Les piètres arguments des partisans de la tour Triangle

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Alors que le débat sur la tour Triangle fait rage dans les médias, il serait souhaitable que les partisans de ce projet cessent de faire croire une nouvelle fois (comme pour toute affaire de ce type) qu’il s’agit d’une bataille des anciens et des modernes, des méchants réactionnaires contre les gentils novateurs…
Chacun dispose d’arguments. Mais ceux employés par les défenseurs de la tour sont tout simplement irrecevables, comme nous le démontrons point par point ici. Nous aimerions, une fois au moins, qu’ils répondent à nos objections. Mais il est sans doute plus facile de discréditer ses adversaires par le mépris que de démontrer qu’ils ont tort.

À l’époque, la tour Eiffel a été également critiquée.

On se demande ce que les partisans de la tour Triangle ou de tout projet architectural contesté feraient s’ils ne pouvaient employer régulièrement cet argument. Malheureusement pour eux, il est absurde pour plusieurs raisons.

 Prétendre que les opposants à un projet aujourd’hui seraient les mêmes qu’il y a plus d’un siècle est un pur procès d’intention, aucunement un argument recevable ; on discute dans le cas présent de la tour Triangle, pas de la tour Eiffel. En quoi l’une justifierait-elle l’autre. Doit-on abdiquer tout esprit critique, doit-on tout accepter sous prétexte que la tour Eiffel a fait à ses débuts l’objet d’une polémique ?

 La tour Eiffel n’a pas été construite pour durer. Elle devait être démontée. C’est son intérêt architectural et son appropriation par les parisiens qui a permis de la conserver jusqu’à aujourd’hui. Il ne semble pas que la tour Triangle soit démontable…

 Derrière cette idée, se cache celle que les opposants à de nouveaux aménagements urbains se trompent forcément systématiquement puisqu’ils ont dit non à la tour Eiffel ; et curieusement, ceux qui emploient cet argument omettent de signaler que la tour Montparnasse, dont ils reconnaissent qu’elle est particulièrement ratée, a fait également, avant sa construction, l’objet d’une large polémique. On n’entend jamais dire que ceux qui sont contre la tour Triangle sont ceux qui étaient opposés à la tour Montparnasse, et cela a pourtant davantage de chances d’être exact. Tout comme les mêmes auraient sans doute été contre la destruction des Halles de Baltard, opposés à celle de la gare d’Orsay qui devait être remplacée par un bâtiment de grande hauteur, ou contre la construction de la tour de Jussieu, autre horreur dans le ciel parisien. Ces comparaisons seraient sans doute plus pertinentes mais elles ne sont jamais reprises par les thuriféraires de la tour Triangle, on voit bien pourquoi…

Les tours sont une expression de la modernité et Paris doit être moderne.

On aimerait comprendre en quoi une forme architecturale née à la fin du XIXe siècle à New York et qui s’est déployée partout dans le monde au XXe serait un témoignage de modernité au XXIe siècle. Un seul exemple : la Metropolitan Life Tower à New York, construite en 1909, mesure 213 m. 33 de plus que la tour Triangle. Cela n’empêche pas l’emploi de cet argument qui relève, comme beaucoup d’autres, de l’incantation : pour être moderne, il faut construire haut. C’est comme cela, il n’y a pas à discuter…
Autre petit problème, il n’y a pas que « d’affreux réactionnaires qui sont toujours contre tout par principe » qui s’opposent à la tour Triangle (ou à toutes les tours d’ailleurs). Certaines personnalités telles que Norman Foster s’y opposent également (voir cet article du Figaro « Paris n’a pas besoin de gratte-ciel ») et on ne peut pas dire que Norman Foster (lui même auteur de plusieurs tours) soit contre la « modernité ». Dans ce cas, les partisans de la tour Triangle n’ont évidemment plus aucun argument. Ils préfèrent donc passer cette opinion sous silence…

Paris doit avoir des tours, la preuve : Londres en a !

Cette comparaison de Londres avec Paris (voir par exemple ici), qui vise à discréditer la seconde à l’aide de la première, est un des arguments favoris des partisans des tours. Londres fait des tours, Paris doit en faire. D’ailleurs, Londres est une ville « attractive », bien sûr, tout cela grâce aux tours tandis que Paris est une ville « aseptisée », qui « perd son attractivité » et qui - quelle horreur ! – devient une « ville-musée » (c’est, avec la tour Eiffel, l’autre grand argument incantatoire des partisans des tours).
Mais jamais tous ces bons esprits ne démontrent une seule seconde que la construction de tours serait responsable du dynamisme londonien. Prendre deux faits séparés et les relier par une relation directe de cause à effet sans autre démonstration est simplement absurde.

1. La cathédrale Saint-Paul de Londres
et les tours
Photo : Jörg Bittner Unna/CC BY-SA 3.0
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Pas une seule seconde surtout ils ne s’interrogent sur les conséquences dramatiques pour Londres de la construction de tours qui viennent défigurer sa « skyline ».
Ce constat est fait par un certain nombre de personnalités anglaises qui n’hésitent pas (voir The Guardian) à écrire que les « 200 tours menacent de détruire le caractère de la ville ». Ils constatent que la situation à Londres – le modèle de nos « modernistes » - est hors de contrôle et que « cette transformation fondamentale [de la ville] se met en place avec un manque choquant de conscience des citoyens, de consultation ou de débat ». Propos de réactionnaires ennemis de la modernité ? Ce sera dur à plaider ! Parmi les signatures, on note celles de nombreux architectes, dont David Chipperfield, l’une des « 10 superstars de l’architecture » selon Vanity Fair [1], mais aussi celle du sculpteur Anish Kapoor.
Aujourd’hui, certaines parties de Londres sont déjà vandalisées par les tours (il suffit de voir la malheureuse église Saint-Paul entourée par ces immeubles - ill. 1). Demain, la capitale anglaise risque de ressembler à toutes ces villes du sud-est asiatique qui se développent sans aucune maîtrise, livrés à la spéculation immobilière la plus folle. Veut-on vraiment cela pour Paris ?

Les tours améliorent la densité et permettent d’économiser de l’espace au sol.

Qu’il s’agisse d’une contre-vérité a été maintes fois démontré mais cet argument est pourtant encore utilisé régulièrement par les partisans des tours, notamment ceux de la tour Triangle. Ainsi, Christian de Portzamparc explique doctement [2] : « il devient indispensable, d’utiliser les sites placés en bordure du Paris intra-muros plutôt que de continuer à étaler nos constructions » et « Les tours permettent de ne pas trop s’étaler et d’éviter de conquérir des surfaces agricoles. » Quant à Jacques Herzog, il prétend que « construire en hauteur, c’est libérer de l’espace au sol », ce qui est bien normal : il est l’un des auteurs de la tour Triangle.
Or, Paris est une des villes les plus denses du monde, largement plus dense d’ailleurs que les métropoles du sud-est asiatiques où les tours fleurissent pourtant. Pourquoi ? Parce que les tours ne peuvent être construites à touche-touche et nécessitent beaucoup d’espace autour d’elles. Les tours sont ainsi infiniment moins denses que l’habitat haussmannien et vouloir remplacer ce dernier par des tours contribuera encore davantage à l’étalement de l’urbanisation.

Les tours sont écologiques.

Cet argument est systématiquement repris comme une litanie lorsque la question écologique est mise sur la table. Nous ne rentrerons pas dans le débat si ce n’est pour remarquer que, jusqu’à présent, aucune tour construite n’a été réellement écologique, et que le plus écologique des immeubles de grande hauteur est plus énergivore que le moins écologique des immeubles habituels.
Regardons, au hasard, ce que dit le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, établissement public, après avoir réalisé une étude sur une vingtaine de tours de bureaux « remarquables ». Cela mérite d’être cité : « L’étude menée a apporté des enseignements très concrets. "Du fait de leurs configurations, et leurs profondeurs de plateaux, les tours se caractérisent notamment par de fortes dépenses en climatisation, ventilation et éclairage, détaille Sophie Cuenot. Les besoins en énergie pour le fonctionnement des ascenseurs se révèlent également importants. D’autre part, l’utilisation des énergies renouvelables est limitée à cause des faibles surfaces disponibles pour déployer des équipements tels que, par exemple, les panneaux photovoltaïques." De même, les façades vitrées ne sont pas idéales en termes de confort thermique et visuel. Elles génèrent également d’importantes déperditions d’énergie. » On nous annonce ensuite que de nombreuses pistes d’améliorations méritent d’être approfondies, ce que confirme Christian de Portzamparc : « il y a évidemment un travail à faire sur le plan énergétique ». C’est reconnaître ainsi implicitement que ce « travail » qui reste à faire ne l’a pas été. S’il y a d’ailleurs fort à parier qu’on ne réussisse jamais à construire des tours réellement écologiques, il est certain que la tour Triangle ne le sera pas.

Il est ahurissant que d’un côté on prétende imposer à l’habitat ancien des mesures catastrophiques pour leur esthétique et leur conservation sous prétexte de les rendre plus écologiques et que de l’autre on autorise la construction d’immeubles dont le bilan énergétique est désastreux.


2. Vue sur les Invalides, à partir de l’esplanade,
avec la tour Montparnasse
Photo : Didier Rykner
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3. Les Invalides vues du pont Alexandre III, avec des
bâtiments trop hauts apparaissant à gauche du dôme
Photo : Aziyadé
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Paris n’est pas menacé par les tours puisqu’elles sont à la périphérie.

4. Vue sur les Invalides, de la rive droite, après
construction de la tour Triangle
Photo-montage de l’association Monts 14
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Selon Christian de Portzamparc, farouche défenseur de ce projet (on le comprend lui aussi construit des tours), « Dire que faire des tours sur le périphérique gène le Paris horizontal historique n’est pas vrai. Le Paris historique a été parfaitement préservé en ville horizontale. Vous ne verrez, par exemple, aucune tour devant les Invalides. » Soit Christian de Portzamparc est de mauvaise foi – ce que nous ne saurions envisager – soit il ne connaît pas Paris et, surtout, il ne sait pas que les tours se voient de très loin – ce qui est tout aussi difficile à croire. Prendre l’exemple des Invalides est une erreur qui est facile à démontrer car s’il existe un monument dont la vision a été perturbée par les tours et l’urbanisme contemporain, les Invalides pourraient en être un exemple emblématique. Voici en effet l’impact de la tour Montparnasse sur les Invalides (ill. 2), celui d’immeubles qui se trouvent très loin pourtant de son dôme mais qui apparaissent derrière lui lorsque l’on se trouve sur le pont Alexandre III (ill. 3), et la vision du monument après la construction de la tour Triangle (photo-montage de Monts 14 – ill. 4).
Dire que le Paris historique a été « parfaitement préservé en ville horizontale », lorsque l’on a les points de vue suivants sur l’Institut, avec la tour Montparnasse derrière (ill. 5) ou sur l’île de la Cité vue du pont des Arts, avec la tour de Jussieu (ill. 6) n’est bien sûr pas moins faux.
D’ailleurs, évidemment, Christian de Portzamparc sait qu’une tour se voit de loin puisqu’il dit aussi : « il y a des avantages à avoir des points hauts dans un territoire urbain très dense qui ressemble à un immense labyrinthe et où il est difficile de se repérer. » ! La tour Triangle devient ainsi un repère pour ne pas se perdre dans Paris. On en rirait presque si le sujet n’était pas si grave.


5. Vue sur l’Institut, de la rive droite,
avec la tour Montparnasse
Photo : Didier Rykner
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6. Vu sur le Pont-Neuf, l’île de la Cité et la rive gauche,
prise du pont des Arts, avec la tour de Jussieu
Photo : Didier Rykner
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La tour Triangle attirera les entreprises innovantes à Paris.

Depuis quand Paris manque-t-il de bureaux ? Les chiffres sont vérifiables : Paris croule sous les bureaux qui ne trouvent pas preneur (voir notamment cet article). Pour Christian de Portzamparc : « Ce sont des bureaux modernes qui vont y être construits, et il y a une réelle demande pour ce genre de grands bureaux qui s’étendent sur des plateaux de près de 1000 m2. La plupart des bureaux vacants parisiens n’ont pas ces caractéristiques et ne trouvent donc pas preneur. » Mais de quoi parle-t-il ? Quelles sont ces entreprises qui ont besoin de près de 1000 m2 de plateaux ? Et dans l’hypothèse où elles auraient besoin de ces immenses plateaux et ne pourraient pas se répartir sur plusieurs étages, qui va croire qu’elles ne peuvent pas les trouver à la Défense (où 14% des surfaces cherchent preneurs) ou dans les immeubles modernes que l’on trouve un peu partout dans Paris. Affirmer sans démontrer est un des exercices préférés de ceux qui veulent construire des tours dans Paris.

La tour Triangle va créer 5000 emplois.

Depuis quand l’édification d’une tour crée-t-elle des emplois à part ceux, temporaires, des ouvriers qui la construiront ? Si construire une tour crée 5000 emplois, on connaît donc la solution pour vaincre le chômage : construisons 700 tours en France un peu partout et hop, le chômage n’existera plus.
On comprend bien – on croit comprendre en tout cas – ce qui sous-entend la « réflexion » des partisans des tours : en attirant des entreprises innovantes étrangères à Paris, on créera 5000 emplois. Nous renvoyons donc au point précédent : ce qui attirera les entreprises étrangères en France, ce seront des conditions économiques et fiscales attractives, pas l’existence de nouveaux bureaux alors qu’il existe déjà des milliers de m2 disponibles et qui ne trouvent pas preneur.

La tour Triangle est belle.

Nous ne discuterons pas ici plus avant d’un argument asséné comme une évidence mais qui dépend évidemment des goûts de chacun. On a le droit de la trouver belle, mais on a autant le droit de la trouver laide. Ce qui est certain en tout cas, c’est que la principale caractéristique souvent associée à ses prétendues qualités esthétiques par ses thuriféraires est fausse : la tour Triangle serait « transparente » ! On se rappelle déjà que la Canopée des Halles (monstruosité architecturale construite au cœur de Paris – qui a pour seul avantage de ne pas se voir de loin…) devait être également « transparente » alors qu’elle ne l’était déjà plus lorsque sa structure métallique a été terminée ! Même un imbécile peut comprendre qu’une tour, avant d’être constituée d’une paroi extérieure en verre, est d’abord faite de sols, de planchers, de parois, de gaines, de multiples éléments qui ne seront pas transparents et qui empêcheront évidemment leur assemblage d’être transparent. Comme l’écrit justement Yann Wehrling dans le JDD : « A moins de nous révéler l’existence d’un béton transparent composant une Tour aux sols et plafonds de verre… cette tour sera comme toutes les constructions actuelles … opaque pour l’essentiel, et projetant donc une importante ombre portée sur tous les bâtiments et espaces alentours ». La tour triangle sera peut-être réfléchissante, elle ne peut pas être transparente.

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