L’église d’Andrésy, village situé prés de Conflans Sainte-Honorine, était avant la Révolution, une des « filles » de Notre-Dame de Paris. C’est peut-être pour cela qu’on peut y voir une Adoration des bergers de Lubin Baugin [1], artiste qui a beaucoup travaillé dans cette cathédrale. En effet, on ignore la provenance de cette œuvre découverte par Jacques Thuillier au début des années 1960 alors qu’il servait de tableau noir aux élèves du catéchisme.
- 1. Ici attribué à François-Louis Gounod (1758-1823)
Jésus-Christ ressuscitant le fils de la veuve de Naïm
Huile sur toile - 110 x 144 cm
Andrésy, église Saint-Germain
Photo : P. Poschadel (CC BY-SA 4.0) - See the image in its page
Nous nous intéresserons ici à un autre tableau de la même église, que nous avions découvert en allant revoir le premier : un assez impressionnant Jésus-Christ ressuscitant le fils de la veuve de Naïm (ill. 1), classé Monument Historique en octobre 1988 comme « anonyme français du début du XVIIIe siècle [2] ». Si, à l’examen, son style le situe plutôt dans la seconde moitié du même siècle, ses dimensions et son sujet permettent d’y reconnaître très rapidement un tableau qui aurait été présenté à l’un des Grand Prix de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture. Celui-ci est plus souvent appelé Prix de Rome puisqu’il offrait à son lauréat un séjour (de trois à cinq ans selon les périodes) au bord du Tibre. Cette impression, suggérée et corroborée par certains spécialistes auxquels nous avions montré sa photo [3], a été rapidement confirmée par les sources : cet épisode, tiré des Actes des Apôtres [4], fut en effet le sujet du Grand Prix de 1783 [5]. Or, le jury réuni cette année-là estima qu’aucun concurrent ne méritait le Premier Prix mais s’accorda à récompenser d’un Second Prix le tableau de François-Louis Gounod (1758-1823), le plaçant notamment devant un Augustin-Louis Belle (1757-1841) ou un Jean-Germain Drouais (1763-1788) [6]. Ce dernier, qui fut une sorte d’étoile filante de la peinture qui aurait été abattue par le choléra, avait pris le parti assez rare d’un tableau en hauteur (ill. 2) mais son échec serait surtout dû, selon les propres mots de son maitre, Jacques-Louis David, à son impatience [7].
- 2. Jean-Germain Drouais (1763-1788)
Jésus-Christ ressuscitant le fils de la veuve de Naïm
Huile sur toile - 144 x 110 cm (environ)
Le Mans, Musée de Tessé
Photo : RMN-GP/J. L’Hoir/J. Popovitch - See the image in its page
François-Louis Gounod est aujourd’hui davantage connu pour être le père du compositeur Charles Gounod (1818-1893) et, sinon, comme portraitiste et pastelliste [8] plutôt que comme peintre d’histoire. Fils et petit-fils de fourbisseurs du Roi logés aux galeries du Louvre depuis 1730, il entre dans l’atelier de Nicolas-Bernard Lépicié (1735-1784) où il côtoie notamment Antoine Charles Horace dit Carle Vernet (1756-1836), dont il est alors assez proche. Inscrit dès 1778 à l’Académie Royale en vue de concourir le moment venu au Grand Prix, il obtient rapidement deux « prix de quartier [9]» : une « 3éme médaille » en janvier 1779 et une « 1ère médaille » en septembre de la même année. En mars 1782, il est admis à se présenter au concours des « académies peintes et modelées d’après nature », première épreuve d’admissibilité au Prix de Rome (le sujet de 1782 est La parabole de l’Enfant Prodigue [10]), mais il n’est pas retenu pour le concours final tandis que Carle Vernet est choisi comme lauréat avec Jean-Gustave Taraval (1765-1784). Gounod obtient, en septembre, le « Prix [de la tête] d’expression » fondé par le comte de Caylus, d’un montant de 100 livres, pour son Étonnement. L’année suivante, il est encore admis à concourir au Grand Prix [11] et il obtient alors ce deuxième Prix [12] qui correspondrait au tableau d’Andrésy. Tandis qu’il obtient l’autorisation de faire une répétition en petit (non localisée) de son tableau [13], il est de nouveau choisi comme lauréat du Prix d’expression, pour sa Surprise mêlée de joie. Il se présente encore au Grand Prix l’année suivante [14], celle où triomphe Jean-Germain Drouais (La Cananéenne aux pieds du Christ [15]), tandis que Louis Gauffier bénéficie de la mise en réserve du Grand Prix de 1779. Lors de sa dernière tentative, en 1785 [16], le Grand Prix (Horace tue sa sœur Camille) est remporté par Victor-Maximilien Potain ex-aequo avec Jean-Baptiste Frédéric Desmarais, suite au report du Prix de 1783, tandis que Gounod obtient pour la troisième fois le prix de la tête d’expression pour La Contemplation. Décidé à partir pour Rome, il est alors admis comme surnuméraire à l’Académie de France en 1787 grâce aux bonnes dispositions du Surintendant, le comte d’Angivillers [17]. Si ses progrès semblent assez lents [18], son séjour [19] sera prolongé par les évènements dramatiques qui vont chasser les Français de Rome en 1793 et par le choix qu’il fait de rentrer en France en visitant plusieurs villes d’art avec l’architecte Jean-Baptiste Louis Faivre (1766-1798). Gounod exposera au Salon de 1799, année où il se qualifie encore de « peintre d’histoire [20]», puis entre 1810 et 1822. Mais hormis le premier où il expose une scène littéraire et deux scènes de genre (aucune n’est localisée), il y présentera exclusivement des portraits dans différentes techniques. C’est dans le dessin et la gravure qu’il semble avoir su se distinguer : après avoir été professeur de dessin à l’École Polytechnique (1794-1796) et grâce à d’opportuns portraits (dessinés et gravés) de Louis XVIII et de la duchesse d’Angoulême, il sera nommé, en octobre 1814, « maître de dessin des pages de Sa Majesté et dessinateur du Cabinet de S. A. R. le duc de Berry [21]». Quelques mois après sa mort, le 4 mai 1823 [22], on procèdera à la vente de son atelier (mais aucun de tableau de sa main n’y figure) et de ses collections [23].
D’une façon générale, on constate, avec le recul, que seuls les tableaux des lauréats semblent avoir retenu l’intérêt des amateurs ou des musées, surtout quand leur auteur est ensuite devenu célèbre. En plus de son sujet, c’est la qualité du tableau d’Andrésy qui nous permet de proposer ici son attribution à François-Louis Gounod. D’ailleurs, il offre tous les mérites, dont une fougue apparente (qu’il n’a jamais confirmée [24]), et certains défauts (drapés excessifs, postures très démonstratives et architectures anachroniques) qui correspondent à l’œuvre d’un jeune artiste. Or, à l’exception de très jolis accords de blanc et de roses [25], on n’y retrouve guère le style de son maître qui se montre bien plus austère et massif (par exemple dans son Regulus de 1779 (Carcassonne) ou son Mathatias (Tours), justement daté de 1783) quand il sort des scènes de genre qui firent son succès.