- 1. Plan du Solar Decathlon 2014 dans le parc de Versailles
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On sait que François de Mazières avait cautionné le délétère « urbanisme de projet » de Benoist Apparu ès-qualités de « Maire de Versailles, Président de la Communauté d’agglomération Versailles Grand Parc, Président de la Cité de l’architecture et du Patrimoine ». Le retour d’ascenseur ne s’est semble-t-il pas trop fait attendre puisque le ministre délégué chargé du logement gratifie aujourd’hui Versailles d’un « Solar Village » sur le terrain classé au titre des monuments historiques des Mortemets (ill. 1), pourtant affecté à l’Etablissement Public du château de Versailles (EPV) et mitoyen des Jardins et de la pièce d’eau des Suisses.
Il s’agit en effet d’installer, sur ce terrain, en 2014, le Solar Decathlon [1]. La première édition de cette manifestation, d’initiative américaine, s’est déroulée en 2002 à Washington, où elle est organisée depuis tous les deux ans (ill. 2). En 2010, un Solar Decathlon Europe, basé sur le même modèle, a eu lieu à Madrid et y sera à nouveau en 2012. En 2014, celui-ci aura lieu en France, à Versailles, selon l’accord signé le 21 mars dernier entre l’ambassadeur des Etats-Unis en France et Benoist Apparu qui était soutenu notamment par Nathalie Kosciusko-Morizet, alors encore ministre de l’Ecologie et du Développement Durable et Valérie Pécresse, ministre du Budget, mais aussi député des Yvelines.
- 2. Vue d’une édition du Solar Decathlon à Washington
Photo : U.S. Department of Energy - Voir l´image dans sa page
L’objectif est de récompenser, parmi vingt universités internationales, celle qui aura réalisé la meilleure maison solaire passive et à énergie positive [2]. Ces habitations sont présentées au public qui peut les visiter (ill. 2). Il suffit, pour prouver que cette compétition et cette candidature sont de vastes tartuferies de rappeler que les Etats-Unis ont refusé, en 2001, de ratifier le protocole de Kyoto, et que la ville de Versailles a choisi de ne pas opter, dans le cadre de son PLU, pour l’application des dispositions du Grenelle II de l’Environnement [3]. Les arguments justifiant la présence de ce barnum, à quelques pas du château, sont des plus spécieux, pour ne pas dire ridicules [4] : les panneaux photovoltaïques sont légitimes car Versailles est le château du « Roi Soleil » ; les américains peuvent disposer du parc puisque John Rockefeller a aidé à la restauration du château ; l’exposition « Sciences et curiosités à la Cour de Versailles » a montré que l’innovation technologique a toujours eu sa place dans le domaine... En réalité, il s’agit d’utiliser l’image d’un site patrimonial mondialement connu au profit d’une manifestation qui n’a aucun rapport avec lui et qui conduira à en détériorer l’environnement [5], comportement qualifié en économie de parasitisme.
Il est par ailleurs intéressant de voir comment ce projet se substitue à celui de Roland-Garros, sa vidéo (à regarder ci-dessous) recyclant entièrement le début de celle qui vantait les qualités du site pour le tournoi de tennis.
Rien n’assure que les infrastructures du Solar Decathlon seront démantelées une fois la manifestation achevée, ni que ces « événements » ne se multiplieront pas à l’avenir. Il s’agit en effet d’utiliser le terrain des Mortemets comme un vaste parc des expositions, se conformant en cela à la vocation que lui promet, dans le meilleur des cas, le maire de la ville qui n’est pourtant pas chez lui en ce lieu. Manifestement, il confond Versailles et la porte de Versailles. La sur-fréquentation de cette partie classée du domaine ne peut qu’inquiéter. L’accès des véhicules est ainsi planifié via la départementale 10 déjà saturée (voir ill. 1), ce qui est pour le moins étrange pour une manifestation « écologique ».
Il faut tout craindre de cette obsession à utiliser le parc de Versailles pour des manifestations qui n’ont rien à y faire. On sait à quel point on peut faire confiance à Benoist Apparu et François de Mazières. Le PLU (bien que contesté en justice par les associations) permet d’ailleurs actuellement de construire sans réelle limite aux Mortemets et pour toute sortes de fonctions. Ce précédent d’utilisation « écologique » du Domaine national est inquiétant pour les Mortemets, mais aussi pour les Matelots et pour Pion où l’implantation d’un « campus vert » associé à la grappe d’entreprise « le vivant et la ville [6] » a été évoquée [7]. La proximité de l’INRA et de l’Ecole nationale du paysage (dont les sites sont pourtant promis à l’EPV) justifie en effet aux yeux du maire la création d’un « cluster vert » au sein d’un Domaine national qui, comme ses semblables, ne devrait pas être destiné à autre chose qu’à la promenade [8].
Last but not least (puisque le projet semble bouder la langue française), l’organisation du « Solar Decathlon » sur le territoire de l’EPV se fera en violation de ses statuts. L’EPV a effectivement pour « mission » de « concourir à l’éducation, la formation et la recherche », mais dans le seul « domaine de l’histoire, de l’histoire de l’art et de l’architecture, de la muséographie, de la musicologie et des arts de la scène. », ce qui tombe sous le sens [9]. Ainsi, l’EPV ne doit rien au développement durable, mis à part la mise aux normes de ses installations, lorsque cela est compatible avec la bonne conservation du patrimoine [10]. On est ici aux fondements mêmes de l’Etat de droit : un établissement public possède des « missions » qu’il doit remplir « pour le compte de l’Etat » et n’est pas la « chose » de son président [11], de ses administrateurs ou d’un maire puissant. Selon leurs arrêtés d’affectation, les terrains des Mortemets ont d’ailleurs été confiés à l’EPV « pour l’accomplissement des missions qui lui sont confiées [12] ».
Si Versailles doit effectivement organiser cet événement comme cela risque d’être le cas (puisque le ministre semble avoir engagé la France par sa signature), qu’elle le fasse. Mais pas sur le parc du château. On espère en tout cas que les associations s’opposeront fermement à ce qui a tout l’air d’un ballon d’essai, projet révélateur de l’instrumentalisation d’une écologie abstraite (rejeter moins de CO2) contre une nature réelle, celle d’un parc destiné à renaitre.
On conclura cet article sur l’hommage que nous a rendu indirectement Benoist Apparu. On lit en effet dans le texte de son discours (p. 8, § 1) : « Je sais que Versailles saura également, grâce à l’accueil de cette compétition, développer une démarche de valorisation, - à supposer que ce soit encore possible, Monsieur le Maire... ». On se souvient en effet que le projet de Roland-Garros devait être assorti d’incroyables « programmes complémentaires de 30.000 m2 de SHON valorisés par l’EPS [Etablissement Public de Saclay] » à proximité immédiate du Grand Canal [13]. Benoist Apparu ne prononcera finalement pas cette phrase comme on le voit sur cette vidéo (à 7 min 44), et l’on sait que seul le prononcé fait foi. Mais seuls les écrits restent...