Le woke festival de Fontainebleau

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Nous aimons beaucoup le Festival de l’histoire de l’art, occasion annuelle de rassembler pendant trois jours une grande partie des acteurs du monde des musées, de l’université, du patrimoine et du marché, ainsi que des étudiants et des historiens de l’art indépendants, autour de conférences dans le cadre magnifique du château de Fontainebleau (ill. 1). Et nous l’aimons tellement que nous nous devons d’écrire la vérité : s’il poursuit dans cette voie, il va disparaître, et ce serait vraiment dommage. Car cette année (les 2, 3 et 4 juin), il a concentré et amplifié des tendances que l’on trouvait déjà en germes depuis quelque temps.


1. Cour de la fontaine du château de Fontainebleau
Photo : Didier Rykner
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Le programme d’abord, élaboré par l’INHA. Il faudra un jour qu’on arrête cette tradition absurde de choisir un thème, alors que le sujet, c’est l’histoire de l’art, et que l’actualité - expositions, publications, restaurations, acquisitions, découvertes, polémiques patrimoniales, ouvertures de musées, etc. est suffisamment riche pour fournir de la matière à plusieurs festivals. Le thème de cette année, le climat, permettait par ailleurs toutes les dérives possibles et imaginables, ce qu’il n’a pas manqué d’engendrer comme nous le verrons plus loin.
Un nouveau pays chaque année, pourquoi pas ? Mais comme nous l’avons déjà écrit, l’Italie, qui était le pays invité de la première édition, ne devrait pas revenir avant, au mieux dix ou vingt ans, ce qui est absurde. Elle devrait être programmée au moins une fois tous les deux ou trois ans.
Enfin, il s’agit d’un festival d’histoire de l’art, pas d’un festival d’art contemporain, ce qu’il tend à devenir toujours davantage, en même temps que les événements liés à l’art ancien, du XIXe siècle ou de la partie historique du XXe siècle se raréfient. L’art contemporain a sa place, mais il doit l’être du point de vue de l’histoire, pas de l’art en train de se créer. Et certainement pas de manière aussi écrasante.

Le problème, cette année, était aussi la disette de conférences susceptibles d’intéresser un large public. Très peu de présentations ou de tables rondes sur les découvertes d’histoire de l’art, sur les expositions à venir, ou sur l’actualité patrimoniale. Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait rien d’intéressant. Nous avons assisté, par exemple, à un débat passionnant sur la recherche autour des sculptures en Bourbonnais au XVIe siècle, un programme mené par l’INHA avec le Musée Anne de Beaujeu de Moulins, ou à un autre sur les musées et Wikipedia, dans lequel a pu être abordée la question des droits photos et des demandes d’autorisation en Italie (voir l’article). Le programme comportait des conférences sur les archives du sculpteur Barye, sur les portraits français au XVIe siècle, sur le peintre Antoine Wiertz, sur la restauration d’un tableau de Frans Pourbus du musée de Dunkerque (musée fermé…), sur la restauration des fresques de la porte Dorée à Fontainebleau (voir la brève du 15/5/23) comparée à celle du palais de Monaco (voir l’article), sur Rubens ou Van Eyck… Nous ne sommes pas exhaustif, mais cela ne nous a pas empêché de ne rien trouver qui nous intéresse à plusieurs reprises pendant ces trois jours, alors qu’en général, et notamment avant le Covid et l’édition annulée de 2020, nous avions à tout moment deux ou trois conférences auxquelles nous souhaitions assister. La frustration est plus agréable finalement que l’ennui lors d’un tel événement.

2. Diane Bouteiller, lauréate du concours
Ma thèse en 180 secondes
Photo : Didier Rykner
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Signalons aussi, parmi les points positifs, le sympathique concours « ma thèse en 180 secondes » qui a vu s’affronter dans une joute oratoire six candidats très brillants (ill. 2). Les deux distingués par le jury étaient aussi notre choix, dans l’ordre [1]. On ne peut qu’admirer ces étudiants qui tous sont parvenus à résumer brillamment en 180 secondes ce qui a pris ou prendra (car la lauréate commençait juste ses recherches) plusieurs années de leur vie.

Si tout cela reste insuffisant pour faire un bon festival, les conférences ont souvent pris aussi un tour insupportable sacrifiant à la mode actuelle qu’il faut bien appeler par son nom, même si certains osent prétendre qu’il n’existe pas : le wokisme. C’est ainsi que les festivaliers ont pu assister à des débats tels que « De l’écoféminisme à l’écoqueer : comment l’art répond à la crise climatique » où l’on s’étonne que Sandrine Rousseau n’ait pas été invitée, « Voir et donner à voir l’esclavage : les publics au musée », ou encore « L’histoire de l’art sous climat changeant » où l’on a réussi, sous prétexte de parler de Winckelmann, à relier tout cela au « racialisme ». Il est étrange que les questions de genre n’y aient pas été abordées. L’ancien directeur du Musée de Tervuren à Bruxelles a même été convié pour présenter le traitement désastreux qu’il a fait subir à son musée (où notamment les sculptures qu’on ne saurait voir ont été cachées aux yeux du public !) : nous avons voulu l’écouter pour éventuellement pouvoir apporter un peu de contradiction. Mais son audience était si clairsemée (cinq ou six personnes seulement dans l’assistance) que nous y avons finalement renoncé.


3. Débat « Le Militantisme » avec deux membres de Dernière Rénovation
Photo : Didier Rykner
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Le plus scandaleux était néanmoins la table-ronde intitulée « Militantisme » [2] - titre bien choisi - où le Festival de l’Histoire de l’Art a osé inviter un membre et une sympathisante [3] du mouvement « Dernière rénovation » (ill. 5), le même qui organise un peu partout en Europe des agressions contre les œuvres des musées sous prétexte de lutter contre les industries pétrolières. L’une d’elles a eu beau expliquer qu’ils s’attachaient à ne s’attaquer qu’à des tableaux sous verre, ce type d’action est extrêmement dommageable pour les œuvres et les musées, sans apporter rien d’utile à la lutte indispensable contre le réchauffement climatique. Nous nous refusons en général à aborder ce vandalisme sur La Tribune de l’Art car cela leur donne une visibilité qu’ils ne méritent pas, et peut contribuer à donner des idées à d’autres. Il est à peu près certain, si ce genre de stupidités continue, qu’un jour une œuvre sera réellement vandalisée (des cadres l’ont probablement déjà été).

Comment alors admettre qu’un festival de l’histoire de l’art où le ministère de la Culture est partie prenante et qui se déroule au sein d’un château-musée, puisse inviter des militants qui agissent avec ce genre de méthodes illégales ? Et comment comprendre qu’il le fasse, qui plus est, dans le cadre d’une table-ronde où aucune contradiction ne leur a été apportée ? Aux côtés des deux passionarias avait été invité un troisième intervenant, directeur d’écoles d’art qui n’était pas moins militant qu’elles, bien qu’il ne semble pas se livrer à des actions passibles du tribunal.

5. Bas Smets à la conférence d’ouverture du festival de l’histoire de l’art
très applaudi par les fonctionnaires du ministère de la Culture notamment
Photo : Didier Rykner
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L’absence de vrais débats sur les sujets brûlants de l’actualité se remarquait encore davantage avec l’invitation faite, parmi les personnalités, à Bas Smets, le paysagiste maître d’œuvre du projet des abords de Notre-Dame (voir les articles). On voit assez mal le rapport entre celui-ci et l’histoire de l’art, mais admettons. Comment accepter en revanche, alors qu’une pétition rassemble désormais près de 50 000 signataires pour s’opposer à ses plans soutenus par la mairie de Paris, et alors qu’il s’agit d’un monument aussi prestigieux que Notre-Dame (on est là dans une vraie question d’histoire de l’art et de patrimoine), qu’aucun débat n’ait été organisé avec lui qui est pourtant resté sur place du début à la fin du festival, puisqu’il l’ouvrait et le concluait ? Plus grave encore : lors de la conférence d’ouverture, alors qu’il concluait avec la présentation des abords de Notre-Dame, il fut applaudi vigoureusement, notamment par les fonctionnaires du ministère de la Culture qui se trouvaient au premier rang (ill. 6). Applaudissements de pure forme sans doute, mais quel signal détestable !


6. Salon du livre d’art du festival de l’histoire de l’art de Fontainebleau
Photo : Didier Rykner
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La disparition il y a plusieurs années déjà de l’association des Amis du Festival de l’histoire de l’art, qu’on a clairement poussée vers la sortie, alors qu’elle contribuait à l’attrait de ce festival ; la décrépitude du Salon du Livre (ill. 7), dont l’emplacement est excentré depuis qu’il se trouve dans le quartier Henri IV et non plus dans la cour ovale et qui n’accueillait plus cette année qu’un tiers des éditeurs habituellement présents [4] ; l’absence presque totale de communication qui a contribué (avec la pauvreté du programme) à empêcher les visiteurs potentiels de venir [5]… tout cela rendait encore plus triste une édition que l’on aimerait très vite oublier. Le nombre de visiteurs s’en est clairement ressenti (ill. 8) : il était manifestement si faible que la communication du festival s’est bien gardée de donner des chiffres précis comme c’est l’habitude, se contentant d’annoncer que « des milliers de festivaliers curieux » y ont assisté.


7. La cour ovale du château de Fontainebleau bien vide dimanche à 15 h 47
Photo : Didier Rykner
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L’an prochain, ce sera le Mexique (espérons au moins que beaucoup de conférences seront consacrées à l’art colonial, baroque et du XIXe siècle...) et le sport. Le sport, bien sûr, pour cause de Jeux Olympiques ! Vivement 2025.

Didier Rykner

Notes

[11er prix : Diane Bouteiller (Les pratiques cynégétiques dans la fabrique de l’architecture et du paysage en France au XIXème siècle) ; 2ème prix : Josselin Tecquer (Diplomatie, guerre et rituels : étude des inscriptions à caractère politique et de leurs supports dans les cités-Etats mayas). Le public avait choisi, également dans le même ordre, les deux mêmes. Le prix du public a donc été remis à Camille Ambrosino (Des couleurs en plus : incrustations et applications dans la sculpture figurative lapidaire en Italie septentrionale et centrale entre c.1220 et c.1470) arrivée en troisième position.

[2L’illustration 4 représentait une des participantes qui nous a demandé de l’enlever ; nous n’avions évidemment aucune obligation de le faire - il s’agissait d’une photo prise lors d’un événement public - et si nous avons accepté de le faire, c’est uniquement parce que nous nous sommes trompés : elle nous a dit ne pas être membre de « Dernière rénovation ». Nous avons bien sûr assisté à ce débat et la confusion était néanmoins compréhensible, étant donné le discours tenu.

[3Non membre du mouvement comme elle nous l’a précisé - voir note précédente -, malgré un discours qui en était très proche.

[4Heureusement, la présence de la librairie de la RMN, bien fournie en livres, permettait d’enrichir l’offre. Mais cela ne remplace pas la présence des éditeurs avec lesquels on peut discuter et qui peuvent présenter leurs ouvrages moins diffusés.

[5Plusieurs personnes que nous connaissons pourtant présentes aux éditions précédentes n’avaient pas réalisé que celui de 2023 avait lieu ce week-end, même si les dates restent constantes.

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