- Le château de Vaux-le-Vicomte en 2010
Photo : Didier Rykner - See the image in its page
Déjà menacés par les charges énormes qui pèsent sur eux, les propriétaires de monuments historiques ouverts au public, qui dépendent très souvent des touristes pour parvenir à maintenir à flot leur demeure, sont dans une situation très grave en raison de l’épidémie de coronavirus. Le déconfinement qui a commencé hier ne va pas, et de loin, résoudre comme par magie tous les problèmes. Confrontés à la chute soudaine et drastique de leur chiffre d’affaire (réduit quasiment à zéro depuis deux mois), beaucoup doivent encore rester fermés tant qu’ils n’auront pas d’autorisation préfectorale d’ouvrir au public. Et même l’ouverture ne garantira pas, loin de là, un retour à la normale : les restrictions de déplacement, les craintes d’utilisation des moyens de transports collectifs et l’absence des touristes étrangers - une situation qui risque de perdurer encore plusieurs mois, voire davantage - vont encore aggraver la situation.
Les artistes du spectacle dit « vivant » se sont beaucoup montrés ces derniers jours pour se plaindre de l’absence de mesures du gouvernement, et certainement à raison. On entend moins ceux du patrimoine, surtout lorsque le ministre de la Culture, qui devrait parler pour eux, se contente de jouer au courtisan devant Emmanuel Macron, notamment dans une table ronde sur la culture d’où les monuments historiques et les musées étaient exclus [1], et d’abreuver ses interlocuteurs de grandes phrases grandiloquentes [2]. Et les mesures concrètes, dont on nous dit qu’elles vont arriver, tardent à venir.
La Demeure Historique vient de publier un communiqué de presse qui vient alerter, une fois de plus, sur cette situation que plusieurs propriétaires de châteaux que nous avons contactés nous ont également décrite. S’ils reconnaissent que les aides générales pour les entreprises qui leur sont pour certains applicables, sont bien plus généreuses que dans d’autres pays, il reste que cela ne sera pas suffisant. Quels sont les risques d’après eux ? « Si les monuments et jardins historiques privés ne bénéficient pas d’une autorisation d’ouverture rapide, de la poursuite des aides de l’État et d’un plan de relance ambitieux, plusieurs centaines d’entre eux fermeront d’abord leurs portes puis, les plus fragiles seront contraints de vendre ce qui constitue, encore aujourd’hui, le patrimoine de la France, le patrimoine des Français ».
Parfois vus comme des « privilégiés », les propriétaires de châteaux ouverts au public sont en réalité, comme nous le constatons à chaque fois que nous leur parlons, de véritables passionnés qui mettent toute leur énergie et leurs moyens dans la sauvegarde de monuments que les pouvoirs publics seraient bien incapables d’entretenir. En partageant leur enthousiasme avec leurs visiteurs, ils ne permettent pas seulement aux Français de profiter des beautés de leur histoire, ils contribuent aussi de manière primordiale à l’activité économique. Même si les politiques ont du mal à l’admettre, le patrimoine n’est pas un coût, il est une ressource. Chaque euro dépensé dans ce domaine rapporte bien davantage, et pour les communes rurales ces monuments sont, avec les églises de village, parfois leur seul élément d’attractivité qu’il est impossible de négliger.
Des centaines de milliers d’emplois - non délocalisables - dépendent de la bonne santé des monuments historiques, notamment les entreprises de restauration et les guides-conférenciers (ces derniers qui semblent encore plus oubliés que les autres). Si rien n’est fait, la catastrophe économique se doublera d’une catastrophe patrimoniale.
Faut-il, à nouveau, rappeler que des solutions existent ? Certaines sont rappelées dans le communiqué, ainsi que dans une lettre envoyée par plusieurs associations (VMF, DH, Ateliers d’art de France et GMH) au ministre. Outre une clarification des conditions de réouverture au public, ils réclament certaines mesures complémentaires comme « le déplafonnement du nombre d’heures supplémentaires et l’allègement des charges correspondantes » pour les entreprises de restauration afin qu’elles puissent rattraper les retards pris dans les chantiers. Ils demandent surtout au ministère de « débloquer les crédits disponibles et non consommés à ce jour, de maintenir voire d’abonder ces enveloppes (doublement des subventions) au niveau déconcentré, de favoriser les subventions pour les travaux d’entretien qui sont plus aisés à mettre en place, et de verser rapidement les acomptes afin de faciliter la reprise des chantiers dans les meilleurs délais tout en dynamisant les commandes. »
Le communiqué de la Demeure Historique demande par ailleurs l’intégration des monuments historiques privés « au futur plan de relance annoncé par l’État pour la filière tourisme », et le maintien et la prolongation du remboursement du chômage partiel. Ils réclament par ailleurs que le prêt garanti par l’État soit réellement accessible. En effet, l’un d’entre eux nous a expliqué que les banques rechignent à leur accorder ces prêts, car cela arrive à un moment où beaucoup de propriétaires de monuments historiques ont un découvert important à la banque, dû aux dépenses qu’ils anticipent avant le 31 décembre pour éviter de dégager un bénéfice qui serait imposable. Les banques ne veulent donc pas remplacer un prêt leur rapportant des intérêts contre un autre qui n’en génère aucun.
Si les associations demandent également le recours à d’autres sources de financement en renforçant notamment le loto du patrimoine pour 2020 et 2021, il est dommage que celles-ci ne s’approprient pas les solutions que nous proposons, et que nous ne cesserons de proposer, à savoir l’augmentation de la taxe de séjour et une taxe de 1,8 % sur les mises de la Française des Jeux, des mesures qui ne coûteraient rien au budget de l’État et rapporteraient des centaines de millions d’euros. Si même les propriétaires de monuments historiques ne réclament pas cela, comment veut-on que le ministre de la Culture le reprenne à son compte, pour ne rien dire du gouvernement dans son ensemble ?