Les chevaux de « Géricault »

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Les chevaux de Géricault.

Paris, Musée de la Vie romantique, du 15 mai au 15 septembre 2024.

1. Dessin présenté dans l’exposition
« Les chevaux de Géricault »
Étude pour le portrait
équestre de M. D***
, 1812
Plume, encre noire, lavis de brun -
26,3 x 22 cm
Paris, collection Grimm
Photo : Didier Rykner
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Une exposition présentée dans un musée se doit d’être exemplaire, et encore davantage lorsqu’elle montre beaucoup d’œuvres de collections privées. Une « galerie » n’est d’ailleurs pas une « collection particulière » et s’il est tout à fait légitime de montrer des objets qui se trouvent sur le marché, il est nécessaire que cela soit clairement dit. Au moins une œuvre de l’exposition du Musée de la Vie romantique (et sans doute davantage) est dans ce cas, sans que cela soit signalé.

Mais le plus grave est sans doute que tous ces tableaux et dessins de collections privées, dont beaucoup n’avaient encore jamais été montrés ni publiés, le soient ici sans le début d’un commencement d’explication sur leur attribution. Ce n’est pas seulement l’absence de notices détaillées, à laquelle nous sommes habitués tant c’est hélas fréquent, qui pose problème. Mais ici, il n’y a même pas de notice succincte. Aucune liste des œuvres exposées, aucune provenance pour aucune d’entre elles, et aucune bibliographie. Seuls figurent sous les illustrations qui les reproduisent le titre, la technique, les dimensions et le propriétaire (souvent d’ailleurs uniquement identifié comme « collection particulière » avec le nom d’une ville ou d’un pays).
 

2. Tableau présenté dans l’exposition
« Les chevaux de Géricault »
Sapeur du premier régiment de hussards, 1814
Huile sur toile - 81 x 64 cm
Paris, « collection particulière »
Photo : Didier Rykner
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Géricault a peint et dessiné moult chevaux. Si l’exposition se contentait de montrer des œuvres très connues et souvent publiées, cette absence de toute information à leur égard serait gênante, mais moins problématique.
Comme nous le disions, ce n’est pas le cas. Et plus grave encore, une grande partie de ces « découvertes » sont très loin de convaincre, et c’est un euphémisme. Géricault est un artiste génial, tout le monde en convient. Beaucoup de ces œuvres sont au mieux médiocres. Toutes les personnes, conservateurs et historiens de l’art, que nous avons rencontrées lors de l’inauguration ou avec qui nous avons parlé depuis pensent la même chose.
 
Aucune démonstration, aucune bibliographie, ni aucun historique. Mais grâce à Google Images notamment, il est possible de retrouver plusieurs de ces œuvres passées en vente récemment, avec des attributions variées.
Soyons clair néanmoins : évidemment, des découvertes sont possibles, et elles arrivent d’ailleurs régulièrement. Certaines de ces œuvres sont peut-être effectivement de Géricault, même si nous en doutons pour beaucoup d’entre elles. Mais une exposition qui les présente sans aucune précaution et sans aucune explication ne fait pas son travail. Le premier à blâmer ici est bien le Musée de la Vie Romantique qui donne ainsi à de nombreuses œuvres un pedigree qui valide un nom qui est tout sauf certain. Ce sont en effet, sur 79 œuvres exposées (nous excluons de ce comptage les estampes), 43 œuvres de musées et 36 encore en mains privées. Si l’on ajoute 29 autres œuvres en collections particulières reproduites dans le catalogue (dont beaucoup exactement comme si elles étaient dans l’exposition, la seule différence étant, dans la légende, la mention fig. au lieu de cat.), cela fait donc 65 œuvres dont une grande partie est montrée ici pour la première fois qui se trouvent identifiées par un musée public comme indubitablement et sans aucun doute de Géricault.
 

3. Tableau présenté dans l’exposition
« Les chevaux de Géricault »
Un cheval à l’écurie et son lad, 1822-1823
Huile sur toile - 81 x 50 cm
Paris, collection particulière
Photo : Didier Rykner
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Nous ne donnerons pas notre avis individuellement sur ces œuvres de collections privées pour dire les doutes, voire dans bien des cas les certitudes, qui nous habitent. Nous ne sommes pas spécialiste de Géricault (même si nous connaissons bien la période). Nous laisserons ce travail à d’autres plus qualifiés et nous espérons qu’ils en auront le courage. Nous pouvons en revanche, puisque le catalogue ne le fait pas, donner ici quelques provenances que nous avons pu retracer grâce à Google Images :

 le cat. 3, Étude pour le portrait équestre de M*** D (ill. 1), proposé comme de Géricault, est resté invendu chez Aguttes le 13 juin 2019 sur une estimation de 12 000/15 000 euros.
 le cat. 12, Sapeur du premier régiment de hussards (ill. 2), était présenté le mercredi 26 septembre 2018 à Saumur par Ivoire Angers/Saumur comme « École française vers 1830, suiveur de Géricault » ; estimé 600 €, il a été adjugé 2100 € à un marchand qui s’est vanté de sa découverte sur Facebook ;
 le cat. 41, Le Lad à l’écurie (ill. 3) a été vendu le 28 juin 2022 chez Aguttes comme « École française du XIXe siècle, entourage de Théodore Géricault », estimé 15 000/20 000 euros, adjugé 28 600 euros avec les frais ;
 le cat. 47, Deux chevaux gris pommelés se battant dans une écurie (ill. 4) est passé en vente chez Beaussant-Lefèvre le 18 juin 2014 comme « École du XIXe siècle d’après Théodore Géricault », estimé 200/300 € et vendu 400 € ;
 le cat. 59, Paysage sur la côte d’Angleterre (ill. 5), a été proposé (non vendu) par Farrando le 18 juin 2010, comme « école anglaise vers 1840 », avec une estimation de 3 000/3 500 €.


4. Tableau présenté dans l’exposition
« Les chevaux de Géricault »
Deux chevaux gris pommelé se battant dans une écurie , 1818
Huile sur toile - 32 x 40 cm
Israël, collection particulière
Photo : Didier Rykner
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5. Tableau présenté dans l’exposition
« Les chevaux de Géricault »
Paysage sur la côte d’Angleterre , 1820-1821
Huile sur toile - 82 x 100,7 cm
Bruxelles, collection particulière
Photo : Didier Rykner
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Nous nous arrêterons sur quelques œuvres provenant de musées car plusieurs d’entre elles sont également plus que discutables. Nous avons interrogé le Musée des Beaux-Arts d’Orléans, dont deux œuvres sont reproduites dans le catalogue mais ne figurent pas dans l’exposition. La directrice Olivia Voisin nous a dit que ces prêts avaient été sollicités pour être exposés en tant que Géricault mais, l’attribution étant jugée indéfendable, le musée les a sagement refusés pour ne discréditer ni l’exposition ni les collections orléanaises. Cela n’a pas empêché les commissaires de les reproduire dans le catalogue comme Géricault, sans l’accord du musée et sans précaution oratoire. Cela revient tout simplement à transformer cette proposition en vérité absolue malgré les fortes réticences. Il s’agit d’un dessin qui est en réalité de Léon Cogniet (fig. 38 du catalogue), et d’une huile sur toile qui n’est qu’une copie ou un pastiche provenant de la collection Paul Fourché, rejetée de longue date.


6. École française du XIXe siècle, présenté dans
l’exposition « Les chevaux de Géricault »
Cheval devant une mangeoire
Huile sur toile - 19,5 x 24,5 cm
Besançon, Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie
Photo : Didier Rykner
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Un autre musée, Besançon, a prêté plusieurs œuvres, dont un cheval dans une étable (ill. 6 ; cat. 32). Il est encore sur le site du musée, sagement répertorié comme « genre de Géricault ».
Quant à celui d’Ixelles, qui prête un dessin représentant deux chevaux (ill. 7), il suffit sans doute de le publier pour que le lecteur se fasse une opinion...


7. Dessin présenté dans l’exposition
« Les chevaux de Géricault »
Deux chevaux, l’accolade, 1820
Craie et crayon - 23,5 x 20,5 cm
Bruxelles, Musée d’Ixelles
Photo : Didier Rykner
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Un point positif de l’exposition est sa très belle muséographie qui tire parti au mieux des espaces d’exposition du musée, notamment dans le grand atelier séparé en deux par une cloison circulaire. Mais cette atmosphère agréable, couplée à la présentation d’au moins une grosse moitié d’œuvres indiscutables et d’excellente qualité, interdit au visiteur pressé et souvent peu au fait de l’art de Géricault de s’interroger sur la pertinence des attributions proposées, d’autant que, comme nous l’avons souligné, le catalogue (très pauvre en textes par ailleurs) ne dit absolument rien sur les œuvres exposées. Notons toutefois que contrairement à la plupart des publications de Paris Musées, sa maquette est plutôt élégante.
 
Outre l’aspect déontologique très incertain de cette opération, le Musée de la Vie Romantique invente donc l’exposition où le travail doit être réalisé par le visiteur : faites votre historique, votre bibliographie, et finalement votre attribution vous-même. Pas sûr que l’histoire de l’art y gagne quelque chose.


Commissaires : Gaëlle Rio et Bruno Chenique.


Sous la direction de Gaëlle Rio et Bruno Chenique, Les chevaux de Géricault, Paris Musées, 2024, 224 p., 35 €. ISBN : 2759605825.


Informations pratiques : Musée de la Vie romantique, Hotel Scheffer-Renan, 16 rue Chaptal 75009 Paris. Tél : +33 (0)1 55 31 95 67. Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18 h. Tarif : 10 € (réduit 8 €).

Didier Rykner

P.-S.

16 mai 2024 : Cet article a pour but de mettre en lumière l’absence complète d’informations sur les œuvres exposées pour la première fois ici. Celles choisies comme illustrations l’ont été uniquement car ce sont les seules que nous avons pu retrouver via une recherche Google Images, ce qui permet de donner des informations qui auraient dû figurer dans une notice. Elles ne préjugent rien sur les attributions qui sont de la responsabilité des commissaires de l’exposition.

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