Notre-Dame : l’audition de Franck Riester au Sénat

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Franck Riester devant la commission des affaires culturelles du Sénat
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Hier 16 mai, le ministre de la Culture Franck Riester était entendu en audition plénière par la commission des affaires culturelles du Sénat (la vidéo est visible et téléchargeable ici). Hélas, une fois de plus, celui-ci s’est montré bien en deçà de sa fonction. Multipliant les erreurs factuelles et les approximations, se montrant fébrile et très rapidement agressif, il a donné une piètre prestation devant la représentation nationale.

Analysons point par point son intervention.

Un ministre techniquement insuffisant

Vers 11’07”, le ministre explique doctement ce que veut dire « conservation ». Écoutons le : « En matière de patrimoine on appelle conservation la sécurisation et la préservation du bâti, et pas la conservation sur le temps long. »
C’est, évidemment, entièrement faux. Et ce n’est pas seulement nous qui le disons : nous avons interrogé plusieurs spécialistes de la restauration : un architecte du patrimoine, un conservateur des monuments historiques, un architecte des bâtiments de France, un conservateur régional des monuments historiques et un historien de l’architecture. Tous nous ont confirmé que cette définition est fantaisiste [1]. La conservation « en matière de patrimoine », c’est aussi et avant tout les actions qui permettent la préservation du monument justement sur le temps long. Le ministre ne connaît pas la base du travail de ses services. On se demande à quoi servait le directeur général des patrimoines qui était à ses côtés pour le conseiller...

Vers 12’38", Franck Riester, après avoir inventé une nouvelle définition du mot « conservation » crée un nouveau concept en architecture : le transept à trois bras. Il parle en effet des « pignon du transept nord, pignon du transept sud, et pignon du transept ouest » ! Comme nous l’a fait remarquer un ami sur Twitter : il ne manque plus que le transept est, et on peut se passer à la fois des notions de nef et de chœur. Ce serait drôle si en réalité ce n’était pas tragique venant d’un ministre de la Culture car il s’agit tout de même ici de culture générale...

Haro sur la Fondation du Patrimoine

Vers 16’40“, le ministre lance un de ses combats du moment : celui contre la Fondation du patrimoine ! Celle-ci en effet a osé considérer qu’avec déjà 218 millions de promesses de dons elle avait assez fait pour Notre-Dame et qu’elle voulait désormais réorienter les donateurs vers le reste du patrimoine en danger, ce qui est rappelons-le sa mission première. Franck Riester est même allé jusqu’à l’accuser de trahison, selon Le Figaro. C’est très choquant pour de multiples raisons.

D’abord parce que quand quelqu’un vous aide à trouver plus de 200 millions, la première chose à faire serait peut-être de le remercier, pas de le blâmer.
Ensuite parce qu’il ne faudrait pas oublier (mais le ministre n’en a même pas conscience puisqu’il ne l’a jamais reconnu) que cet argent est offert pour réparer les carences graves de l’État, et que s’il fallait trouver encore davantage d’argent, ce serait à l’État lui-même de mettre la main à la poche en tant que propriétaire du monument et parce qu’il est son propre assureur.
Enfin parce que tout le monde a compris, sauf le ministre, que les promesses de dons déjà réunies étaient de toute façon probablement largement suffisantes pour la restauration de Notre-Dame. Si celles-ci ne devaient pas se concrétiser, c’est bien parce que le gouvernement prétend faire voter une loi d’exception dangereuse pour la cathédrale et dont personne ne veut et parce qu’il laisse planer la menace d’un « geste architectural » contemporain.

Ce que l’on a compris également, c’est que Franck Riester et le gouvernement souhaitent que la souscription serve ad vitam aeternam à l’entretien de la cathédrale, ce qui permettrait à l’État de se dégager complètement de cette tâche. Or celle-ci doit rester à sa charge. Jamais dans les termes de la souscription, ni même dans ceux de la loi en préparation, l’entretien sur le long terme n’est inclus, ce qui est d’ailleurs parfaitement normal. Il est évident qu’affecter le surplus éventuel à la restauration d’autres monuments historiques serait bien davantage conforme avec la volonté des donateurs que de remplacer pour toujours l’État dans ses responsabilités envers Notre-Dame.

Pourtant, là encore, Franck Riester s’emporte contre la Fondation du patrimoine ! Dans un échange musclé avec le sénateur Vincent Éblé (à partir de 1 h 25’ 33"), excellent connaisseur, lui, du système français de protection des monuments historiques, il conteste la légitimité des conditions de dons à la Fondation qui prévoit que ceux-ci peuvent être, si la souscription dépasse les besoins, réaffectés à d’autres monuments. Il n’admet pas qu’on puisse « en tout petit dire qu’on peut réaffecter pour autre chose que pour Notre-Dame de Paris, [et qu’on serait] un peu en train de se moquer de nos compatriotes et de trahir la confiance qu’ils ont dans les fondations ». Venant de quelqu’un qui prétend que donner pour la « restauration » de Notre-Dame peut vouloir dire donner pour un « geste architectural », voilà qui est énorme ! C’est d’ailleurs parce que le président de la République et le gouvernement sont ambigus sur ce qu’ils comptent faire de cet argent que la Fondation du patrimoine signale que des donateurs reviennent sur leurs promesses de dons, ce que le ministre feint d’ignorer en affirmant que ce serait contradictoire avec sa décision d’interrompre sa participation à la souscription nationale.

Car quoi qu’il en soit, la possibilité de réaffecter le don à un autre projet voire au fonctionnement de la Fondation si les objectifs du projet sont atteints [2] ne se trouve absolument pas écrit « en tout petit », ce qui fausserait le consentement des donateurs. Il s’agit bien d’une information donnée clairement à tout souscripteur avant qu’il ne procède au règlement. De plus, ceci, n’en déplaise au ministre, est un message parfaitement recevable par tout amoureux du patrimoine !
Nous ne sommes pas de ceux - nous pouvons le lire parfois sur les réseaux sociaux - qui voudraient stigmatiser le ministre parce qu’il ne viendrait pas d’une profession intellectuelle. Ce mépris n’est pas acceptable. Mais de la part de quelqu’un qui a pour métier concessionnaire automobile, fustiger les petites lignes en bas des contrats (ce qui encore une fois n’est pas le cas du site de la Fondation du Patrimoine) est tout de même assez savoureux.

Un projet de loi flou

Vers 25’33”, le ministre reparle à nouveau, comme il l’avait fait devant l’Assemblée nationale, d’un Établissement public industriel et commercial (EPIC) pour celui qui pourrait être créé selon les termes de la loi. Même si, à la fin de l’audience, il explique qu’il pourrait s’agir également d’un Établissement public administratif (EPA), on ne comprend pas cette ambiguïté et le côté éventuellement commercial de cet établissement public : va-t-on vendre, pour compléter la souscription, de petites boules de verre avec des cathédrales sous la neige ?

Parmi les passages les plus amusants figure celui qui se trouve à partir de 27’32” où le ministre rame sévèrement afin d’expliquer quelles pourraient être ou ne pas être les dérogations à la loi. Comme souvent, il proclame qu’il va nous rassurer, ce qui est très inquiétant : « on est en responsabilité politique […] on a envie que les Français se disent […] vous avez été collectivement à la hauteur de ce qu’on attend de vous dans cet exercice là. ». Il reprend une fois de plus l’exemple des fouilles qu’il voudrait absolument confier à l’INRAP. On ne comprend pas cette obstination : si le mieux disant est l’INRAP, les procédures permettront sans difficulté de le choisir.
Dans les dérogations qui ne seront pas accordées, il confirme qu’aucun déchet ne sera jeté dans la Seine comme si quelqu’un avait des doutes à ce sujet ! Tout juste si, pour rassurer les sénateurs, il n’allait pas promettre qu’on ne ferait pas travailler des enfants...

À 32´50” le ministre revient une fois de plus sur la charte de Venise à laquelle il n’a toujours rien compris (voir cet article). À ceux qui penseraient que cette charte ne nous engagerait pas, nous renverrons à cette page du site du ministère de la Culture, qui explique que la charte de Venise « constitue le cadre international de toute intervention de conservation-restauration », ce qui impose qu’elle soit respectée.

Sur un point - un point seulement - le ministre a raison : à une question portant sur l’éventualité d’un crédit d’impôt pour les donateurs qui ne paieraient pas d’impôt sur le revenu, il objecte vers 1h 21’ 38" que celui qui bénéficie d’une réduction d’impôt le paie en totalité, la déduction lui permettant seulement de flécher une partie de cet impôt vers la restauration de la cathédrale. Il n’y a donc pas de cadeau fiscal pour le donateur alors qu’il y aurait un cadeau fiscal avec un crédit d’impôt.

Violons allègrement la loi, qui est si imparfaite

En revanche, ce que profère Franck Riester à partir de 1 h 25’ 35" est absolument indigne de sa fonction ministérielle. Nous le transcrivons tel qu’il l’a prononcé : « Il ne faut pas qu’on se mente. On sait tous qu’il y a un certain nombre de règles, comme dans tout système législatif, qui ne sont pas forcément idéales, notamment dans les procédures, et qui sont parfois des freins à toutes les restaurations que l’on peut faire dans les territoires. Enfin moi j’ai été maire pendant dix ans et c’est se voiler la face ou se mentir que de dire que forcément notre législation est parfaite sur tout. Cela veut dire que là, spécifiquement, si on peut se doter de quelques outils qui nous permettent dans les procédures d’être plus efficaces et pourquoi pas d’en tirer les conséquences dans l’avenir sur un certain nombre de législations, cela peut-être quelque chose qui sera utile. » Rappelons que le code du patrimoine a été modifié il y a moins de trois ans, et le ministre explique tranquillement que cette loi qu’il est chargé de faire respecter ne lui convient pas et qu’il veut donc pouvoir la violer pour « expérimenter ». Nous avons beau avoir l’habitude de tout entendre, il y a des moments parfois où l’on en croit à peine ses oreilles. On voit bien pointer ce que tout le monde craint : que le chantier de Notre-Dame soit utilisé comme un prototype pour, demain, affaiblir encore le code du patrimoine et procéder à une nouvelle dérégulation telle que les aime tant le président de la République.

Didier Rykner

Notes

[1Seul le conservateur régional des monuments historiques a été plus nuancé, nous expliquant qu’il ne comprenait pas cette phrase…

[2voilà le texte exact : « Le donateur accepte que son don soit affecté à un autre projet de sauvegarde du patrimoine ou au fonctionnement de la Fondation du patrimoine, dans le cas de fonds subsistants à l’issue de l’opération soutenue ou si celle-ci n’aboutissait pas dans un délai de cinq années après le lancement de la collecte de dons ou si cette dernière était inactive (absence d’entrée ou sortie de fonds) pendant un délai de deux ans. »

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