagement (fontaines, colonnes rostrales, etc.) ». L’état de référence est bien celui d’Hittorff des années 1840. Les fossés, qui comprenaient de la végétation, ont disparu depuis près de deux siècles, et ne peuvent être reconstitués en raison de l’occupation du sous-sol, notamment par le métro.
On voit bien ce qu’Anne Hidalgo a en tête : « végétaliser » l’emplacement des anciens fossés (c’est à dire tout le tour de la place), mais en surface, puisqu’il est désormais impossible de les creuser. Ces serait l’invention d’un état qui n’a jamais existé, une négation de l’état Hittorff, mais surtout une catastrophe quand on sait comment la municipalité mène les projets de « végétalisation », dans Paris.


4. Patrimoine historique de la place de la Concorde dévalorisée
par la circulation automobile... (10 janvier 2024)
Photo : Didier Rykner
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Quand la mairie écrit que « le patrimoine historique de la place n’est pas valorisé », on se dit qu’elle ose vraiment tout. Car ce qui dévalorise le patrimoine historique, c’est bien elle, qui ne l’entretient pas, qui le laisse dans un état désastreux, qui le défigure avec des baraquements et des aménagements temporaires hideux (ill. 1 à 4) et qui n’a consenti à restaurer les fontaines et quelques-unes des sculptures que sous la pression des Parisiens et notamment de la pétition qu’avait lancé l’infatigable Baptiste Gianeselli (voir cet article). Ce qui dévalorise le patrimoine historique aujourd’hui, et ce qui le dévalorisera demain, ce sont les permanentes occupations de la place pour tel ou tel événement sportif, telle ou telle fan zone, tel ou tel salon professionnel ou de l’emploi…

Oui, la place de la Concorde doit être restaurée, mais certainement pas avec une « évolution paysagère » qui passerait par « des surfaces en pleine terre et des plantations » contraires à son histoire. Celle-ci a très peu changé depuis son dernier réaménagement par Hittorff. C’est cet état historique qui doit être restauré. Cela n’empêche pas de limiter la place de la circulation automobile, en la réduisant de part et d’autre de l’obélisque. Pour cela, un architecte du patrimoine et un comité scientifique suffisent. Il n’y a nul besoin d’une « concertation organisée pour le grand public » dont on sait d’ailleurs déjà que, comme à son habitude, la mairie ne tiendra absolument pas compte sauf si elle va dans son sens. Il n’y a pas davantage besoin d’une « équipe pluridisciplinaire de maîtrise d’œuvre ». Le budget de 36 millions d’euros doit uniquement servir à restaurer la place.

Évidemment, et Anne Hidalgo le sait parfaitement, tous ce projet d’aménagement devra être approuvé par le ministère de la Culture en raison du classement de la place. Et c’est sur un dossier comme celui-ci que nous attendons de voir ce que fera Rachida Dati. Non pour s’opposer politiquement à la maire de Paris, mais pour faire le travail que l’on espère d’un ministre de la Culture, et dont Paris a été privé depuis des années. La nouvelle ministre est aussi, nul ne l’ignore, candidate à la mairie de Paris. Il est donc d’autant plus normal qu’elle soit attentive à ce que la ville qu’elle ambitionne de diriger ne soit pas vandalisée.

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