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- 1. Couverture du document de travail :
« Rapport final des atelier » - Voir l´image dans sa page
Comme ils l’avaient annoncé, les groupes de travail préparatoires au lancement du concours pour la Renaissance du Louvre ont rendu leurs conclusions.
Cela a eu lieu entre le 2 avril et le 19 mai, soit en un mois et demi, avec 21 réunions de deux heures, de huit groupes de travail et au total 140 participants, les groupes ayant en moyenne 25 participants (entre 9 et 35). Rien que ces chiffres, que nous avons déjà analysés (voir l’article), donnent le vertige tant ils sont absurdes. Une organisation de projet aussi inefficace donne lieu à un joli schéma (ill. 2) mais ne pouvait déboucher que sur une synthèse des travaux ridicule, et c’est exactement ce qui est arrivé.
Un document interne intitulé « Rapport final des ateliers » daté (dans sa « version B ») du 27 mai 2025, « a pour objectif de synthétiser les échanges de l’ensemble des ateliers de chaque thématique », et « ces éléments alimentent la réflexion menée par l’OPPIC et l’agence François Chatillon dans la définition du projet ».
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- 2. Au Louvre, on pratique la concertation, et on produit de jolis schémas pour le prouver
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Nous souhaitons bonne chance à cette dernière pour tirer quelque chose de compréhensible de ce document intermédiaire entre la bouillie et le gloubi-boulga.
Vouloir comme nous le faisons ici « synthétiser une synthèse » lorsque celle-ci n’a ni queue ni tête est évidemment une tâche impossible à réaliser. Nous nous contenterons donc de noter quelques-unes des innombrables absurdités de ce document, en ne traitant pas les groupes de travail dans l’ordre, mais en partant du plus grotesque. Et nous publierons plusieurs articles courts plutôt que de tout traiter en une seule fois, car cela serait rapidement très indigeste.
Précisons également une chose qui n’est pas forcément simple à expliquer car elle traduit une confusion mentale assez inquiétante des rédacteurs de cette synthèse : à chaque fois qu’une liste des points est proposée, ceux-ci ne sont pas cohérents entre eux. Certains sont des phrases complètes qui énoncent un constat, par exemple : « Un besoin d’accompagnement est remonté pour aider les équipes dans l’organisation et les opérations de transfert ». D’autres, au même niveau de hiérarchisation, sont des questions du type : « Quel est l’impact d’éventuelles fouilles archéologiques sur le projet ? ». D’autres encore sont des actions commençant par un verbe à l’infinitif : « Étudier les possibilités d’exposer les collections pendant la durée des travaux ». Certains enfin sont des informations sous une forme encore différente : « Alerte sur les effectifs et les moyens à mettre en œuvre pour sortir les collections (effectifs actuels insuffisants). »
Les quatre phrases que nous avons citées en exemple se trouvent chacune au même niveau, dans la même liste. Cela donne une assez bonne idée de la rigueur plus qu’approximative de ce document.
Au concours du plus stupide, c’est certainement le groupe de travail « Le Numérique au Louvre [1] » qui gagne la palme.
Cela commence par un sous-chapitre : « Le numérique au Louvre pour les publics », et cette première phrase que j’invite les lecteurs à méditer : l’« expérience visiteur » (car le visiteur ne vient pas admirer des œuvres d’art, il vient faire une « expérience ») est « un enjeu à ce que le site internet retraduise davantage la réalité physique du musée pour permettre aux visiteurs de préparer leur visite [2] ». Si l’on comprend vaguement ce qu’elle veut dire, on constate tout de suite que ce chapitre n’a aucun lien avec le chantier qui sera mené par l’OPPIC et par l’architecte en chef.
Cela se poursuit par la considération suivante : « Utiliser le numérique comme source d’orientation type "waze" ». On remarquera que « type waze » n’est pas en gras, sans qu’on puisse vraiment expliquer pourquoi.
Vient ensuite : « Développer ce principe de géolocalisation en le dissociant des audio-guides pour le rendre accessible à tous, soit par le développement d’une application soit via un terminal Louvre en location. » Il y aura donc sûrement un jour un appel d’offres pour un « terminal Louvre en location ».
Chacun des groupes de travail est l’auteur d’idées géniales, auxquelles on n’aurait sans doute pas pensé, et sur lesquelles l’OPPIC et le cabinet François Chatillon pourront s’appuyer. C’est ainsi que (au même niveau que les phrases citées précédemment), on peut lire que : « La mise à jour des informations en temps réel est un enjeu fort » (rappelons qu’il s’agit du numérique pour l’ « expérience visiteur »). C’est très finement pensé.
Tout de suite après vient une considération sur la « base de données des œuvres ». Outre qu’on ne voit pas très bien ce que cela vient faire ici, la recommandation est savoureuse. Celle-ci, en effet, est : « à moderniser et à rendre plus intuitive/accessible (notamment grâce à l’IA) ». L’intelligence artificielle est citée un peu partout dans le document, comme une chose dont il faudrait absolument parler (on est moderne ou on ne l’est pas), mais sans que le sujet soit maîtrisé le moins du monde. « Il faut de l’IA » devient presque un principe de base.
D’ailleurs, le sujet suivant, « les outils conversationnels » (placé au même niveau que « l’expérience visiteur »), également lié à l’IA, est cité de la manière suivante : « Le besoin d’outils conversationnels est questionnable, mais il semble important d’évoluer au rythme des avancées technologiques ». Nous traduisons pour les non initiés : « on ne sait pas exactement ce que c’est ni à quoi ça sert, mais ça fait moderne ».
Nous ne pouvons tout citer. Remarquons néanmoins au point suivant (« Les informations à diffuser ») : « Le numérique pourrait proposer des solutions plus intuitives dans les manières de naviguer et d’accéder à une information pour éviter la superposition de cartels ». Toute la phrase est en gras, c’est donc sûrement important, même si nous ne comprenons pas bien ce que cela signifie…
Nous restons dans le chapitre : « Le numérique au Louvre pour les publics » avec, une nouvelle fois, l’intelligence artificielle, dans un paragraphe intitulé (une nouvelle fois dans un français approximatif) : « L’intelligence artificielle vs sobriété ».
On y apprend un peu plus à quoi servirait l’IA, bien que ce ne soit pas beaucoup plus clair dans l’esprit du rédacteur : « L’IA permettrait de proposer des parcours de visite en prenant en compte différents paramètres : mobilités, liste d’œuvres à voir, enfants, temps, etc. »
Mais finalement l’interrogation métaphysique « est-ce bien nécessaire » resurgit au point suivant : « La sobriété ambitionnée implique de s’interroger sur la pertinence et le réel besoin de développement de l’IA. Le besoin le plus urgent étant la connectique Wifi et 5G. »
La conclusion s’impose donc : « Avant de pouvoir déployer des dispositifs tels que l’IA, un travail important de centralisation et de fiabilisation des données est à fournir ». Quelles données, quelle centralisation ? On verra plus tard.
Ce chapitre se conclut sur une phrase forte à propos du « schéma directeur des systèmes d’information et du numérique » : « Il repose sur l’innovation, la responsabilité environnementale et sociétale, et la lutte contre les fraudes, avec des projets identifiés et une gouvernance flexible pour répondre aux besoins des publics et internes. »
Après s’être intéressé au numérique pour le visiteur, la suite se consacre au numérique « pour l’administration et les agents en tant qu’utilisateur (sic) ». Nous craignons de lasser le lecteur et passerons plus rapidement. Notons cependant qu’il est question de sujets sans aucun rapport avec les travaux à venir puisqu’on parle de couverture réseau, du logiciel comptable et de la question de communication avec les agents d’accueil et de sûreté. On va même jusqu’à s’interroger sur la question des téléphones professionnels, ce qui n’a aucun, mais vraiment aucun rapport avec le sujet de départ.
Notons néanmoins sans pouvoir les expliquer quelques points :
* « Besoin de signature et de parapheur électronique » (un point sans doute fondamental que l’on retrouve ailleurs).
* « Refonte et simplification du système de réservation pour les groupes à prévoir ».
* « Souhait de rendre les systèmes actuels interopérables dans l’attente de la refonte de certains outils ».
Enfin, ce chapitre se conclut (et cet article aussi) une nouvelle fois sur l’intelligence artificielle. Nous citons ces deux points en laissant méditer le lecteur jusqu’à la parution du prochain article :
* « Souhait de saisir les opportunités proposées par l’IA dans l’ensemble des métiers tout en les maîtrisant (fiabilité, sécurisation) ».
* « Souhait de partager davantage entre les directions afin de capitaliser sur le travail déjà effectué ».