- Le nouveau symbole du gouvernement ?
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S’il est parfois difficile de comprendre la politique d’Emmanuel Macron, ses décisions touchant à la protection du patrimoine et de l’environnement apparaissent plutôt limpides. On est là dans le libéralisme le plus débridé, le plus décomplexé comme le démontre, mois après mois, l’action gouvernementale et législative.
C’est ainsi que la loi d’exception pour la restauration de Notre-Dame n’est certainement pas, en définitive, une décision prise dans l’urgence sous le coup de l’émotion. Elle constitue, bien au contraire, une démonstration éclatante de ce qui sous-tend toute la politique du chef de l’État : déréguler, se libérer de ces lois contraignantes qui ne seraient là que pour empêcher le développement économique. Pour Notre-Dame, il est donc question de s’abstraire, purement et simplement, de tous les codes touchant de près ou de loin au cadre de vie : patrimoine, environnement, urbanisme, transport, mais aussi de ce qui doit réguler l’activité économique comme le code des marchés publics. Quand on fait remarquer au ministre de la Culture que cela rend difficile d’opposer aux particuliers ou aux élus locaux l’application d’une loi dont l’État veut se libérer lui-même, celui-ci répond, assez franchement d’ailleurs (voir la brève du 22/5/19), que la loi sur Notre-Dame servira d’expérimentation à ce qui pourrait être généralisé plus tard.
En assumant ainsi ouvertement de vouloir simplifier le code du patrimoine, le gouvernement se place dans la continuité directe de ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande, qui avaient déjà de telles velléités mais n’osaient pas les mener complètement à bien. C’est ainsi que sous le précédent président de la République, il y a donc à peine trois ans (voir la brève du 2/2/16), le code du patrimoine avait déjà été revu dans un sens moins restrictif. Si le pouvoir des architectes des bâtiments de France avait pu être finalement sauvegardé, l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir n’a pas tardé à réduire celui-ci avec la loi Élan dont nous avons déjà abondamment parlé sur ce site (voir cet article). Mais il ne s’agissait, bien entendu, que d’un galop d’essai.
Car l’actuel président de la République n’a pas de ces pudeurs, ni d’état d’âme. Désormais, les promoteurs et les élus vandales peuvent se frotter les mains. De nombreuses mesures sont en effet dans les tuyaux qui vont leur permettre de se régaler. C’est ainsi - nous n’en avons pas encore parlé, mais d’autres l’on fait abondamment, et nous renvoyons vers eux, notamment vers Reporterre [1]) - qu’un projet de décret est actuellement à l’étude dont l’objectif est de « déconcentrer la délivrance des autorisations de travaux en site classé ». Il s’agit ici, ni plus ni moins, que de livrer les sites classés (les plus beaux, donc, de notre territoire) à la décision des préfets. Plutôt que d’être arbitré au niveau national par le ministre de la Transition écologique et solidaire, tout projet, quelle que soit son importance, sera désormais soumis au seul avis du préfet.
On sait pourtant que ces fonctionnaires sont beaucoup plus proches des élus et des pouvoirs locaux et soumis à de multiples pressions. Une décision ministérielle, outre qu’elle permettait de prendre du recul, avait aussi le mérite de rendre homogène la doctrine de protection sur toute la France. Désormais, seul le préfet pourra décider de vie ou de mort sur un site classé. Du moment que le projet amène des emplois, ce sera tout bénéfice pour lui.
L’argument majeur donné aux adversaires de ce décret, c’est la confiance qu’il faudrait faire aux préfets. On connaît la chanson, on nous sert la même dès lors qu’il s’agit de donner davantage de pouvoirs au élus locaux, auxquels il convient aussi de faire confiance, comme si la confiance ne devait pas d’abord se mériter, et comme si tous les préfets, et tous les élus étaient sensibles à l’environnement et au patrimoine. C’est, vraiment, prendre les gens pour des idiots.
Loi Elan, décret sur les sites classés, loi Notre-Dame, la liste ne s’arrête pas là, bien évidemment. C’est ainsi que le 20 mai, le SNUPFEN (Syndicat National Unifié des Personnels des Forêts et de l’Espace Naturel) émettait un communiqué particulièrement alarmiste (et certainement à raison) sur un autre projet de décret du ministère de la Transition écologique prévoyant que le défrichement des forêts publiques pourrait être décidé sans prendre l’avis de l’ONF. Or, comme le dit très bien ce syndicat : « Rôle de protection de la forêt concernée, nature du peuplement forestier, présence d’espèces animales, végétales rares ou menacées, présences de mares, de sources… Désormais toutes ces informations essentielles pour décider d’autoriser ou non la transformation d’une forêt en zone commerciale, en lotissement ou en champ de blé, l’État s’en passera ». On voit bien, là encore, quelles sont les forces à l’œuvre, qui n’ont rien à voir avec la protection de l’environnement et de la biodiversité, pourtant si menacés.
Comme si cela ne suffisait pas, le même décret prévoit aussi de mettre fin à la consultation systématique du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) au profit du conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) en cas de demande de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées. Là encore, comme pour les sites classés, on déconcentre et on décentralise, avec les mêmes risques. Les CSRPN sont sous la double tutelle de l’État et des Régions, donc bien davantage encore soumis aux pressions locales.
Nous pourrions encore multiplier les exemples : loi d’exception pour les Jeux Olympiques qui déroge, par exemple, à la législation pour la construction de la tour Triangle, projet de suppression de l’enquête publique dont une expérimentation est désormais en cours dans deux régions (voir [cet article->https://www.banquedesterritoires.fr/suppression-de-lenquete-publique-une-note-technique-detaille-le-deroule-de-lexperimentation-enwW°), etc.
Et encore, même nous ne sommes pas au courant de tous ces décrets, de tous ces projets de loi qui n’ont qu’un seul objectif : simplifier les choses non pas pour les rendre plus efficaces mais pour les rendre moins contrôlées. Faire confiance. Confiance aux élus locaux, aux acteurs économiques, aux promoteurs… La France dont rêve Emmanuel Macron est une France moche, au patrimoine dénaturé, à l’environnement dégradé, à la biodiversité en berne, soit l’inverse de ce que veulent les Français.
Et pour ça, on peut lui faire confiance.