Les préconisations de la commission pour le réaménagement de la Concorde

5 5 commentaires Toutes les versions de cet article : English , français

Contrairement à ce que certains ont pu comprendre, la commission mise en place par la mairie de Paris pour faire des préconisations sur l’aménagement de la place de la Concorde ne lui a pas donné un blanc-seing. Le terme « végétaliser », néologisme employé à toutes les sauces par la municipalité, que l’on retrouve aussi dans ce (très court) rapport, n’a manifestement pas le même sens pour tout le monde. Il n’est en effet jamais question de planter des arbres sur la place, et pas davantage de transformer celle-ci en lieu d’événements permanents comme cela a été le cas bien trop souvent ces dernières années, et encore aujourd’hui avec les Jeux Olympiques.

Reprenons donc ces préconisations telles qu’elles apparaissent dans le rapport, avec dans un premier temps celles qui ne souffrent aucune discussion car elles prennent en compte le caractère historique des lieux.
Les deux premières demandent de « conserver le caractère historique de la place […] et [s]es grandes perspectives » et de « préserver et valoriser les éléments architecturaux et décors historiques existants […] ». C’est en effet la moindre des choses pour un lieu entièrement classé monument historique et se trouvant dans le périmètre inscrit par l’Unesco au patrimoine mondial de l’humanité.

La commission préconise également (afin d’aider à restaurer la symétrie de la place) de supprimer les deux trémies automobiles, héritées des années Pompidou dont la politique était d’adapter la ville à l’automobile. Cela permettra d’une part de « retrouver la continuité historique entre les jardins des Champs-Élysées et la place de la Concorde », de l’autre de « renforcer le lien avec la Seine ». Incontestablement, ces deux aménagements n’était guère heureux même s’ils ne dépassent qu’à peine la hauteur du sol ; leur suppression est une bonne chose. Ce qui ne veut évidemment pas dire supprimer toute la circulation sur la place de la Concorde : Paris est une ville historique, mais elle est également une capitale économique. La politique pompidolienne était une catastrophe, celle d’Anne Hidalgo, qui prend son exact contre-pied, en est une autre. La solution idéale se trouve entre les deux, ce que la commission a parfaitement compris en préconisant de « réduire l’emprise de la circulation automobile », pas de la supprimer, en « séparant les flux » de piétons, cyclistes et automobilistes.


1. La place de la Concorde en 1846 sur un tableau de Jean-Charles Geslin (1814-1887) conservé au Musée Carnavalet, montrant le premier état Hittorff
(illustration tirée du rapport)
Voir l´image dans sa page

Une autre préconisation forte consiste à retrouver un état de la place la plus proche possible de ce qu’elle était dans le premier état conçu par Jacques-Ignace Hittorff (ill. 1), en restituant les fossés créés par Ange-Jacques Gabriel au XVIIIe siècle (ill. 2 et 3). Cela veut donc dire s’écarter un peu de la charte de Venise, qui spécifie que « les apports valables de toutes les époques à l’édification d’un monument doivent être respectées ». Peut-on dire que le comblement de ces fossés est un apport valable ? Même si Hittorff avait dès l’origine proposé cette solution, on peut effectivement le discuter. Notons néanmoins que c’est la place dans son deuxième état Hittorff (ill. 4) qui a été classée en 1937.


2. Plan de 1756 d’Ange-Jacques Gabriel pour la place de la Concorde
conservée aux Archives nationales (illustration tirée du rapport)
Voir l´image dans sa page
3. La place de la Concorde, état Gabriel en 1763 sur une estampe de
René-Jacques Charpentier (1733-1770) conservée à la BnF
(illustration tirée du rapport)
Voir l´image dans sa page

Il reste que la charte dit aussi que : « lorsqu’un édifice comporte plusieurs états superposés, le dégagement d’un état sous-jacent ne se justifie qu’exceptionnellement et à condition que les éléments enlevés ne présentent que peu d’intérêt, que la composition mise au jour constitue un témoignage de haute valeur historique, archéologique ou esthétique, et que son état de conservation soit jugé suffisant ». Il n’est pas absurde de concevoir que cela puisse justifier ce retour au premier état Hittorff.


4. La place de la Concorde vers 1854 sur une gravure
conservée à la BnF montrant le deuxième état Hittorff
(illustration tirée du rapport)
Voir l´image dans sa page

D’autant que si les réseaux souterrains ne permettent pas de retrouver partout la profondeur des fossés tels qu’ils existaient jusqu’au milieu du XIXe siècle (environ 5 mètres), les études récentes ont montré qu’on pouvait les recreuser à l’identique sur 45 % de leur emplacement initial, tandis que 32 % pourraient l’être sur plus de deux mètres, et 25 % sur une profondeur de 50 cm et 1 mètre. On conçoit bien comment il serait donc possible, de retrouver ces fossés sur une grande partie des côtés de la place, tandis qu’ils seraient évoqués aux autres emplacements. Si cela est fait avec talent, ces différences de niveau ne seront visibles que lorsqu’on s’en approchera. Quant à la question des balustrades qu’évoque le rapport, elle n’est pas difficile à résoudre puisqu’elles subsistent encore sur ce qui formait le côté intérieur des fossés (ill. 5), et qu’il suffira donc de reconstituer celles qui ont disparu en reprenant le même dessin.


5. Les balustrades des fossés dont une partie est restée en place et
qui permettra de restituer l’autre partie
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

C’est là qu’apparaît le mot « végétalisation ». Comme nous l’avons déjà écrit à plusieurs reprises, la place de la Concorde n’a jamais été plantée d’arbres. La seule végétation qui s’y trouvait était dans les fossés, et jamais des arbres de grande taille n’y avaient été prévus, ni par Gabriel ni par Hittorff comme d’ailleurs l’étude historique incluse dans le rapport le précise. Il s’agissait d’y installer des jardins. Il est d’ailleurs logique que des fossés comme ceux-ci n’aient jamais été prévus pour cela, ce qui n’existe nulle part dans l’architecture française. Si des arbres furent effectivement plantés qui, au début du XIXe siècle voyaient leurs frondaisons dépasser un peu au-dessus des fossés, ils le furent après la mort de Gabriel, et furent supprimés par Hittorff.

Quant à la place elle-même, elle ne fut engazonnée (il n’était évidemment jamais question d’y installer des arbres) que pendant une période très courte. Selon l’étude historique du rapport, elle ne fut pourvue de parterres de gazon qu’en 1786 (soit quatre ans après la mort de Gabriel) et cela ne dura que « quelques années ». Il ne s’agit en aucun cas d’un état historique, qu’il soit Gabriel ou Hittorff, et le rapport fait erreur (et contredit son étude historique) lorsqu’il parle des « anciens parterres de Gabriel » qui ne datent donc pas de Gabriel.
Une des préconisations est en effet de « désimperméabiliser les parterres », c’est-à-dire une partie de la place elle-même. Cela ne veut pas dire y installer des pelouses, et cette idée serait effectivement très mauvaise étant donné que l’objectif est de rendre une partie de l’espace aux piétons qui auront tôt fait de les ruiner. La commission a envisagé, même si cela n’est pas écrit, qu’il pourrait suffire d’enlever les joints entre les pierres couvrant le sol de la place afin de laisser passer l’eau. Le rapport affirme que cette « désimperméabilisation » devra « s’appuyer sur les études historiques ».
Pour en terminer avec la « végétalisation », notons qu’une des préconisations - « adapter les essences végétales aux enjeux climatiques » - précise que « les fossés, dans leur évocation, pourraient en accueillir une partie, sans que la hauteur de leur houppier n’occulte les façades de part et d’autre de la rue Royale ». Il n’y a donc aucune ambiguïté : aucun arbre de doit être installé place de la Concorde, tout au plus des arbustes dans les fossés.


6. Une ombrière, aussi inefficace qu’inélégante, installée par la mairie de Paris
devant la mairie du XVIIIe arrondissement. Bientôt place de la Concorde ?
Photo tirée d’un tweet de Dominique Dupré-Henry
Voir l´image dans sa page

Ambigu, le rapport l’est en revanche sur deux points : quand il parle de la « mise en place d’ombrages l’été » et de la conservation d’un « statut de rassemblement populaire ». Sur le premier, on peut s’inquiéter légitimement de ce que seront ces « ombrages d’été », surtout s’ils sont laissés à la discrétion de la mairie de Paris (ill. 6). Sur le second, il est évident qu’il n’est pas choquant que ponctuellement des événements populaires puissent être organisés sur une place qui les a toujours connus. Mais la commission s’est inquiété de leur nombre, bien trop élevé, et leur durée, beaucoup trop longue, comme on l’a vu ces dernières années (ill. 7 et 8), notamment avec le scandale de la grande roue (voir tous nos articles consacrés à la place). Ce qui est abordé trop timidement dans le rapport, qui se contente de « recommande[r] l’élaboration d’une charte établissant les règles générales d’utilisation événementielles de la place s’agissant tant de la durée des événements accueillis que des modalités d’implantation et du volume des installations que leur organisation requiert, dans le respect du maintien des flux piétonnes vélos ».


7. Place de la Concorde in September 2017
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page
8. La place de la Concorde en mai 2022
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

Jean-Jacques Aillagon, le président de la commission, que nous avons interrogé à ce sujet, s’est voulu rassurant, rappelant notamment que « le programme sera soumis à la commission nationale du patrimoine , en septembre, et qu’il y aura ensuite une consultation d’architectes dont le jury sera constitué par les membres de la commission. »
Si l’on est donc loin, pour l’instant, de ce que l’on pouvait craindre, nous resterons extrêmement vigilants. Le cahier des charges doit être précis et très contraignant, et seuls les architectes en chef des monuments historiques ou du patrimoine doivent être admis à concourir. N’oublions pas que nous sommes à Paris, et que la concertation dont se targue souvent Anne Hidalgo se résume à peu près à chaque fois à « vous êtes d’accord, on le fait, vous n’êtes pas d’accord, on le fait quand même ».

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.