Menaces sur le château de La Barben (12/13) : la réécriture de l’Histoire

2 2 commentaires

Ce douzième article sera certainement plus léger que les précédents, car il ne s’agit pas ici de travaux menés sans autorisation sur monuments historiques, d’abords dégradés ou de perturbation d’une espèce protégée. Nous parlerons seulement d’histoire et d’histoire de l’art. Ou plutôt d’histoires au sens de contes et de fables, toutes choses qui peuvent être amusantes lorsqu’elles sont racontées avec talent et sans prétendre être sérieux.

Car les prétentions de Rocher Mistral et de Vianney d’Alançon sont à cet égard très hautes. Ne déclarait-il pas, dans La Provence du 17 juin 2020 que l’offre culturelle serait « 100% authentique » ? Dans Marsactu, le 19 juin 2020, il affirme que ce « n’est pas un parc d’attraction, c’est un domaine d’authenticité ». Dans une interview de la radio RCF enfin, il explique doctement : « L’histoire est, je veux rendre hommage à ce qui est. Je ne veux pas repenser une histoire [...] sous prétexte qu’elle ne rentre pas dans l’idéologie du moment ». Regardons donc à quoi ressemble cette histoire 100% authentique, sans être exhaustif (nous n’avons en effet pas eu le temps ni le courage de regarder tous les spectacles proposés par Rocher Mistral). Ce que nous pouvons analyser ici, à partir des déclarations de Vianney d’Alançon, du site Rocher Mistral ou de ce que nous avons pu entendre ou voir au château, est déjà tout à fait édifiant.

1. Nicolas Froment (1425 ?-1483/1486)
Portrait du roi René, panneau du Diptyque des Matheron, 1474
Huile sur panneau - 18 x 13 cm (l’ensemble)
Paris, Musée du Louvre
Photo : Musée du Louvre
Voir l´image dans sa page

Pour justifier ses spectacles historiques, Rocher Mistral n’hésite pas à prendre quelques libertés avec les personnages ayant fréquenté les lieux. À commencer par le roi René (ill. 1). Certes, celui-ci fut propriétaire du château entre 1453 et 1474, comme il le fut de multiples propriétés. Rien, en revanche, ne permet d’affirmer qu’il y ait jamais mis les pied, pas plus que Richelieu - que l’on voit dans une des « attractions » du château (voir l’article) - ou qu’Henri II de Condé qui, s’il vint effectivement à Aix, n’est certainement jamais allé jusqu’à La Barben. En tout cas cela n’a jamais été rapporté.

Restons en 1630, date de la révolte des Cascavèus : toute la mise en scène (par ailleurs très médiocre) de la première attraction se déroule autour du soi-disant incendie ayant frappé le château. Mais une fois de plus, rien ne vient attester ce sinistre. Cette incertitude n’est pas seulement confirmé par plusieurs historiens ayant travaillé sur le château : on le trouve noir sur blanc dans le dossier historique [1] commandé à l’historienne de l’art Ombline d’Abboville qui a fait honnêtement son travail. On y lit donc : « Après la révolte, la communauté d’Aix est condamnée à payer une amende considérable incluant, entre autres, la réparation des dégâts causés aux terres et au château de La Barben. Il est impossible d’en connaître le détail mais les termes employés à l’époque pour décrire cette nuit d’agitation – désordres, ravages, violences – sous-entendent un probable saccage ». Un probable saccage, mais aucune trace d’incendie. Même le saccage fut sans doute peu important. Alexandre Mahue [2] cite en effet un historien local du XVIIe siècle [3] qui écrit à propos des indemnités qu’il considère comme excessives : « pour quelques vieux meubles brûlés, on leur donna de quoi s’ameubler à la mode, et, pour quelques croisées des fenêtres abattues on a vu de très belles maisons ». Alexandre Mahue précise lui-même : « on ignore la nature exacte des dégâts causés dans le château ».


2. France, XVIIIe siècle
Jardin du château de La Barben
avant les travaux
Photo : La Tribune de l’Art
Voir l´image dans sa page
3. France, XVIIIe siècle
Jardin du château de La Barben
avant les travaux
Photo : La Tribune de l’Art
Voir l´image dans sa page

Une autre vérité est clairement écrite dans les documents inclus dans la demande d’autorisation de travaux : l’auteur des jardins n’est pas André Le Nôtre, nom prestigieux sur lequel Rocher Mistral communique abondamment. Certes, l’erreur est courante, et même le classement monument historique du jardin donne cette attribution. Mais elle est fausse. Dans la même étude historique citée plus haut, on lit en effet : « Son dessin est régulièrement attribué à André Le Nôtre, a priori sans aucun fondement. Nous ne saurions dire quel a été le premier à mettre en avant une paternité aussi glorieuse mais il faut reconnaître avec honnêteté que les attributions hasardeuses au grand paysagiste sont légion. » Dans le même dossier, on trouve également une très bonne Analyse paysagère par l’Atelier L. déjà évoquée dans l’article précédent. Celle-ci va dans le même sens : « datant du XVIIIème siècle ce jardin est probablement attribué à tort à Le Nôtre (1613- 1700) ».


4. Date d’achèvement des travaux du jardin de La Barben gravée dans la pierre (1722)
Photo : La Tribune de l’Art
Voir l´image dans sa page

5. Carlo Maratta
Portrait d’André Le Nôtre, 1679/1681
Huile sur toile - 113 x 85,5 cm
Versailles, Musée national du château
Photo : Wikipedia (domaine public)
Voir l´image dans sa page

Les historiens sont tous d’accord. Patricia Bouchenot-Dechin, spécialiste de Le Nôtre [4], qui nous a confirmé - sans avoir étudié le jardin de La Barben et donc sans rien exclure a priori - n’avoir jamais rencontré le nom de La Barben dans ses recherches. Ou encore Mireille Nys, docteur en histoire de l’art avec une thèse sur le jardin classique en Basse-Provence aux XVIIe et XVIIIe siècles, qui a travaillé spécifiquement sur le jardin de La Barben, et qui a encadré d’autres travaux d’étudiants sur ce château, qui nous a dit qu’« il est à peu près certain que Le Nôtre n’y est pour rien ». La beauté évidente de ce jardin, dont Mireille Nys estime également qu’« il constitue un décor pour le château plus qu’un espace en soi que l’on doit envahir comme le fait le propriétaire actuel », n’est pas une preuve de son auteur. Enfin, Alexandre Mahue, élève de Mireille Nys, nous a confirmé qu’« aucun document ou archive n’atteste l’intervention de Le Nôtre sur un jardin dont la date d’achèvement, 1722, est connue, ce qui exclut a priori le nom du jardinier de Louis XIV ». L’unanimité est donc éclatante sur l’impossibilité d’attribuer ce jardin - du XVIIIe siècle - à Le Nôtre, ce que Rocher Mistral ne se prive pourtant pas de faire. Le Nôtre, c’est Versailles, donc ça attire le chaland...

Les attractions dans le château, déjà d’un niveau affligeant, ne font pas seulement intervenir des personnages n’ayant jamais mis les pieds à La Barben : les costumes ne correspondent pas à l’époque des événements. Un article de Libération, qui a interrogé des historiens, le confirme amplement en citant également Mireille Nys : celle-ci « raconte le désarroi de ses deux étudiantes qui s’étaient portées volontaires pour travailler sur les costumes des Cascavèu. "Elles ont pointé que les tenues prévues dataient du XVIIIe et non du XVIIe, mais on leur a dit qu’on s’en fichait... On n’est pas du tout dans une reconstitution, on est dans une parodie d’histoire !" »

Libération a interrogé un autre historien, Noël Coulet, médiéviste, élève de Georges Duby, professeur émérite à l’Université de Provence. « Celui-ci a d’ailleurs ri lorsqu’on lui a rapporté que Bénezet [5], le paysan-narrateur de l’an mil, raconte avoir appris « les mathématiques et l’écriture » auprès des moines : « A cette époque, au mieux, les moines s’en seraient servis comme main-d’œuvre ! » rectifie-t-il, ne voyant pas non plus à quelle guerre le conteur fait allusion dans son récit. ». À ces critiques, Vianney d’Alançon répond, toujours dans Libération : « C’est faux ? Mais qu’est-ce que ça peut foutre, pour le scénario ? Vous n’allez pas demander à Shakespeare de raconter le Vérone de son époque ! Ici, ce n’est pas l’histoire dans le formol, c’est une histoire vivante, faite de combats, d’aventures ! » Tout est dit, et il se compare à Shakespeare. Ou plutôt non, tout n’est pas dit. Dans le seul mail que nous ayons jamais reçu de lui, il nous a répondu : « Je me demande quels sont les historiens que vous avez contactés, ils ne doivent pas fréquenter les miens... » Il sait désormais quels historiens nous avons contactés. En revanche, il ne nous a toujours pas dit (nous lui avons pourtant demandé en retour) quels sont « ses » historiens.

6. Antoine Graincourt (1748-1823)
Portrait de Claude de Forbin, 1780/1782
Huile sur toile - 73,5 x 56,5 cm
Versailles, Musée national du château
Photo : Wikipedia (domaine public)
Voir l´image dans sa page

« Mais j’ai d’abord voulu partir de l’histoire du château » dit encore Vianney d’Alançon à Libération. Sans doute est-ce pour cela qu’une attraction est consacrée à Claude de Forbin, qui n’a rien à voir avec les Forbin de La Barben, mais appartient à une autre branche, les Forbin-Gardanne, dont le château est la Forbine et se trouve à Marseille dans le quartier de Saint-Marcel !

Concluons cette liste qui n’est certainement pas complète en rappelant que, contrairement à ce que l’on lit sur le site internet de Rocher Mistral, François-Marius Granet n’a pas peint dans le château des fresques, mais des peintures à l’huile. Rappelons que la fresque est une technique bien spéciale, à base de chaux. Si l’erreur qui consiste à appeler toutes les peintures murales « fresques » est commune, on se serait attendu à mieux de la part de quelqu’un qui souhaite du 100% authentique.

Didier Rykner

Notes

[1Cette étude est annexée au dossier de la demande d’autorisation de travaux et n’a pas vocation à être diffusée, ce qui est dommage.

[2Doctorant en histoire de l’art à l’université Aix-Marseile sur Les châteaux de Provence au XVIIIe siècle, auteur de Le château de La Barben. Mille ans d’Art et d’Histoire.

[3Scholastique Pitton, Histoire d’Aix, 1666, Histoire d’Aix, livre V, p. 57.

[4Elle est notamment co-auteur du catalogue de l’exposion Le Nôtre en perspective au château de Versailles.

[5Il s’agit du son entendu à l’entrée des « ruines ».

Mots-clés

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.