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- 1. Manoir de Kernault
(avant l’incendie)
Mellac (Finistère)
Photo : Lanzonnet (CC BY-SA 3.0) - Voir l´image dans sa page
Il y a quelques jours, le manoir de Kernault en Bretagne (ill. 1), classé monument historique, a été victime d’un incendie. Si sa toiture et sa charpente ont été entièrement détruites (ill. 2), la chapelle a été sauvée, et des tapisseries (ill. 3) qu’il conserve ont également été préservées car elles avaient été déposées en juillet dernier et n’avaient pas encore été raccrochées. Nous avons eu connaissance de ce dernier point grâce à un post Instagram du site d’un restaurateur de tapisseries, @montainebongrand.
Nous ne pouvons nous fier qu’aux informations que nous avons pu récolter sur internet car, malgré nos demandes, le département du Finistère, propriétaire du monument, n’a pas répondu à nos questions. Sans doute a-t-il considéré que celles-ci mettaient en cause sa responsabilité, ce qui n’est pas le cas comme nous le lui avons précisé.
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- 2. Le manoir de Kernault en feu
Photo : Fondation du patrimoine - Voir l´image dans sa page
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- 3. Tapisserie présentéecomme « Bruxelles, XVIe » dans la base Palissy, mais comme nous l’a signalé Vladimir Nestorov après la publication de cet article, il s’agit de Glaucus et Scylla, d’après Laurent de La Hyre
Laine et soie - 240 x 145 cm
Mellac, manoir de Kernault
Photo : CAOA du Finistère - Voir l´image dans sa page
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- 3. Incendie du manoir de Kernault
en travaux, et en feu
Photo : Département du Finistère - Voir l´image dans sa page
Nous l’interrogions essentiellement sur le chantier monument historique qui était en cours au moment du sinistre. On voit sur certaines photos (ill. 4) qu’un échafaudage se trouvait encore sur un côté du monument, et la cagnotte lancée par la Fondation du Patrimoine confirme que les travaux sur « la charpente, la toiture et les menuiseries du logis seigneurial » devaient s’achever au printemps prochain. Si ceux sur la toiture étaient terminés selon la directrice du lieu (que nous avons également essayé de joindre en vain), qui l’a dit à Ouest France, le chantier n’était donc pas achevé.
Or, comme nous le répétons sans cesse depuis l’incendie de l’hôtel Lambert, les chantiers de restauration constituent et de loin la première cause des incendies de monument historique. Et cela se vérifie dans les faits : lorsqu’un tel sinistre a lieu, le plus souvent le monument est en travaux.
Le manoir de Kernault ne faisait donc pas exception. S’il faut bien entendu laisser faire l’enquête, il est très probable que ce nouvel incendie est en lien avec ce chantier. Un pompier spécialiste de ce type de sinistre avec qui nous correspondons régulièrement (et qui nous a beaucoup aidé pour notre ouvrage « Notre-Dame. Une affaire d’État ») nous a précisé que les travaux sur les gouttières étaient souvent en cause, en raison de l’utilisation d’outils générant des « points chauds ». Que l’incendie ait éclaté un dimanche matin ne remet pas en cause cette hypothèse, le feu pouvant couver pendant plusieurs heures, parfois plusieurs jours.
La seule personne à avoir accepté de nous répondre est le maire du village, qui nous a confirmé ce que nous avions pu lire ailleurs : c’est un promeneur qui a donné l’alerte lorsqu’il a vu la fumée sortir du toit. Et les pompiers n’ont donc pu être alertés qu’à ce moment là, alors que l’incendie faisait déjà rage.
Cela prouve donc qu’aucune détection n’était prévue sur le chantier, et encore moins des caméras thermiques qui auraient pu constater l’augmentation des températures avant même que le feu ne se développe.
Comme nous le disions plus haut, le département, qui a mis beaucoup d’argent dans cette restauration, n’est pas responsable puisque la législation n’impose toujours pas la présence de ces caméras thermiques sur les chantiers monuments historiques. Pas plus qu’elle n’impose des rondes de sécurité pendant la nuit.
Nous ne pouvons évidemment pas écrire que ces mesures auraient sans aucun doute permis d’éviter le sinistre, mais c’est néanmoins probable.
Il est incroyable que jamais le ministère de la Culture ne se soit emparé de cette question. Aux deux mesures citées qui concernent la prévention, nous avions, après l’incendie de l’hôtel Lambert, et après avoir consulté des pompiers et des architectes du patrimoine, ajouté d’autres prérequis qui seraient indispensables : rendre obligatoire le stockage sécurisé des liquides et gaz inflammables, n’employer comme « entreprise générale » (celle qui coordonne l’ensemble des travaux) que des entreprises spécialisées dans les monuments historiques, règlementer l’intervention des différents corps de métier. Nous détaillions ces mesures dans cet article qui date de 2013.
Depuis cette date, nous avons parlé sur La Tribune de l’Art de huit incendies en France, en lien avec des chantiers de restauration :
– Paris, hôtel Lambert : il y avait, bien sûr, un très important chantier de restauration.
– Paris, hôtel d’Augny (mairie du IXe arrondissement) : heureusement, celui-ci a pu être très rapidement maîtrisé. Il y avait un chantier.
– Paris, Bnf, site Richelieu : par miracle, là encore, cet incendie a été vite éteint. Non seulement il y avait un chantier, mais l’alerte avait été donnée de l’extérieur, ce qui signifie qu’il n’y avait pas de détection (ou au moins pas de détection efficace).
– Nantes, église Saint-Donatien, cet édifice n’est toujours pas protégé monument historique, ce qui pose une nouvelle fois une autre question, celle de la sous-protection du patrimoine en France. Quoi qu’il en soit, là encore, des travaux sur la toiture étaient à l’origine de l’incendie.
– Paris, cathédrale Notre-Dame : un chantier de restauration était en cours, et le feu a pris dans son emprise, même s’il est impossible pour l’instant d’assurer qu’il en est la cause (les conclusions de l’enquête ne sont pas encore connues).
– Rouen, hôtel de ville : peu de dégâts, mais une fois de plus des travaux sont en cause.
– Paris, hôtel de Seignelay : il y a eu beaucoup de dégâts sur ce monument privé, qui était en restauration.
– Rouen, flèche de la cathédrale : à nouveau, un chantier est à l’origine du sinistre, qui a pu être éteint assez rapidement.
Nous pourrions ajouter comme victimes de chantiers de restauration, avant que La Tribune de l’Art n’existe : l’incendie de la cathédrale de Nantes en 1972 (celui plus récent était un acte criminel), ou à l’étranger celui du château de Windsor en 1992 et plus récemment celui de la Bourse de Copenhague.
Cela ne suffit pas, manifestement, pour inciter les pouvoirs publics à imposer des mesures de sécurité supplémentaires, qui ont un coût, mais faible par rapport à celui d’un chantier, et dérisoire par rapport à celui d’un incendie et à la valeur historique des bâtiments et des œuvres concernés.
Rappelons également que les monuments historiques sont menacés même lorsqu’il n’y pas de chantiers, et que la plupart n’ont pas de systèmes d’alarmes incendie performants, faute là encore d’une législation contraignante.