Musée Fin-de-Siècle : une section réussie dans un musée en déshérence

1. L’affiche (en anglais) annonçant l’ouverture
du « nouveau musée » sur une des façades
des Musées Royaux des Beaux-Arts
Photo : Didier Rykner
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Un nouveau musée à Bruxelles ? Quelle bonne nouvelle ! Sauf que... sauf que non. Le Musée Fin-de-siècle Museum (sic) n’est en rien un nouveau musée, si l’on excepte la présentation de la collection Gillion-Crowet d’Art Nouveau reçue en dation par Bruxelles en 2008. Il ne s’agit, comme pour le Musée Magritte (pardon, le Musée Magritte Museum) que de redéployer les collections des Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles (Museums ?) en les saucissonnant par la création de nouvelles entités artificielles. Un des buts à peine caché de cette opération est de permettre une tarification nouvelle : un musée (les collections d’art ancien, le fin-de-siècle ou Magritte) est visitable après l’achat d’un ticket simple, mais si on veut en voir deux ou trois, il faut se munir d’un billet combiné [1].

2. Louis Gallait (1810-1887)
Portrait d’Edouard Fetis, 1835
Huile sur toile - 116,5 x 96,5
Sauf erreur, aucun des 60 tableaux
de Louis Gallait n’est présenté
Bruxelles, Musées royaux des
Beaux-Arts de Belgique
Photo : MRBAB
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On a déjà pu lire sur La Tribune de l’Art les tenants et les aboutissants de cette politique. Nous y renvoyons le lecteur. Remarquons toutefois que certaines craintes qui y étaient exprimées par Denis Coekelberghs ne se sont pas concrétisées. Ainsi, Michel Draguet, directeur des musées et promoteur de ce projet, a finalement renoncé à prendre des collections au Musée du Cinquantenaire pour les mettre dans le Musée Fin-de-Siècle. Il est clair que les nombreux historiens de l’art qui s’opposaient à ce démantèlement partiel ont eu gain de cause. De même, le « mélange des genres » ou la transformation en « lieu de distraction » que redoutait Denis Coekelberghs en 2012 n’ont pas eu lieu : les salles nouvellement inaugurées sont bien celles d’un musée. En revanche, et nous renvoyons également à la vidéo que nous avons tournée dans les Musées Royaux des Beaux-Arts (pour l’instant réservée aux abonnés), le sort du reste du bâtiment et des collections est désastreux : nombreuses salles fermées depuis de longues années (elles ont même disparu des plans), collections entières totalement ou à peu près invisibles (esquisses de Rubens, sculptures baroques, une grande partie des primitifs flamands, presque tout le XIXe siècle antérieur à la période dite « fin-de-siècle » - ill. 2, art moderne postérieur à la période "fin-de-siècle"...), incohérence de l’accrochage qui fait se juxtaposer des œuvres sans rapport les unes avec les autres (une scène religieuse de Philippe de Champaigne en face d’une vedute de Pannini...), absence d’informations minimales pour les visiteurs, muséographie totalement défraichie et démodée (à supposer qu’elle ait jamais été à la mode) datant des années 70...



Le Musée des Beaux-Arts de Bruxelles par latribunedelart

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Si les salles du « nouveau musée » faisaient partie d’un grand projet cohérent ayant pour but de mieux présenter toutes les collections dans des espaces rénovés, nous ne pourrions qu’applaudir. Mais hélas il n’en est rien. Après le Musée Magritte [2] et le Musée Fin-de-siècle, on nous promet d’autres musées thématiques dont un « Musée de l’Héritage Flamand » (même s’il semble que cette appellation soit désormais abandonnée) pour l’instant très hypothétique et dont on ne sait pas où il sera installé. Si l’on peut alors espérer y revoir peut-être les primitifs flamands et les esquisses de Rubens, quid des autres collections ? Celles qui ne sont pas flamandes, fin-de-siècle ou dues au pinceau de Magritte ? Michel Draguet souhaite que les collections modernes (après 1914) aillent dans le bâtiment dit « Vanderboght » mais le projet n’est pas financé. Quant au Musée des Instruments de Musique (le MIM), abrité dans un bel édifice Art Nouveau, il devrait être remplacé par un Musée Art Nouveau (on aimerait comprendre comment l’Art Nouveau ne fait pas partie du Fin-de-Siècle, alors que la dation Gillion Crowet est d’ailleurs constituée essentiellement d’objets Art Nouveau) qui n’est pas davantage financé. Mais, d’une part, les collections Art Nouveau sont actuellement au Musée du Cinquantenaire et, d’autre part, on se demande où iraient les instruments de musique, installés là depuis 2000 ? Tout cela n’est pas vraiment cohérent, ni prioritaire, quand l’art ancien est aussi mal traité.
On ne s’étonne donc pas que la politique menée par Michel Draguet, qui souhaite également réunir l’IRPA (l’Institut de restauration belge) et le Musée du Cinquantenaire (dont il est aussi directeur et où les problèmes ne sont pas moins importants) avec les Musées Royaux des Beaux-Arts dans une même direction, réunisse contre elle tout ou presque ce que la Belgique compte d’historiens de l’art et de professionnels de musées.


3. Une salle du raccrochage des collections
dites« Fin-de-siècle ».
La sculpture au premier plan est La Prière
de Guillaume Charlier (1854-1925)
Photo : Didier Rykner
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4. Une salle du raccrochage des collections
dites « Fin-de-siècle »
Photo : Didier Rykner
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Mais revenons à ces nouvelles salles où se trouvaient auparavant le Musée d’Art Moderne (où, contrairement à aujourd’hui, on pouvait entrer avec le même billet que le reste du musée) ? Incontestablement, la muséographie est très réussie (ill. 3 et 4). Malgré une lumière parfois un peu faible, les œuvres sont dans l’ensemble bien visibles, accrochées à une bonne hauteur. Le mélange des différentes techniques (peintures, sculptures, objets d’art...) est harmonieux et donne envie de s’attarder devant chacune d’entre elles. La couleur des murs est souvent plaisante (à l’exception toutefois du blanc) et se marie bien avec les collections. Celles-ci, par ailleurs, sont d’une grande richesse mais on le savait déjà puisqu’à part la collection Gillion-Crowet (ill. 5 et 6) on ne trouve pas de grandes nouveautés. Beaucoup d’œuvres se trouvaient déjà exposées là avant la fermeture.


5. Une salle de la dation Gillion-Crowet
Photo : Didier Rykner
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6. Gustave Adolf Mossa (1883-1971)
Circé, 1904 (Huile sur toile) et
Désiré Muller (1877-1952)
Cheminée (Grès émaillé)
Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts
Dation Gillion-Crowet
Photo : Didier Rykner
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La cohérence du Musée Fin-de-Siècle ne nous paraît pourtant pas évidente. Les dates annoncées, 1865-1914 en font une fin de siècle un peu longue (cinquante ans tout de même) et qui déborde sur le XXe. Certains artistes tels que Rops ou Léon Frédéric se retrouvent à plusieurs endroits du parcours et celui-ci est tout sauf clair, aucune explication n’étant donnée au visiteur, restant fidèle en cela à l’accrochage des collections anciennes. Il faut lire le guide du musée publié à l’occasion pour comprendre un peu le sens de cet ordonnancement qui n’est pas vraiment chronologique, pas vraiment thématique, et finalement plutôt stylistique. L’essentiel est cependant consacré d’une part au réalisme, d’autre part au Symbolisme dont on sait que Michel Draguet est spécialiste.


7. L’exposition Les suiveurs de Van der Weyden
en cours de démontage après sa fermeture prématurée
Photo : Didier Rykner
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8 L’exposition Les suiveurs de Van der Weyden
en cours de démontage après sa fermeture prématurée
Photo : Didier Rykner
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De nouvelles salles plaisantes donc, et qui du point de vue de La Tribune de l’Art entrent parfaitement dans son champ. Mais un trop grand nombre de questions sans réponses rend l’avenir incertain et donne l’impression que la direction des Musées Royaux des Beaux-Arts ne sait pas vraiment dans quelle direction aller. Il est vrai qu’elle doit s’adapter aux événements : alors que l’exposition « Les suiveurs de Roger van der Weyden » est désormais fermée (même si beaucoup de tableaux y sont encore accrochés, protégés des infiltrations par des bâches en plastique - ill. 7 et 8), les incidents rencontrés lors du chantier ont obligé à annuler l’occultation du puits de lumière. Le musée a donc dû renoncer aux projections et jeux de lumière qui en était la cause avouée : on ne s’en plaindra pas, les salles ne ressemblent ainsi pas à un lieu de distraction ordinaire... mais à un musée.

Didier Rykner

Notes

[1Signalons que le terme ambigu « Musées Royaux » au pluriel pourrait faire penser à plusieurs musées. Cela est en partie vrai car le Musée Wierz et le Musée Constantin Meunier, qui sont dans des bâtiments différents ailleurs dans la ville, font partie des Musées Royaux des Beaux-Arts. Les bâtiments principaux comportaient effectivement le Musée d’Art Ancien et le Musée d’Art Moderne (là où se trouve désormais le Musée Fin-de-Siècle). Mais en réalité il s’agissait bien d’une seule entité, visitable avec un seul et même billet. Plutôt que de créer plusieurs musées de manière artificielle, il aurait au contraire fallu renommer le musée Musée Royal des Beaux-Arts, les Musée Wierz et le Musée Constantin Meunier lui étant rattachés comme le Musée Delacroix est rattaché au Musée du Louvre.

[2Nous ne reprendrons plus à notre compte cette manière grotesque de dénommer ces nouvelles entités en y ajoutant « Museum ». Comme si le fait de les affubler deux fois du même terme suffisait à les transformer en véritables musées ! Signalons aussi ce snobisme absurde qui consiste à accrocher de grandes affiches uniquement en anglais dans une ville où les deux langues officielles sont le français et le flamand.

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