Nous avons publié pas moins de 95 articles sur la politique de Jean-Luc Martinez, dont la grande majorité révélait des affaires indignes de ce musée. Nous avions été soulagés de voir que celui-ci n’était pas renouvelé. L’annonce de la nomination de Laurence des Cars ne nous avait pour autant jamais paru une excellente nouvelle, car ses antécédents ne parlaient pas forcément pour elle, notamment son passage à la tête de France Muséums. Mais au Musée d’Orsay, un établissement lui aussi longuement éprouvé par son prédécesseur, elle n’avait pas fait trop de vagues même si les langues commencent à se délier.
Il en va désormais tout autrement au Musée du Louvre où sa véritable nature peut s’épanouir. Nous avons parlé ici du projet désolant qu’elle menace de mener avec la complicité du chef de l’État (voir l’article). Nous avons encore hélas beaucoup de choses à écrire. Mais en attendant ces prochains articles - en espérant ne pas avoir à dépasser le nombre effarant de 95 - il n’est pas inutile de constater ce qu’elle a fait - ou n’a pas fait - depuis le départ de Jean-Luc Martinez. Car la présidente-directrice du musée est tout de même en poste depuis pratiquement plus de trois ans et demi. Nous reprendrons donc point par point l’article que nous avions publié pour faire le bilan de son prédécesseur afin de voir ce qui a été fait, ou non. Cela nous permettra également d’annoncer plusieurs articles à venir.
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- 1. Rembrandt van Rijn (1606-1669)
Le Porte-Étendard, 1636
Huile sur toile - 118,8 x 96,8 cm
Amsterdam, Rijksmuseum
Photo : Rijksmuseum/domaine public - Voir l´image dans sa page
1. L’affaire des Rembrandt Rothschild. Nous avions révélé que ces deux tableaux avaient reçu en catimini leur certificat d’exportation. Leur départ définitif de France a finalement pu être évité mais plutôt que d’acquérir les deux œuvres - ce qui était possible, grâce au mécénat de la Banque de France - des interventions politiques avaient entrainé une solution absurde : leur acquisition conjointe par le Louvre et le Rijksmuseum.
Laurence des Cars a également son affaire de Rembrandt Rothschild ! Car juste avant son départ - et c’est une action qu’il faut saluer - Jean-Luc Martinez avait négocié avec Abu Dhabi la prolongation de l’utilisation du nom du Louvre pendant vingt ans pour 165 millions d’euros, soit exactement la somme qu’il fallait débourser pour acheter Le Porte-Drapeau (ill. 1), cet autre Rembrandt Rothschild. Il voulait en effet (ayant sans doute tiré la leçon de la précédente affaire) l’utiliser pour acquérir ce Rembrandt insigne. Nous pensions que Laurence des Cars venant d’arriver n’avait pas eu son mot à dire dans l’abandon de son achat (voir l’article) et nous mettions en cause le chef de l’État. Nous nous trompions : comme nous l’avons appris depuis, c’est bien elle qui a finalement renoncé à enrichir le Louvre d’un tableau superbe qui aurait pu devenir un des symboles du Louvre. On comprend d’ailleurs aujourd’hui pourquoi : elle avait besoin de cet argent pour son grand projet.
2. Des réserves beaucoup trop loin du musée. Bien sûr, aucun président du Louvre succédant à Jean-Luc Martinez ne pouvait revenir en arrière (voir les articles). Sur ce plan Laurence des Cars n’a rien à se reprocher, même si - et c’est un point que nous devrons approfondir - son projet prévoit de supprimer encore des réserves pour aménager l’entrée du côté de la colonnade (ce point est également décrit succinctement dans le document que nous avons disséqué).
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- 2. Un des deux escaliers hélicoïdaux qui mènent à la Salle du Manège puis à l’escalier de la Victoire de Samothrace
Très bientôt supprimé !
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
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- 3. Salle du Manège (en travaux) où débouchent les deux escaliers hélicoïdaux
qui vont être supprimés
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
3. Un aménagement coûteux et raté du Pavillon de l’Horloge. Nous reprochions aussi l’aménagement coûteux et raté du pavillon de l’Horloge par Jean-Luc Martinez. Si Laurence des Cars a choisi de revenir en arrière, ce que nous ne pouvions qu’approuver (voir l’article), on découvre aujourd’hui que tout cet argent dépensé à faire et à refaire aurait été bien plus utile dans l’entretien du musée. Comptons tout de même cela à l’actif de la présidente-directrice.
En revanche, celle-ci s’y connaît en travaux coûteux et inutiles : les travaux menés dans le département des Antiquités islamiques, seulement treize ans après qu’ils ont été faits, ne répondent à aucune nécessité réelle et seront au moins aussi coûteux que ceux du pavillon de l’Horloge.
Pire encore, nous avons appris qu’un autre projet va débuter : la suppression des deux escaliers hélicoïdaux qui mènent du sous-sol de la pyramide à la salle du Manège (ill. 2 et 3), et de là à la salle des Esclaves de Michel-Ange ou au passage Daru vers la victoire de Samothrace. Il suffit de visiter le Louvre pour constater que ces escaliers sont utilisés par un nombre considérable de touristes. Une très grande partie des visiteurs du Louvre entrent par l’aile Denon, ce qui représente plusieurs milliers de personnes par jour. Par où passeront-elles faute de pouvoir se rendre dans la salle du Manège directement pour monter l’escalier de Samothrace ? Par les salles Donatello à droite et celles de la Grèce Antique à gauche, des salles très riches en œuvres d’art où un tel flux de visiteurs se contentant de les traverser est susceptible de menacer les œuvres. Mais peut-être celles-ci seront-elles enlevées pour exposer « moins mais mieux »…
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- 4. Entrée de l’exposition Cimabue
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
4. Une gestion désastreuse des expositions Valentin de Boulogne et Vermeer. Les salles d’exposition sous la pyramide ont été fermées pendant tous son début de mandat et ne viennent de rouvrir que pour l’exposition sur la figure du Fou. Difficile donc de renouveler cet exploit. Pourtant, la visite de l’exposition Cimabue (ill. 4), sur laquelle nous reviendrons, démontre une fois de plus que l’organisation n’est pas un point fort du Louvre...
5. Une politique d’expositions à Lens absurde. Nous reconnaissions que ce point avait été amélioré déjà sous la présidence de Jean-Luc Martinez. Les expositions de Lens sont demeurées thématiques, susceptibles d’attirer davantage de visiteurs que les rétrospectives pointues qui n’y avaient pas leur place.
6. Les difficultés de travailler pour les conservateurs du Louvre. Sur ce point, rien n’a vraiment changé, et les échos que nous avons de leur part ne parlent pas en faveur de la gestion de Laurence des Cars qui manifestement n’aime pas beaucoup les conservateurs ni leur travail scientifique. Nous aurons l’occasion de revenir prochainement en détail sur cette question.
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- 5. Le plan d’ouverture des salles du 17 au 25 mars 2025, même pas respecté
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- 6. Une salle théoriquement ouverte le 21 mars 2025. Fermée !
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
7. Des fermetures de salles permanentes massives et que le Louvre n’assume pas en mentant aux visiteurs. Là encore, rien n’a changé, comme nous le verrons aussi. Incapable d’ouvrir le musée qui n’a sans doute depuis trente ans jamais été autant fermé, Laurence des Cars prétend mener un énorme projet inutile, ce qui démontre une absence certaine du sens des priorités. Même les plans d’ouverture de salles (ill. 5), qui officialisent des fermetures quotidiennes de salle et sont mises à jour toutes les semaines, ne sont pas respectés et changent en cours de journée (ill. 6). Les agents aux bornes d’information sont ainsi dans l’incapacité de confirmer l’ouverture de certaines salles.
8. La marginalisation des départements et des conservateurs. Cela ne s’est pas amélioré. Nous aurons également l’occasion d’y revenir. Notons par exemple que lors d’un des deux entretiens que nous avons pu avoir avec Laurence des Cars (chaque fois demandé comme off par la présidente-directrice qui nous promettait des interviews on qui ne sont jamais venues et que nous lisions sous la plume de nos confrères), celle-ci nous avait dit ne jamais vouloir intervenir - sauf éventuellement pour arbitrer - dans les acquisitions des départements. C’est exactement l’inverse de sa politique interventionniste qui arrive, pour le pire souvent, pour le meilleur parfois néanmoins, par exemple quand il s’agit de court-circuiter le directeur du département des Arts graphiques.
9. Les conférenciers traités par le mépris. Nous n’avons pas d’informations à ce sujet, mais nous le regarderons aussi de près.
10. Le Louvre épinglé par la cour des Comptes car il ne fait pas respecter par Abu Dhabi le contrat sur les produits et publicités. Un nouvel audit de la Cour des Comptes a lieu actuellement, et celui-ci devrait être assez critique. Nous y reviendrons, bien sûr.
11. Multiplication des postes de direction (hors conservation) et nombre de gardiens ne cessant de diminuer… Nous avions même parlé d’armée mexicaine pour les postes de direction. Sur ces deux points, rien n’a changé, bien au contraire. L’armée mexicaine a été presque entièrement remplacée, mais elle est toujours là, à la différence des gardiens. Au second étage de la Cour Carrée dans les collections de peinture nordique, nous avons compté dimanche 16 mars seulement trois gardiens pour dix-sept salles. Celles de peinture européenne du XIXe siècle, qui se trouvent dans un cul-de-sac, étaient closes, comme c’est très souvent le cas. Et lorsque nous avons interrogé les gardiens sur les raisons de cette fermeture, la réponse était unanime : « il n’y a pas assez d’effectifs » (voir aussi le point 7).
12. Le refus par le Louvre du don d’un fragment de tombeau royal. Bien sûr, ce triste épisode n’a pas pu se renouveler.
13. Un chaos au Louvre causé par le déplacement de la Joconde. C’est bien à un chaos beaucoup plus grand qu’est promis le Louvre à cause d’un nouveau déplacement de la Joconde, mais celui-ci voulu comme permanent.
14. Les environs du Louvre saturés de baraquements et d’installations « temporaires », de Saint-Germain-l’Auxerrois à la Concorde. Cela nous semblait indigne du palais. Celles-ci existent toujours même si elles semblent moins nombreuses (un point qui reste toutefois à vérifier).
15. Le non respect de la jauge sous la pyramide pour l’exposition Léonard. Il ne semble pas que ce problème se soit à nouveau produit. Il est vrai que, comme nous l’avons dit plus haut, les espaces d’exposition sous la Pyramide ont été fermés longtemps et viennent juste de rouvrir. En revanche, et cette information vient de l’intérieur du Louvre, confirmée par un communiqué récent du syndicat CFE-GGC Culture [1], la fête organisée à l’occasion de la fin de l’exposition sur la figure du Fou, en raison de l’affluence et de la difficulté de contrôler une foule qui n’était pas là pour voir les œuvres mais pour s’amuser, a donné des sueurs froides à la direction de la sécurité.
16. Des travaux inutiles et coûteux dans les salles des Antiquités grecques et romaines. Pour les travaux inutiles et coûteux, comme nous avons pu le voir, Jean-Luc Martinez était un amateur en comparaison avec Laurence des Cars. Pour éviter un procès avec les héritiers Twombly, celle-ci a dû revenir en arrière sur l’aménagement de la salle des bronzes ; elle n’avait pas vraiment le choix.
17. L’envoi à Liévin d’œuvres qui devraient être accrochées au Louvre. Mettons au crédit de Laurence des Cars le retour des grands tableaux de Jean-François de Troy et de Noël Hallé dans la salle des Sept Cheminées. Mais sa volonté désormais d’exposer moins d’œuvres au Louvre risque d’avoir des effets tout aussi néfastes.
18. Une politique de produits dérivés bas de gamme. Nous n’avons aucune information sur le renouvellement de ce type de partenariat avec Alibaba ou d’autres opérations équivalentes.
19. Des acquisitions à des prix parfois délirants. Nous reviendrons sur la politique d’acquisition du Louvre qui n’est pas beaucoup plus brillante que sous l’ère Martinez.
20. 260 bronzes grecs abîmés par la corrosion à cause des travaux de la salle des Bronzes. Fort heureusement, il ne semble pas que la politique de Laurence des Cars ait provoqué la détérioration d’œuvres. En revanche, elle a pour objectif de dénaturer (volontairement cette fois) le palais, ce qui n’est pas mieux.
21. Des travaux inutiles dans le jardin de l’Infante. Là encore, il s’agit de travaux inutiles dont on a dit que beaucoup étaient en cours ou en projet.
22. Des mécènes très mal traités. Il faut espérer - nous n’avons à ce stade aucune information - que les mécènes sont aujourd’hui mieux considérés (d’autant que la présidente-directrice va en avoir besoin pour son projet).
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- 7. La Salle Denon, sans boutiques, mais sans que les tableaux soient revenus
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
23. Nous résumions sous ce numéro d’autres affaires diverses. Parmi celles-ci certaines sont toujours d’actualité : la non maîtrise par le musée des outils informatiques, notamment pour la réservation en ligne (voir l’article), ou les contraintes imposées aux autres musées pour le prêt des œuvres. Sur ce dernier point, notons néanmoins que les conditions d’exposition des dessins se sont assouplies.
Ajoutons un point positif pour Laurence des Cars : elle a enlevé le magasin bas de gamme que Jean-Luc Martinez avait installé dans la salle Denon (voir l’article). Mais les tableaux qui avaient été enlevés à cette occasion, dont Les Illusions perdues de Charles Gleyre sont-ils revenus ? Évidemment non (ill. 7).
Voilà un petit bilan très partiel qui semble démontrer que les choses ne se sont pas beaucoup amélioré au Louvre. Et nous montrerons qu’en réalité, et personne ne pensait cela possible, elles sont encore pire.