- Le château de La Barben en juin 2019
Photo : La Tribune de l’Art - See the image in its page
Hier matin, le tribunal d’Aix-en-Provence a débouté les riverains de La Barben qui avaient porté l’affaire en justice en référé pour demander la suspension des activités musicales de Rocher Mistral, ainsi que l’utilisation des parkings et l’exploitation du jardin potager. D’après les articles de presse, la société s’est empressée de crier victoire en se félicitant de cette décision.
Mais celle-ci ne représente pas grand-chose. D’abord il s’agit d’un référé, qui ne juge pas le fond. Ensuite et surtout, il porte sur un sujet que nous n’avions même pas abordé : les nuisances sonores dont se plaignent les voisins du château de La Barben. Le juge a considéré que cela ne constituait pas un « trouble manifestement illicite », bien que l’étude d’impact sonore vis-à-vis des riverains demandée par le préfet n’ait jamais été menée.
Rien à voir donc, avec les nombreuses irrégularités que nous avons décrites dans nos précédents articles. Rien à voir avec les travaux sur monuments historiques non autorisés, rien à voir avec les constructions aux abords de monuments historiques non autorisées, rien à voir avec les atteintes à espèce protégée… Toutes ces infractions qui ont donné lieu à des PV de la DRAC, et qui sont en cours d’instruction par le procureur avec la gendarmerie ne sont pas concernées par ce qui n’est, répétons-le, qu’un référé. Rien à voir non plus avec les plaintes à venir qui seront probablement, selon nos informations, déposées par des associations de protection du patrimoine pour destruction de monument historique. Rien à voir enfin avec les possibles annulations des subventions promises par la région, voire par le département.
Si nous n’avions pas parlé des questions des nuisances sonores, c’est que celles-ci, sauf pour ceux qui les subissent, ne sont pas le cœur de cette affaire et sortent clairement de notre champ d’investigation.
Toute cette affaire pose néanmoins la question des complaisances dont bénéficie Vianney d’Alançon dans son projet. Complaisance de certaines grandes fortunes qui financent celui-ci : Vincent Montagne (de la famille Michelin), Benoît Habert [1] (de la famille Dassault) et des membres de la famille Deniau. Nous ne saurons rien de leurs motivations puisque, comme nous l’avons déjà écrit, ceux-ci ne nous ont jamais répondu. Complaisance des politiques ensuite, nous en avons parlé ici. Complaisance encore - dans une certaine mesure, et nous avons bon espoir que cela évolue prochainement - des services de l’État.
Un autre type de soutien nous paraissait encore plus incompréhensible. Celui des défenseurs du patrimoine que sont Stéphane Bern, les Vieilles Maisons Françaises et la Demeure Historique. Nous avons compris assez rapidement qu’ils avaient cru les belles promesses qui étaient faite de sauvegarde du patrimoine et de l’environnement. Le premier, que nous avons cité dans notre deuxième article, avait même été filmé dans une vidéo qui vantait le projet. Mais celle-ci date de 2020. Stéphane Bern nous a confirmé depuis ne plus être un soutien du projet. Les deux associations, qui ont publié dans leurs revues respectives des articles dithyrambiques sur le projet, ont été manifestement plus que troublés par les articles que nous avons publiés. Nous avons tenu à les contacter à nouveau pour leur demander leur sentiment sur cette affaire. Philippe Toussaint, président des Vieilles Maisons Françaises, et Olivier de Lorgeril, président de la Demeure Historique, sont sur une ligne très comparable. Écoutons-les :
Philippe Toussaint : « La journaliste qui a écrit dans notre revue a été séduite par le discours patrimonial et entrepreneuriale de Vianney d’Alançon. Il faut comprendre notre approche : lorsque quelqu’un veut s’occuper d’un château de cette envergure, ce n’est pas un scandale en soi, au contraire. Mais j’ai rappelé dès le premier jour que tout propriétaire doit respecter les règles monuments historiques et qu’il ne peut y avoir de passe droit. Quand je suis venu sur place, il y avait des travaux en cours, visibles, et d’autres par exemple dans la partie basse, qu’on ne connaissait pas et qui paraissent effectivement inacceptables. J’ai appris tout cela grâce à vos articles et surtout grâce aux réponses de l’administration, qui se passent de tout commentaire. La position des VMF est désormais que l’administration des monuments historiques aille jusqu’au terme complet de sa démarche et que la justice fasse son travail, s’il y a lieu. »
Olivier de Lorgeril : « J’ai lu vos différents articles. C’est un dossier extrêmement fâcheux que nous ne pouvons que regretter. Dans notre revue, nous avons abordé le sujet de La Barben dans la rubrique « entrepreneuriale » car je pense que la mise en économie des monuments historiques privés les sauvera. Vianney d’Alançon semblait incarner un tel modèle, mais il semble bien qu’il y ait eu des atteintes à un monument historique. Il y a des plaintes, il faut qu’elles soient instruites par le procureur et que l’administration agisse. Le scandale serait qu’elle ne fasse rien. La justice doit se prononcer, et s’il y a des sanctions, la Demeure Historique prendra ses responsabilités. Notre position est claire : nous accompagnons les propriétaires, mais en aucun cas hors de la législation. »
Leur embarras est donc palpable. Nous nous garderons néanmoins de leur jeter la pierre car ces associations, qui jouent un rôle essentiel dans la protection du patrimoine, ont manifestement été abusés par de bonnes paroles. Mais elles ne peuvent plus soutenir un projet comme celui-ci.
Ce dernier article avait pour vocation de conclure notre longue série. Une conclusion qui sera en réalité très temporaire. D’autres sujets mériteraient encore que nous nous penchions sur eux. Celui de l’archéologie d’abord : des fouilles d’urgence ont pu être menées à certains endroits, mais dans quelles conditions ? Que s’est-il passé dans les « souterrains » du château et dans les ruines, où les travaux ont eu lieu sans autorisation et à notre connaissance sans fouilles archéologiques ? Cela mériterait un article à part, pour lequel pour l’instant nous ne disposons pas encore de suffisamment d’éléments. Le sujet des archives du château et du mobilier encore en place, que nous avons à peine effleuré dans notre deuxième article, mériterait également d’être traité, compte tenu des craintes que l’on peut avoir sur une possible dispersion.
Nul doute enfin que de nombreux développements se feront jour dans les semaines et les mois à venir sur lesquels nous aurons à revenir. Ce dossier est emblématique car s’il venait à prospérer, il pourrait faire école et devenir une nouvelle menace pour les monuments historiques. Nous avons déjà connaissance d’un autre château en France, récemment acquis, où le nouveau propriétaire parle d’installer un parc d’attraction (nous en parlerons certainement). Le combat contre le projet de La Barben a donc une valeur symbolique, il est à cet égard exemplaire et entre pleinement dans le cadre de nos combats patrimoniaux. Nous avons d’ailleurs des soutiens éloquents. C’est ainsi que dans un mail reçu le 28 août 2021 (nous commencions notre enquête), Frédéric de Lanouvelle, directeur adjoint du parc Rocher Mistral, nous écrivait : «Amusant de recevoir un message de votre part alors que Vianney d’Alançon me parlait récemment de la qualité de vos articles dans La Tribune de l’Art». Nous ne pouvions rêver plus bel hommage.