- Le n° 13, rue du Château à Alençon
Photo : Jean-David Desforges - Voir l´image dans sa page
Nous avons reçu, après la parution de notre article sur les démolitions qui menacent à Alençon, une réponse de la Direction Régoinale des Affaires Culturelles de Normandie. Celle-ci mérite d’être citée entièrement, avec nos commentaires, car elle est particulièrement révélatrice.
« Pour répondre à vos questions, il convient de préciser que l’arrêté de péril imminent a été pris par le maire bien avant le confinement, suite à une procédure engagée de longue date, dans le cadre d’une OPAH-RU, pour faire face à l’abandon des lieux par les propriétaires. »
C’est exact, ce que nous avons d’ailleurs précisé dans notre article : .
« L’arrêté de péril a été transmis à l’ABF, accompagné du rapport de l’expert, le 18 février 2020. Un rapport complémentaire, plus précis, est venu le compléter le 25 février 2020, préconisant non pas une démolition complète, mais une démolition des éléments trop instables afin de faire cesser le péril imminent.
Cette démolition épargnera les façades et le bâtiment en second rang, dont l’architecture semble plus ancienne et moins précaire que celle du bâtiment très peu profond dont la façade donne sur la rue. Ce dernier n’est d’ailleurs probablement pas médiéval mais plus tardif. »
Donc, la DRAC confirme que le rapport d’expertise ne préconise pas une démolition complète, et que les maisons ne doivent pas être démolies.
« Après examen de ce second envoi, il a été demandé, lors d’un nouvel échange avec les services de la collectivité, que cette dépose des éléments instables soit réalisée avec beaucoup de précaution afin de sauvegarder ce qui peut être restauré et en documentant très précisément les interventions réalisées. »
Voilà qui est important : les travaux ne peuvent donc se faire n’importe comment, et à la va-vite.
« Il convient de préciser qu’au moins deux porteurs de projets ont cherché, il y a plus de cinq ans, à établir des projets de réhabilitation de ces bâtiments. L’ABF en avait d’ailleurs demandé la conservation maximale. Aucun de ces projets n’a pu aboutir en raison du coût de l’opération et de la complexité des volumes. Depuis, le bâti totalement à l’abandon, n’a cessé de se dégrader et d’être vandalisé. »
Voilà encore un constat qu’on ne peut contester. L’abandon de ces bâtiments date d’il y a d’ailleurs plus de cinq ans. Ce qu’on peut contester, en revanche, c’est l’inaction de la DRAC qui se contente, alors que des maisons du Moyen-Âge sont gravement menacées, dans le périmètre d’un monument classé, de constater que rien n’est fait. Nous aurions aimé apprendre qu’en cinq ans, elle avait remué ciel et terre pour protéger ces monuments, inciter les propriétaires ou la commune à les sécuriser et à empêcher leur dégradation. Non. On se contente de « demander la conservation maximale » sans rien d’autre.
« Dans ce contexte, le rapport d’expertise est devenu difficilement contestable. Même une opération de restauration ne pourrait se faire sans sécurisation des lieux, qui présentent actuellement un réel danger. Certaines parties, notamment le petit immeuble donnant du côté de la rue, ne pourront peut-être pas être réhabilitées et continuent à s’abîmer après cette première intervention. C’est pourquoi il a été expressément demandé de documenter très finement les interventions, afin de conserver la capacité de reconstruction à l’identique. »
Là, on ne comprend plus très bien. Si le rapport d’expertise préconise seulement la dépose d’éléments dangereux, et pas la démolition, et si la DRAC demande que celle-ci soit faite « avec beaucoup de précautions afin de sauvegarder ce qui peut être restauré », il n’y a effectivement pas de raison de le contester (et nous ne l’avons pas contesté, nous avons contesté la démolition pure et simple des bâtiments). La suite est tout sauf claire. Si on ne démolit pas, pourquoi demander de documenter afin de « conserver la capacité de reconstruction à l’identique ». Une reconstruction à l’identique après démolition ? Qui peut y croire ?
« A ce jour, ni la DRAC et ni l’UDAP n’ont été informés de la réalisation de cette opération de déconstruction partielle en plein confinement [1]. »
Voilà qui est particulièrement intéressant : la mairie s’apprête donc à « déconstruire partiellement » des maisons médiévales dans le périmètre d’un monument protégé sans avertir la DRAC.
« L’ABF n’a pas donné d’accord à la démolition, aucune demande de permis de démolir n’a par ailleurs été déposée. En revanche, si demande était déposée, l’ABF n’aurait qu’un avis simple à donner en application de la loi LCAP [sic] de 2016. »
Verbalement, pourtant, l’ABF a confirmé à Jean-David Desforges « la démolition totale des 13-15 rue du Château ». Peut-être simplement parce qu’il tenait cela comme acquis, et n’avait aucune velléité pour s’y opposer ? Il reste que selon la DRAC elle-même, qui nous l’écrit, aucune demande de démolition ou de permis de démolir n’a été déposé par la ville.
Quant à l’impossibilité d’un avis conforme de l’ABF pour s’y opposer, elle est hélas exacte - et nous n’avons cessé de la dénoncer - mais sauf erreur de notre part, il ne s’agit pas de la loi CAP (et non LCAP), mais de la loi Elan de 2018 (voir cet article).
« Enfin, la comparaison avec la Maison des Sept Colonnes est totalement disproportionnée, en envergure et en intérêt architectural et patrimonial. »
Certes, et nos photos le démontraient, ces maisons sont beaucoup plus petites, et individuellement ont moins d’intérêt que celle des Sept Colonnes. Mais comment une DRAC ne comprend-elle pas qu’un monument isolé n’est rien si les bâtiments qui l’entourent sont détruits ? La DRAC Normandie a-t-elle entendu parler des abords ? A-t-elle entendu parler des sites patrimoniaux remarquables ? Que cette rue ne soit pas dans un tel secteur dont on sait que la mise en œuvre est complexe et repose sur la bonne volonté des maires ne change rien à ce constat.
Bref, cette histoire d’Alençon résume tout ce que nous ne cessons de dénoncer sur La Tribune de l’Art : l’inaction parfois coupable des services du ministère de la Culture (et notamment de la DRAC Normandie), qui regarde trop souvent sans rien faire ; les abus de pouvoirs de certains maires ; les ravages que la loi Elan va occasionner sur notre patrimoine. Et, d’une manière plus large : le sous-financement chronique du patrimoine. Si nos solutions (taxe de séjour et taxe sur les mises de la Française des Jeux) étaient mises en œuvre, nous aurions le financement nécessaire pour, dans ce genre de cas, sécuriser des monuments avant qu’ils ne deviennent dangereux, en attendant de trouver des solutions viables (et à condition de les chercher vraiment).