Le projet de Musée de l’Œuvre Notre-Dame menacé par l’enquête publique en cours

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Il y a presque deux ans, la ministre de la Culture de l’époque, Rima Abdul-Malak, commandait un rapport à Charles Personnaz, directeur de l’INP, pour réfléchir à la création d’un musée consacré à Notre-Dame de Paris. Si le président de la République s’est exprimé une fois sur ce sujet en décembre 2023 lors d’une visite de Notre-Dame, ce fut à notre connaissance la seule et la dernière fois. Depuis, celui-ci conserve un mutisme complet sur ce sujet qui semble ne l’intéresser que très modérément, préférant se concentrer sur son projet néfaste pour le Louvre (voir les articles).

Ni le rapport provisoire, ni le rapport définitif remis par Charles Personnaz au ministère de la Culture n’ont été rendus publics, et tout le monde fait comme si ce projet n’existait pas, sauf lorsqu’il s’agit d’affirmer (contre toute logique et toute évidence) que les vitraux enlevés de la cathédrale dans les chapelles sud (voir les articles) seraient réinstallés dans ce musée, ce qui n’est ni souhaitable, ni même possible. Cela serait encore moins possible si la proposition de l’AP-HP pour la création de ce musée, qui est reparue sur la place publique ces derniers jours, devait se concrétiser.

Nous avons déjà eu à maintes reprises l’occasion de l’écrire ici : l’AP-HP (Assistance publique - hôpitaux de Paris), l’institution qui gère les hôpitaux parisiens, est une ennemie du patrimoine. Et cela est encore plus vrai peut-être depuis que son président est Nicolas Revel, pourtant le fils d’une des hautes figures intellectuelles de la seconde moitié du XXe siècle, Jean-François Revel.
Non content de mettre à mal le système hospitalier, l’AP-HP semble n’avoir de cesse de nuire au patrimoine parisien, comme nous l’écrivons régulièrement sur ce site. Sa nouvelle victime est donc le Musée de l’Œuvre Notre-Dame.

Certes, l’enquête publique, qui a commencé le 2 juin et se terminera le 4 juillet prochain, prévoit effectivement un « volet patrimonial et culturel » qui consisterait en « l’installation d’un musée dédié à la cathédrale Notre-Dame [...] sur 6 000 m² au nord-ouest, du côté de la rue de la Cité ». On y apprend par ailleurs que ce projet serait porté par le Centre des Monuments Nationaux.
Mais le plan qui est diffusé, la surface prévue et la localisation au nord-ouest de l’Hôtel-Dieu, c’est-à-dire dans la partie la plus éloignée possible de la cathédrale, pose évidemment de multiples questions et surtout ne répond absolument pas aux besoins exprimés par le rapport final.


1. L’emplacement réservé par l’APHP au musée, trop petit, du côté
du marché au fleurs, et exactement à l’opposé de la cathédrale.
On voit qu’à la jonction des deux ailes en jaune, le schéma reste blanc
car les deux bâtiments seront séparé, le coin restant affecté à l’hôpital.
(voir aussi l’ill. 3).
Illustration tirée de l’enquête publique.
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Ce rapport, qui n’a jamais été diffusé, nous avons pu nous le procurer. Et sa lecture est édifiante sur la manière dont l’AP-HP essaye de faire passer en force, avec la complicité du préfet d’Île-de-France (donc de l’État), un projet qui condamnerait le musée avant même son ouverture.
Quatre options sont évoquées dans ce document, dont la première, celle que souhaite mettre en œuvre l’AP-HP, est la seule qu’il rejette clairement (ill. 1). Voici en effet les inconvénients majeurs de cette solution [1] :


2. À gauche et au fond, les deux corps de bâtiment où l’APHP veut cantonner le musée. La construction récente dans la cour doit être démolie pour être remplacée par une autre qui sera le seul passage possible entre les deux ailes.
Photo : Didier Rykner
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 Les deux corps de bâtiments où seraient cantonnés le musée (ill. 2) ne communiquent pas entre eux car l’escalier qui se trouve à leur jonction sera utilisé par l’AP-HP et donc non disponible pour le musée. Celui-ci se retrouverait donc dans deux bâtiments qui se touchent par une arête (ill. 3) ! Il serait donc nécessaire de créer des circulations verticales supplémentaires prenant sur les surfaces d’exposition, et de les faire communiquer en construisant un bâtiment dans la cour qu’ils entourent [2].


3. On voit que le musée (entouré de rouge) serait entièrement à l’opposé de la cathédrale.
Il faut lui ajouter un bâtiment bas construit dans la cour pour relier les deux ailes.
Illustration tirée dans l’enquête publique
(nous avons rajouté la délimitation du musée en rouge)
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 La portion congrue de l’Hôtel-Dieu ainsi affectée au musée ne permettrait donc de lui assurer que 3 700 m² d’espace d’expositions alors que les besoins sont compris entre 7 000 et 9 000 m². On peut remarquer que dans l’enquête publique il est écrit que le musée s’étendrait sur 6 000 m², ce qui est faux, d’abord en raison de la suppression de certains entresolements, nécessaires pour obtenir des salles de taille suffisante, et de la création des circulations supplémentaires déjà citées. Ce mensonge est doublé d’un second, puisqu’il est écrit : « selon les dernières hypothèses imaginées, ce nouvel établissement culturel aurait besoin d’occuper une surface de 6 000 m² ». On ne sait qui, à part l’AP-HP, arrive à ce chiffre, mais le rapport parle bien d’une surface utile nécessaire comprise entre 7 000 et 9 000 m². Et, comme nous venons de le voir, la surface réelle serait en réalité de 3 700 m². Ce n’est pas le seul mensonge de l’enquête publique telle qu’elle est rédigée, comme on peut le voir pour le point suivant.

 Il suffit en effet de regarder le plan pour constater que l’option choisie par l’AP-HP (ill. 3) ne permet aucune vue sur la cathédrale. Or, dans l’enquête publique, on lit que le parcours du musée est « progressif amenant le visiteur à prendre de la hauteur, physiquement depuis les sous-sols jusqu’aux étages du musée, mais aussi en multipliant les angles et les points de vue sur la cathédrale et son histoire ». L’AP-HP et la préfecture jouent ici sur les mots, car toute personne normalement constituée lira qu’en prenant de la hauteur « physiquement », le visiteur aurait plusieurs points de vue sur Notre-Dame. Or il ne s’agit pas ici de points de vue réels, mais de points de vue intellectuels…

 Le musée sera en réalité totalement déconnecté de la cathédrale, se trouvant à l’opposé exact de celle-ci dans l’Hôtel-Dieu. Qu’une entrée soit prévue par la façade de l’Hôtel-Dieu ne change pas grand-chose à ce constat. D’une part car il s’agira d’une entrée largement partagée, d’autre part car il faudra ensuite parcourir 80 mètres dans le bâtiment pour entrer effectivement dans le musée. Le Musée de Notre-Dame s’apparentera plutôt, au moins dans sa disposition, comme un musée du marché aux fleurs.

 Cela occasionnera d’ailleurs, c’est aussi écrit dans le rapport : « des conflits d’usage avec les autres usagers du site qui seraient préjudiciables à tous ».

 Enfin, comme on le lit encore dans le rapport, « le succès public […] pourrait être plus limité, entraînant une baisse des recettes de billetterie et une moindre attractivité pour les mécènes », ce qui entrainera un coût plus important pour l’État. La création d’un musée au rabais, avec une surface d’exposition insuffisante et donc beaucoup moins d’œuvres exposées, contribuera par ailleurs à cette attractivité moindre

Bref, ce projet est mauvais, alors que le rapport propose trois autres options entre lesquelles il ne tranche pas, et dont au moins deux nous semblent acceptables, l’une, d’ailleurs plus que l’autre, permettant en plus de ne pas trop pénaliser le projet prévu pour Novaxia.
Car il faut rappeler ce qui motive l’AP-HP : faire un maximum d’argent sur le site de l’Hôtel-Dieu grâce aux espaces commerciaux.


4. Premier scénario étudié dans le rapport
Illustration tirée du rapport
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Le premier scénario (option 2 dans le rapport, la première étant celle de l’AP-HP) affecte au musée la partie droite de la façade sur le parvis et le pavillon tout de suite à droite du vestibule d’accueil central, qui servirait d’entrée pour le musée (ill. 4). Afin de permettre néanmoins l’installation des espaces commerciaux souhaités par l’AP-HP, ceux-ci occuperaient à la fois la partie gauche de la façade et les deux premiers niveaux de la partie droite. Pour donner au musée une surface suffisante, celui-ci s’étendrait (sur les mêmes niveaux haut) sur l’aile ouest de la cour pour rejoindre un des bras donnant vers l’île de la Cité. Une partie des fonctions d’accueil et de service se situerait en sous-sol, sous la cour centrale. Il faut signaler ici un point important : contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’île de la Cité ne serait pas impactée par une crue de la Seine.
Un des principaux inconvénients de ce projet est la trop grande étendue dans l’espace du musée, peu pratique pour celui-ci et pour les visiteurs. Il prévoit par ailleurs, ce qui n’est pas acceptable, la création d’une « nouvelle structure temporaire » dans cette cour pour les expositions temporaires.


5. Deuxième scénario étudié dans le rapport
Illustration tirée du rapport
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6. Vue de l’entrée de l’Hôtel-Dieu sur le parvis, et de la partie droite qui serait occupée entièrement par le musée dans le scénario 2 du rapport.
Photo : Didier Rykner
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Le deuxième scénario (option 3) concentre les espaces du musée sur la partie droite de la façade sur le parvis, en y ajoutant les deux ailes qui entourent la première cour de droite sur la rue d’Arcole, en gardant l’entrée principale par le pavillon d’accueil et en installant la salle d’exposition temporaire sous le jardin de la cour centrale (ill. 5 et 6).
Ce scénario, comme le précédent, permet des vues (réelles cette fois)sur la cathédrale (grâce à un belvédère en terrasse). Il a pour seul inconvénient d’être plus difficilement acceptable par Novaxia et l’AP-HP car il diminue la surface commerciale de la façade sur le parvis, qui n’existerait plus que dans la partie gauche.


7. Troisième scénario étudié dans le rapport, à notre sens le meilleur si l’on exclut la construction dans la cour au nord-ouest dont on ne comprend pas bien la nécessité.
Illustration tirée du rapport
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Le troisième et dernier scénario (option 4) répartit les espaces du musée sur toute la façade et sur les deux ailes perpendiculaires à celle-ci de part et d’autre du jardin central sur un quart de ces ailes (ill. 7). Il laisse, comme pour le premier scénario, les espaces libres sur le parvis pour le programme commercial de Novaxia, mais a l’avantage sur le scénario précédent d’être plus équilibré dans la répartition des espaces du musée qui aura tous les espaces en hauteur sur le parvis.
Bizarrement, ce projet prévoit également une ouverture sur la rue de la Cité comme dans le scénario choisi par l’AP-HP sans qu’on comprenne bien l’utilité de celle-ci. Ce point devrait sans doute être revu sans changer beaucoup le programme. Comme dans l’option précédente, les expositions temporaires seraient installées sous le jardin central.
Comme le premier scénario, il se plie davantage aux contraintes imposées par Novaxia.

Il semble donc logique d’éliminer le premier scénario, trop étendu et asymétrique, ainsi que deuxième qui, s’il est satisfaisant quant à son emplacement, propose une surface plus faible pour le musée tout en étant probablement plus difficilement acceptable pour l’AP-HP, à moins de dédommager cette institution de son manque à gagner.
Le troisième scénario est logique et cohérent quant à son emplacement, la surface accordée au musée est confortable et il préserve davantage la partie commerciale qui semble essentielle pour l’AP-HP. Comme celle-ci n’a jamais répondu à nos questions, pas davantage que Novaxia qui nous a il y a longtemps renvoyé vers l’AP-HP, nous ne saurons pas pourquoi elle n’a pas envisagé cette option ni pourquoi elle s’obstine à vouloir faire passer en force son propre scénario [3].

Le document présentant l’enquête publique explique qu’une modification du PLU est nécessaire pour mettre en œuvre le projet AP-HP/Novaxia, ce qui est exact car il est expressément écrit dans le PLU actuel que, celui-ci étant dans une zone (UGSU), il est interdit d’y installer des habitations, des bureaux et du commerce. Mais il dit également que pour installer le musée il est nécessaire aussi de modifier le PLU, ce qui est beaucoup plus discutable. Car nulle part ne figure l’interdiction d’y installer des équipements culturels et, a fortiori, des musées.
Pour pallier ce point gênant, l’enquête publique explique que : « il est rappelé que les grands musées de la Capitale tels que le Louvre, le Centre Pompidou ou le Musée d’Arts Modernes… sont tous classés en zone UG, ce qui confirme que les auteurs du PLU n’ont pas estimé que les musées relevaient de la catégorie des "grands équipements et services nécessaires au fonctionnement de l’agglomération" ». Ce qui est une interprétation particulièrement spécieuse, puisque les musées ne sont jamais prévus dans les PLU, car il s’agit d’établissements trop spécifiques, et que, n’ayant pas de zones prévues pour eux, ils peuvent tout aussi bien se trouver en zone UG qu’en zone UGSU, d’autant que, comme nous l’avons dit, rien ne l’interdit.

Le musée se trouve ainsi pris en otage par l’AP-HP, d’une part car il est probable que la transformation d’une petite partie de l’Hôtel-Dieu en musée, qui ne changerait pas la destination principale de cet hôpital, ne nécessiterait pas une modification du PLU. C’est bien le projet Novaxia qui l’exige.
D’autre part, car il n’existe pas de zonage qui permettrait l’installation d’un musée mais empêcherait celles de commerces, de bureaux et de logements. En dehors des Zones urbaines vertes (UV) et des Zones naturelles et forestières (N) - qui ne concernent évidemment pas l’Hôtel-Dieu - le seul choix est entre UG et UGSU, qui peuvent tous deux accueillir un musée.
Ajoutons que le projet Novaxia dans son état actuel [4], n’est pas seulement une menace pour le musée, il l’est aussi pour le monument, inscrit depuis peu et qu’il faudrait évidemment classer. Il est en effet prévu de construire dans plusieurs cours donnant sur la rue de la Cité et la rue d’Arcole, en remplaçant certaines verrues déjà existantes, alors qu’il faudrait justement en profiter pour dégager enfin l’édifice.

On ne demande pas à l’enquête publique de décider s’il faut un musée ou le projet Novaxia. Le passage en UG autoriserait de facto les deux. Il est donc préférable de rejeter ce changement de PLU qui faciliterait le mauvais coup que prépare l’AP-HP contre le musée. Pour une fois, la majorité du Conseil de Paris, qui s’oppose à la marchandisation des lieux, devrait pouvoir décider à ce sujet. Et, surtout, l’État, sans qui ce mauvais coup ne serait pas possible, doit se ressaisir et remettre Nicolas Revel à sa place. Celle d’un haut fonctionnaire qui n’est pas libre de n’en faire qu’à sa tête. Il s’agit d’abord d’une décision politique.

Commencée le 2 juin, l’enquête publique se poursuit jusqu’au 4 juillet à 17 h, une réunion d’information et d’échanges étant organisée le mardi 24 juin 2025 à partir de 20 h, à l’Hôtel-Dieu (Amphithéâtre Dupuytren, Aile A1).
Bien entendu, nous encourageons tous nos lecteurs à participer à cette enquête en se rendant sur le site prévu pour cette consultation : le dossier se trouve ici, et vous pouvez y contribuer à partir de cette page. Nous vous invitons pour cela bien sûr à prendre connaissance du dossier, et à utiliser, si vous les trouvez pertinent,s les arguments que nous avons développés dans cet article.
Si l’on résume ce qui est prévu pour le musée, celui-ci sera en effet :
 beaucoup trop petit par rapport aux besoins,
 avec un agencement absurde dans deux corps de bâtiment entre lesquels les circulations horizontales seront impossibles,
 éloigné de la cathédrale et sans vue sur celle-ci,
 difficile à financer car les mécènes seront beaucoup moins intéressés.
On peut donc difficilement imaginer pire.

Se rendre à la réunion d’information du 24 juin pour signifier directement aux commissaires-enquêteurs ce que vous en pensez est par ailleurs une démarche souhaitable. Pour notre part, nous y serons. De même que nous nous battons contre le remplacement des vitraux de Notre-Dame, nous ferons tout pour que le musée puisse s’installer de la manière optimale dans l’Hôtel-Dieu. Et nous rappellerons en conclusion que l’AP-HP ferait mieux, plutôt que d’empêcher la création de ce musée, de se préoccuper de son propre musée (appelé d’ailleurs Musée de l’Assistance Publique), qu’elle a honteusement fermé il y a déjà treize ans.

Didier Rykner

Notes

[1Nous avons complété quelques arguments avancés par le rapport.

[2Sur ce bâtiment à construire, voir un peu plus loin.

[3Notons que pour cet article nous avons également voulu interroger Charles Personnaz qui ne souhaite rien dire de plus que ce qu’il avait expliqué dans le podcast que nous avions enregistré avec lui. Nous avions aussi l’an dernier, à plusieurs reprises, interrogé l’Élysée sur le Musée de l’Œuvre Notre-Dame l’an dernier, et celui-ci ne nous a jamais répondu.

[4Le projet prévoit notamment pas moins de 5 000 m² de « restaurations et de commerce » et 700 m² d’« auditoriums et d’espaces d’exposition » (hors musée, bien sûr)... Pour faire passer le tout, on environ 3 000 m² de pôle habitat solidaire dans lequel on trouvera, outre « une quarantaine de logements permettant d’accueillir environ 55 habitants » (dans une ville qui perd en moyenne depuis 2011 environ 12 500 habitants par an) et, bien sûr, l’inévitable crèche qui sert à faire passer tous les projets polémiques. S’y ajoute « un pôle innovation, recherche en santé et bureaux » d’environ 10.000 m².

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