Le rapport sur les musées du XXIe siècle, un chef-d’œuvre de novlangue

La ministre de la Culture, Audrey Azoulay, osait aujourd’hui un déplacement à Lyon où rien n’était prévu pour le Musée des Tissus et des Arts décoratifs. On aurait pu imaginer que celle-ci en profite pour le visiter, ce qui aurait eu un véritable impact symbolique, mais non. Audrey Azoulay allait à Lyon pour parler de musées, mais pas du musée. De musées du XXIe siècle. Car elle a commandé un rapport à ce sujet, les musées du XXIe siècle, à Jacqueline Eidelman, conservatrice générale du patrimoine et chef du département de la politique des publics à la direction des patrimoines.

Ce rapport se présente en plusieurs fascicules. Le premier est une synthèse ; le deuxième regroupe les « rapports des groupes de travail » organisés par la mission ; le troisième résume la « consultation citoyenne », questionnaire mené auprès du public via internet, et le quatrième regroupe des annexes. On découvre dans ce dernier opus que ce rapport a mobilisé un nombre de personnes proprement hallucinant : pas moins de 420 ! Tous ces efforts et ce temps dépensé pour aboutir à un chef-d’œuvre de la novlangue officielle qui fait désormais office de pensée. Nous avons lu beaucoup de rapports rédigés dans un tel jargon, mais nous sommes sans doute là devant l’exemplaire le plus pur qu’il nous ait été donné d’analyser. Au point que nous ne pourrons pas le faire entièrement car nous avouons être dans l’incapacité de traduire un pareil charabia. Nous ne pouvons cependant résister à la tentation d’extraire ici, l’exercice est facile mais tellement amusant, quelques-unes des phrases les plus extraordinaires que l’on trouve dans le premier volume (nous nous sommes focalisé sur la synthèse et avons laissé tombé les autres car à l’impossible nul n’est tenu). Nous signalerons ensuite quelques points qui ne peuvent se réduire à des citations.

Ces phrases sont citées dans l’ordre où elles se trouvent dans le texte (qui, en réalité, mériterait d’être cité presque intégralement), à l’exception de celle-ci, que nous mettons en exergue : « Le discours muséal est ouvert et compréhensible par tous ». Manifestement, ce rapport sur les musées n’est pas un discours muséal.

Introduction :

 Le basculement effectif des musées français dans le XXIe siècle s’est réalisé en 2015 comme une réaction viscérale aux attentats, comme la résurgence d’un programme fondateur qui condense souveraineté nationale sur les œuvres de culture et lutte contre le vandalisme des barbares.

 C’est la vocation « nationale » que le temps des attentats réintroduit, c’est ce continuum entre le local, le national et le global qui est ré-affirmé.

 Ouvert et pluriel, le musée est devenu un « musée-monde » et une « zone de contacts » […].

 Aujourd’hui le musée est un passeur de mémoire, un producteur d’émotion esthétique et un médiateur interculturel. Et demain, davantage encore, sa vocation plurielle sera déterminante pour contribuer au dialogue entre les cultures, à l’éducation citoyenne et au vivre ensemble.

 Avec les droits culturels, la compréhension des identités individuelles et collectives, de leur multi-polarité et de leur pluri-socialisation, deviendra l’oméga de son quotidien.

 Le réseau des musées de France est déjà aimanté par cet esprit.

 C’est avec eux que la Mission Musées du XXIe siècle a réfléchi aux tendances émergentes et aux potentialités des expériences innovantes.

 Dans une société tiraillée entre l’individualisme et le communautarisme, le lieu du musée est un excellent observatoire de ces identités fluides et multidimensionnelles qui caractérisent nos concitoyens. L’éventail de leurs pratiques de visites atteste qu’ils sont en quête de leurs diverses appartenances et s’interrogent constamment sur la nature de leur relation à l’autre.

 Le musée du XXIe siècle doit trouver des points de dialogue, d’expression à plusieurs voix.

1. Extraits.

Le musée éthique et citoyen :

 Aussi pertinentes que demeurent l’histoire de l’art ou l’histoire des sciences, elles ne suffisent plus pour toucher un public contemporain caractérisé par la diversité et le métissage des pratiques culturelles.

 L’expérience du musée, de ses collections, de ses expositions, doit demeurer une aventure des émotions et de la pensée, mais elle doit l’être pour tous.

 Le musée fait du bien, il est un vecteur de mieux-être social et individuel. Il est le lieu de l’aventure de la construction de soi et des rapports sociaux à travers l’expérience d’une culture plurielle.

 Plus largement, le musée est à même de jouer un rôle de forum culturel permanent.

 Le musée comme forum s’adressant à tous ses publics, c’est une autre manière d’accéder aux pluralités interprétatives des faits culturels et des faits de société. Cette fonction du musée, jusqu’à présent inaboutie appelle des activateurs.

Le musée protéiforme

 In situ, hors les murs, dématérialisée, l’hybridation des propositions, programmes et médiations transforme la relation des publics à l’offre

 Désormais, le musée peut se vivre à 360° et la visite être sans fin.

 Du plus petit au plus grand, le musée se réinvente constamment. Il génère de nouveaux parcours de visite, invite artistes, musiciens, acteurs à relire les collections. Il prend parfois la forme d’un container et voyage sur un camion. Il s’installe dans un café, chez les commerçants, dans une entreprise. Il se dématérialisée et se télécharge. Il se met à la portée de la population.

 Des programmes variés mettent en jeu la co-construction, l’interdisciplinarité, le dialogue des œuvres les plus diverses, les formules du temporaire-long ou de l’événementiel dans le permanent, la mobilité des collections…

 L’irréductibilité de l’expérience de l’œuvre et du lieu demeure une donnée de base des pratiques professionnelles et de l’offre muséale […]

Le musée inclusif et collaboratif

 Le musée devient un lieu d’hybride : les Studios, Fab’Lab, Living Lab se multiplient ; l’idée de « tiers-lieu » fait son chemin.

 Un nouveau paradigme de la relation aux publics façonne la médiation.

 Le musée comme plateau de potentialités [1].

 La transformation du musée en un lieu de production créative est un des enjeux des décennies à venir pour construire une culture vivante et mieux partagée.

 Il apparaît nécessaire de mettre en œuvre plus systématiquement un principe d’étude de réception des actions.

Le musée comme écosystème professionnel

 Réussir à agréger financements publics et ressources propres paraît être devenu le marqueur d’un musée agile et en mouvement.

 L’ensemble des questionnements pointés par les professionnels du secteur et leurs partenaires appelle un regard transversal sur un écosystème professionnel qui n’a pas achevé sa mue pour se projeter totalement dans le XXIe siècle.

 Le schéma même des organigrammes est réinterrogé en fonction d’un réagencement des compétences, d’une transition numérique intégrée et d’une réciprocité des missions.

2. Quelques remarques :

 Ce rapport sur les musées du XXIe siècle ne parle pas une seule seconde des œuvres.

 Il propose plusieurs : « chantiers à ouvrir ». Tous plus vagues et plus absurdes les uns que les autres. Notons par exemple qu’il faudrait créer une « web-tv » des musées de France. Pour quel contenu, avec quel financement ? Rien de tout cela n’est détaillé. Un « manifeste pour un musée humaniste » devra être rédigé (on en rit déjà). Le plus surréaliste est celui qui propose la création d’un « bureau de la créativité muséale au Service des Musées de France ». Quand on connaît déjà le manque de moyens des autres bureaux, on se demande sur quels effectifs, avec quel budget ce nouveau bureau pourra être mis en place, ce que le rapport ne dit évidemment pas. Notons toutefois qu’il devrait être en charge d’un « premier appel à projet » qui « sera consacré au renouvellement de la présentation des œuvres dans les galeries permanentes ». On craint le pire. Mais on se rassure en lisant que cela est « susceptible de ré-enchanter l’expérience de visite et de toucher de nouveaux visiteurs ». Après l’île de la Cité que la mission du même nom va « ré-enchanter », voilà qu’on « ré-enchante » les collections permanentes des musées...

 Le rapport contient en tout et pour tout une proposition intéressante : celle de mettre en place de façon plus large la garantie d’État qui permet aux œuvres d’être prêtées aux musées de région sans payer de primes d’assurance (l’État faisant office d’assureur). Cela faciliterait sans aucun doute les expositions. Une autre proposition est pertinente, mais elle ne fait que reprendre un constat largement partagé sans proposer d’autre solution que de « se concerter ». Il s’agit de l’harmonisation des deux fonctions publiques, celle d’État et celle territoriale qui occasionne des disparités de traitement entre des personnes (les conservateurs notamment) ayant les mêmes fonctions.

Le rapport a été mis en ligne sur le site du Ministère de la Culture. Vous pourrez ainsi revenir à la source…

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