Louvre : le mépris pour les conservateurs, l’édition et le travail scientifique

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1. Cour Lefuel au Louvre en 2013
(avant restauration)
Photo : Sailko (CC BY 3.0)
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Pour ce nouvel article consacré à la politique du Louvre, nous avons interrogé le musée. Celui-ci, probablement agacé par les deux précédents (ici et ), a choisi de ne pas répondre. Finalement, cela vaut peut-être mieux, car ses explications sont parfois fausses. C’est ainsi que nous l’avions questionné le 25 janvier sur l’espace de réception pour la présidence créé dans la cour Lefuel (ill. 1) à la place d’un ancien restaurant. Il nous avait fait la réponse suivante : « tout cela prête à sourire (ou pleurer selon votre humeur). L’espace de restauration a été fermé en… 2007. Nous avons décidé d’y installer une salle de travail/réunion qui peut aussi servir de réceptif pour le musée ».
Réponse mensongère. D’abord par omission, en « oubliant » de préciser que la fermeture avait été causée par des causes structurelles graves (infiltrations et effondrement) et que ceci n’a pu être résolu qu’à la suite de gros travaux qui se sont terminés il y a un an et demi. Un musée qui se plaint de ne pas avoir suffisamment d’espaces de restauration aurait pu le rendre à cette destination, d’autant que la terrasse dans cette cour permettrait d’admirer des façades historiques qui sont aujourd’hui complètement cachées aux visiteurs.
Ensuite un deuxième mensonge : il s’agit bien d’un espace réservé à la direction puisque cette soi-disant « salle de travail/réunion » est hors agenda des salles de réunion et ne peut être réservée par tout le monde : seule l’assistante de Laurence des Cars a la main dessus.
Il ne s’agit pas d’une salle de réunion mais bien d’une salle à manger, d’autant - ce que le Louvre s’est bien gardé de préciser - qu’elle y bénéficie « de cuisines neuves - pas très grandes mais équipées d’un matériel pro de qualité » selon le Canard Enchaîné du 19/3/25, qui donne le montant de la note : 497 000 euros TTC.

Le Louvre a répondu au Canard que la salle à manger existante manquait de standing pour recevoir des « hôtes de marque ». On songe par exemple aux mécènes, qu’on doit bien traiter. Mais pourquoi ne pas simplement les inviter dans un très bon restaurant comme le font les autres musées ? Imaginons qu’il faille ainsi organiser deux repas de ce type par mois (ce qui est large). Et que ce repas compte en moyenne quatre personnes. Dans un restaurant étoilé - donc une réception « de standing » pour des « hôtes de marque », cela coûterait environ 600 euros. Ceci pendant 10 mois par an en excluant les deux mois d’été. Un calcul très simple permet de déterminer que 497 000 euros représente environ 40 ans d’un tel traitement. Et en réalité encore beaucoup plus puisqu’il faut également payer la main d’œuvre et les ingrédients pour préparer les repas.

Tout cela est déjà un peu scandaleux. Mais ce n’est pas tout. Depuis deux mois, le Louvre a pris, pour la cantine du personnel, un nouveau prestataire. Et c’est le moins disant qui a été choisi. Plusieurs témoignages racontent tous la même chose : prix en hausse, et qualité en baisse, le tout complété par un choix en berne ; écoutons un de ceux que nous avons recueillis (nous sommes autour du 25 mars) : « Cela fait une semaine qu’il n’y a plus de fruits. Même la compote de pommes a disparu. A 13 h 30, il ne reste pratiquement plus qu’un plat alors que le personnel hors surveillance (et donc les conservateurs) sont priés d’arriver seulement à partir de 13 h, et que le dernier tour de la surveillance arrive vers 13 h 50 ».
Il est vrai que Laurence des Cars ne va jamais à cette cantine, alors que même Jean-Luc Martinez y passait de temps en temps. Elle n’est donc peut-être pas au courant… La combinaison d’une salle à manger de luxe pour la direction et d’une cantine au rabais pour le personnel est pour le moins maladroite. 

Si le personnel dans son ensemble n’est pas bien traité, les conservateurs et le personnel scientifique, qui sont tout de même les fondements d’un musée, le sont sans doute encore plus mal. Et cela se mêle d’un mépris ouvertement affiché pour leur travail.
Nous ne reviendrons pas sur le refus de la présidente de dire bonjour aux personnes qu’elle croise. Mais pour les conservateurs, l’humiliation est permanente. Elle ne leur adresse pas la parole, même pour certains qu’elle connaissait pourtant de longue date, à quelques rares exceptions près (les témoignages sont nombreux). Même dans les salles vides, le mardi jour de fermeture, elle ne daigne pas les saluer.
Écoutons une personne de la conservation : « elle ne nous salue pas dans les inaugurations, jamais. Elle se détourne volontairement quand on veut lui parler. On a des idées sur les acquisitions, sur tout le reste et il serait normal qu’on puisse parfois lui en faire part. On ne l’a jamais vue. Elle est venue au tout début, a passé dix secondes avec chaque personne dans toutes les directions. Depuis, il n’y a aucun dialogue avec les conservateurs. Elle veut changer les accrochages, mais elle ne nous demande jamais ce qu’on en pense. » Ainsi les conservateurs ont appris par le document d’expression des besoins (voir l’article) son souhait de créer dans le quadrilatère Sully un espace dédié à la restauration des grands formats de peinture.

Bien sûr, certains départements sont mieux traités que d’autres, en fonction de la personnalité du directeur. Pour les acquisitions notamment, il doit y avoir un vote au sein du département. C’est le processus normal comme cela se passe par exemple aux sculptures : chacun vote, puis la proposition est faite à Laurence des Cars qui décide. En dessous de 200 000 euros, la commission d’acquisition interne du Louvre se prononce, au-dessus c’est le Conseil artistique des musées nationaux au niveau du ministère. Mais si le département des sculptures fonctionne bien, tel n’est pas le cas par exemple de celui des peintures où le choix est celui du directeur, qui fait, après validation par la présidente, voter ses conservateurs, mais dans un scrutin uniquement consultatif.
Lorsque nous avions rencontré pour la première fois Laurence des Cars, celle-ci nous avait affirmé vouloir laisser les départements totalement libres de leurs acquisitions, n’ayant pour rôle que d’arbitrer budgétairement. C’est bien entendu l’inverse qui est la règle. Elle intervient sur tout. Parfois d’ailleurs pour le meilleur, comme lorsqu’elle se charge elle-même d’une acquisition en court-circuitant le directeur du département des Arts graphiques. Parfois pour le pire en refusant des acquisitions pourtant nécessaires pour le musée.

2. Coffret comprenant les trois volumes du catalogue de l’orfèvrerie du Louvre
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Ce mépris pour les gens se combine d’un mépris pour les publications scientifiques. Alors que les éditions du Louvre étaient considérées par tous comme exemplaires, on a fait comprendre à leur responsable qu’il serait souhaitable qu’elle parte, ce qu’elle a fait en prenant sa retraite. Depuis, la qualité des éditions ne cesse de baisser. Laurence des Cars ne veut plus des gros catalogues d’expositions avec notices, ni des catalogues raisonnés des collections, sauf si du mécénat est trouvé. Quand on lui a présenté l’admirable catalogue en trois tomes de l’orfèvrerie au Louvre (ill. 2), elle a appelé cet ouvrage - et ce n’était pas pour l’admirer - un « monstre ». Cette histoire a fait le tour des départements [1]. « Trop de textes » disent fréquemment la présidente et sa directrice des éditions (nous avons plusieurs témoignages en ce sens). Cela rappelle le « trop de notes mon cher Mozart » du film Amadeus ! Si certains catalogues récents comme celui de l’exposition Guillon-Lethière - il est vrai conçu par le Clark - ou Cimabue ont encore de vraies notices, ceux de « Naples à Paris » et de « Figures du Fou » les ont vu rejetées à la fin, tandis que celui de « Rodolphe II » n’a plus que des fiches techniques d’ailleurs très succinctes également à la fin de l’ouvrage. Ces catalogues ont d’ailleurs encore « trop de textes ».
Le manque de considération pour des personnes aussi remarquables que Michèle Bimbenet, ancienne conservatrice au département des Objets d’art et aujourd’hui à la retraite, s’est également traduit par le refus que son nom, comme cela est normal pour tout livre, soit inscrit sur la couverture de celui sur la tabatière Choiseul qu’elle a entièrement conçu et dirigé alors qu’elle n’était plus en poste [2].

Les conservateurs sont-ils encore nécessaires au Louvre ? Sans doute, mais avec des nuances. « Le savoir ne vient plus des départements » a osé dire la présidente. D’ailleurs, comme elle l’a aussi déclaré : « Nos 500 000 œuvres ne sont qu’une immense source de data, nos métiers vont changer. » Les retours que nous avons sur la conception de l’intelligence artificielle par Laurence des Cars sont contradictoires, et sa non réponse à notre mail laisse la question ouverte. Pense-t-elle remplacer par celle-ci une partie du travail des conservateurs comme certains le comprennent ? Ou au contraire est-elle méfiante devant une technologie qu’elle avoue ne pas bien comprendre ? Les réponses que nous avons eues de la part de nos interlocuteurs varient. Devant tout le personnel du Louvre réuni, il y a quelques jours, elle a cité un conservateur du département des Antiquités égyptiennes pour s’en moquer en l’appelant « l’épigraphe » (sans même savoir qu’on dit « épigraphiste »…). Une personne présente à ce discours a compris qu’il s’agissait simplement de mettre les traductions de textes anciens à disposition du public sur les smartphones. D’autres qu’elle s’imagine que, demain, il ne sera plus nécessaire aux conservateurs de connaître l’épigraphie : les téléphones feront ça tout aussi bien… On ne prête qu’aux riches.

Avant de vouloir mettre en place l’intelligence artificielle, elle devrait peut-être, pense un conservateur, se pencher d’abord sur les bases de données du Louvre : « Les équipes informatiques ne sont pas concernées par ça. Les bases de données sont truffées d’erreurs mais il n’y a aucune politique globale sur ce sujet, aucun intérêt ni aucune volonté pour l’améliorer, aucun plan d’action. Quand on compare avec certains autres grands musées, comme le Metropolitan Museum, la National Gallery de Londres ou le Prado… Quelques œuvres avaient de vraies notices, tout est passé à la trappe lors du changement de système. On n’a même pas récupéré les textes. »
Alors que tout le monde n’a que le mot « provenances » à la bouche, un conservateur nous a fait remarquer que sans notices détaillées et historiques, il va être bien difficile de travailler sur ce sujet. Quant à la nécessaire numérisation des documentations dont il a longtemps été question, on se doute que ce n’est plus la priorité du Louvre.

Laurence des Cars prétend demander l’avis du personnel sur son grand projet. Elle a pour cela fait le tour des départements, une rare occasion donc d’échanger avec les conservateurs. Échanger est un grand mot d’ailleurs. Après une heure et demi de présentation, elle leur a donné la parole pour des questions, mais s’est empressée immédiatement de ne pas répondre à celles un peu embarrassantes.
Lorsque le président de la République est venu au Louvre en janvier pour le lancement de ce grand projet, seuls les directeurs de département ont été invités à lui faire une haie d’honneur : tout le reste du musée a été prié de télétravailler. La concertation commençait bien. Une concertation qui manifestement ne va pas jusqu’à consulter les conservateurs sur certains objets dont ils ont la responsabilité : ils apprennent parfois au dernier moment que des œuvres dont ils ont la charge sont prêtées à l’extérieur, sur décision de la présidente, sans qu’ils en aient été informés et sans évidemment qu’on leur demande leur avis.

Nous reviendrons dans un prochain article sur l’organisation de ce projet « Nouvelle renaissance », totalement irréaliste comme nous l’avons déjà écrit. La « Nouvelle Renaissance du Louvre » n’est pas forcément pour demain…

Didier Rykner

Notes

[1Nous avons donc contacté Michèle Bimbenet, l’auteur de cette somme remarquable, qui nous l’a confirmée.

[2Remarquons que ces deux ouvrages, celui sur l’orfèvrerie (le « monstre »), et celui sur la tabatière Choiseul, ont eu respectivement le prix du Syndicat National des Antiquaires, et le prix Drouot des Amateurs du Livre d’Art.

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