Léonard et l’art universel

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Il paraît que l’Italie nous fait une petite crise de jalousie à propos de Léonard de Vinci. Il faut raison garder. Ce n’est pas l’Italie qui vient pleurer, c’est Lucia Borgonzoni, une sous-secrétaire d’État du Ministère pour les biens et les activités culturelles, l’équivalent du ministère italien de la Culture. Peut-on penser que cette femme, membre du parti d’extrême-droite la Ligue, représentante d’un gouvernement populiste dont on espère qu’il ne sera qu’une triste parenthèse pour ce pays que nous aimons tant, représenterait l’Italie ? Peut-on croire que l’Italie puisse être jalouse de la France sur le plan artistique quand elle est certainement le pays le plus riche en patrimoine et celui qui a donné naissance au plus grand nombre de génies dans le domaine de l’architecture, de la peinture et de la sculpture ?


Léonard de Vinci (1452-1519)
L’Annonciation
Huile sur panneau - 98 x 217 cm
Florence, Galleria degli Uffizi
Photo : Domaine public
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Examinons néanmoins l’ampleur du risque. Quels sont les tableaux de Léonard conservés en Italie ?

 la Cène de Milan : inutile de dire que le prêt de cette peinture murale n’a pas été demandé par le Louvre…
 Saint Jérôme : ce tableau appartient à la Pinacothèque Vaticane et n’est donc pas conservé stricto sensu en Italie. Le gouvernement italien n’a aucun pouvoir sur son prêt.
 Portrait d’un musicien : ce tableau appartient à la Pinacothèque Ambrosiana. Là encore, il s’agit d’un musée qui dépend de l’Église italienne, et pas de l’État italien. Celui-ci pourrait, théoriquement, s’opposer à son exportation temporaire hors d’Italie, mais on imagine mal qu’il aille jusque là.
 L’Adoration des Mages (Offices) : ce panneau, comme la Joconde, est trop fragile pour être déplacé et pour cette raison le Louvre ne l’a pas demandé en prêt.
 Le Baptême du Christ (Offices) : ce panneau est surtout une œuvre d’Andrea del Verrocchio ; Léonard, alors dans l’atelier de ce peintre, a peint l’ange de gauche, une partie du paysage et est sans doute intervenu dans la figure du Christ.
 L’Annonciation (ill.) : il s’agit de la troisième œuvre de Léonard conservée par les Offices, un des rares tableaux achevés et indiscutables de sa main conservés en Italie.
 Tête de jeune fille (Scapigliata) : ce tableau qui en réalité est plutôt un dessin sur panneau appartient à la Pinacothèque nationale de Parme. Son attribution est discutée.

Les dessins de Léonard - certaines feuilles importantes se trouvent notamment à Venise et à Turin - semblent, eux, moins menacés par cette affaire car moins spectaculaires aux yeux des politiques.

Lucia Borgonzoni pourrait donc a priori, si elle parvient à mettre ses menaces à exécution, empêcher seulement le prêt du panneau de Parme et de deux tableaux des Offices. De ces trois œuvres, une seule est une peinture achevée de Léonard. L’absence à cette rétrospective de l’Annonciation notamment serait effectivement regrettable car cela aurait permis de la comparer à la petite peinture de même sujet du Louvre, dont l’attribution à Léonard ne fait pas l’unanimité (elle est souvent donnée à Lorenzo di Credi). Les dégâts resteraient néanmoins limités.

L’attitude de cette sous-secrétaire d’État, qui semble pour l’instant endossée par le reste du gouvernement italien, est à la fois mesquine et stupide, d’autant plus injustifiée qu’en 2015 le Louvre n’avait pas hésité à prêter à Milan trois de ses tableaux de Léonard pour la rétrospective organisée dans le cadre de son exposition universelle. Mais le plus grave, c’est que cette affaire survient dans un contexte général de repli sur soi qui touche désormais également l’art et les musées. L’art italien doit-il être traité en Italie ou est-il international ? Cette question, dont on se pince d’avoir à en débattre, n’est pas si éloignée de celle des restitutions, quand certains semblent penser que l’art du Bénin n’a de place qu’au Bénin, ou l’art du Congo qu’au Congo... Aux États-Unis, certains estiment désormais que l’art asiatique ne devrait être confié qu’à des personnes d’origine asiatique ! L’art devrait être le meilleur antidote contre tous les extrémismes. C’est hélas le contraire qui semble s’annoncer.

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