Les marchés publics, nouveaux boucs émissaires du Louvre et du ministère

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Musée du Louvre
Photo : Maksimsokolov (CC BY-SA 4.0)
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Lors de son audition devant la Commission des affaires culturelles du Sénat, Laurence des Cars a expliqué que les travaux de mise en sécurité « requièrent un temps considérable d’analyses et de diagnostics ». Ils seraient en effet « soumis aux procédures "complexes et lentes" des marchés publics ».
La lenteur des procédures qui justifierait les retards pris par le musée, une explication endossée par la ministre de la Culture, n’est rien d’autre qu’une plaisanterie…

Un excellent commentaire de l’article que vient de publier Le Figaro sur cette affaire, qui rappelle notamment que « Le Louvre a commis une infraction administrative » en ne renouvelant pas la demande d’autorisation des quelques caméras (inefficaces comme on l’a vu) placées sur ses façades, mérite d’être cité [1] :

« Les marchés publics, c’est la même chose que les marchés privés. Il y a juste une obligation de publicité préalable pendant un mois pour les gros marchés. Mais quiconque a mis les pieds dans une entreprise sait qu’on n’engage pas un marché de plusieurs millions d’euros en un claquement de doigts. La réalité, c’est que la direction du Louvre a négligé pendant quatre ans d’engager les marchés qui auraient permis de doter le musée de systèmes de sécurité dignes de ce nom alors qu’il abrite des œuvres valant des dizaines de milliards d’euros sur le marché de l’art. Et la direction des achats du musée du Louvre est nulle. Il suffisait de conclure des contrats-cadres préventivement et, de tirer ensuite une commande dès qu’on lui donnait le feu vert et l’argent. Voire d’invoquer l’urgence justifiant de conclure des marchés sans concurrence préalable. Avoir un trésor de plusieurs dizaines de milliards d’euros moins bien protégé qu’une bijouterie de quartier permettait d’y recourir. Bref, rien ne justifie cette défaillance : 4 ans sans avoir ne serait-ce que décidé d’engager les contrats indispensables quand on a largement le budget pour le faire, c’est une négligence tellement lourde qu’elle justifie de licencier les responsables. »

La prétendue lenteur de ces procédures serait donc due à ce mois (minimum) de publicité ? On comprend bien que, s’agissant de marchés publics, il est indispensable d’avoir un grand nombre d’offres, pour un maximum de concurrence. Ce qui peut être long, c’est la définition des besoins, via un cahier des charges solide, qui prend d’autant plus de temps que le marché est complexe, mais il s’agit d’une contrainte que connaît le privé, comme le public.

S’il fallait autant de temps pour les marchés publics, nous aimerions savoir pourquoi les trois projets du président de la République que nous contestons dans nos colonnes depuis qu’ils ont été lancés ont pu aller aussi vite.
C’est ainsi que pour les vitraux de Notre-Dame, l’avis de marché en ligne a été publié le 11 avril 2024, les plis devaient être remis le 24 mai 2024, le choix de la liste des concurrents était fixé au 4 novembre 2024, celui du lauréat au 18 décembre 2024 et la passation du marché a eu lieu le 25 janvier 2025. Neuf mois donc, et encore, le ministère a pris son temps, pas en raison de procédures obligatoires, mais parce qu’il s’agissait d’un concours artistique par ailleurs très contesté.

Pour l’étude complémentaire sur l’envoi de la tapisserie de Bayeux en Angleterre, qui consiste à trouver comment la transporter sur une longue distance sans l’abîmer, ce qui n’est donc pas, c’est le moins qu’on puisse dire, une mince affaire, l’appel d’offres a été publié le 4 août 2025 et le lauréat devait être choisi en octobre, soit trois mois. L’étude devant être rendue en janvier et la tapisserie devant partir à Londres en juin, inutile de dire que le marché pour le transport ne sera pas passé moins rapidement !

Enfin, revenons au Louvre avec « Nouvelle Renaissance », si cher au cœur d’Emmanuel Macron, comme les deux précédents. Il s’agit cette fois d’un énorme chantier concernant tout le Louvre, notamment les travaux d’architecture consistant à créer : une nouvelle grande entrée - avec tous les équipements (accueil, vestiaire, restauration, etc.-, des salles d’exposition et une salle consacrée à la Joconde.
Ce projet est mené à une telle vitesse que le cahier des charges a été bâclé en deux mois (voir notre article). Le dossier de consultation du concours pour le projet architectural a été mis en ligne le 27 juin 2025, et le lauréat sera choisi en janvier 2026. Il se déroulera donc sur environ six à sept mois avant de passer le marché.

Pour des projets nuisibles au patrimoine, mais soutenus par le président de la République, il n’y a donc aucun problème pour aller vite, parfois beaucoup trop vite même.
En revanche, pour la sécurité du Louvre, « urgence absolue » pour reprendre les mots de la présidente du musée, on a le temps.

Les chiffres, en effet, sont édifiants. À la fin des années 2000, entre 2006 et 2008, 47,9 millions d’euros (engagement de paiement) étaient consacrés à la sécurité, soit environ 62 millions d’aujourd’hui en tenant compte de l’inflation. 20 millions d’euros par an, donc. Entre 2018 et 2024, soit pendant sept ans, dont trois ans et quatre mois de présidence de Laurence des Cars, ce montant s’est élevé à 39,4 millions, soit 5,6 millions d’euros par an, qu’on peut arrondir à 6 millions (il y a eu de l’inflation sur ces sept ans), donc presque quatre fois moins qu’à la fin des années 2000. Et cela porte sur toute la sécurité des œuvres, notamment l’incendie. En admettant que le montant ait été constant entre les dernières années de présidence de Jean-Luc Martinez et celles de Laurence des Cars (en réalité, il semble bien qu’il ait diminué), ce sont à peine 20 millions dépensés en trois ans, qu’on peut porter à 24 millions depuis son arrivée à la tête du Louvre, parmi lesquels seule une partie est consacrée à la sécurité contre le vol.

Rappelons que ce n’est même pas une question de financement : depuis son arrivée à la tête du Louvre, celle-ci a bénéficié, outre les budgets courants, de 312 millions d’euros versés entre 2022 et 2024 [2].
Comme le disait très bien le directeur général des patrimoines, Jean-François Hébert, hier devant le Sénat (voir cet article du Figaro) : « La multitude de projets d’investissement lancés en même temps (par le Louvre) a peut-être occulté le caractère prioritaire des mesures à mettre en œuvre dans ce domaine particulier de la sûreté des biens. » Si même sa tutelle lâche Laurence des Cars... Mais bon : c’est la faute des marchés publics !

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