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- 1. Eppo Bruins, ministre de
la Culture des Pays-Bas
Photo : Remco van de Pol (CC BY-SA 4.0) - Voir l´image dans sa page
Dans la grande course aux restitutions d’objets d’art à l’Afrique, les Pays-Bas viennent de se remettre dans le jeu avec une action fracassante soutenue et validée par le ministre de la Culture Eppo Bruins (ill. 1).
Plus d’une centaine d’objets du royaume de Benin (actuel Nigeria), relevant majoritairement des collections du Wereldmuseum de Leyde (ill. 2), sont annoncés comme devant faire l’objet d’un retour dans leur pays d’origine.
Comme le commente sobrement le ministre Bruins : « Cette restitution contribue à réparer une injustice historique qui se fait encore sentir aujourd’hui. Le patrimoine culturel est essentiel pour raconter et vivre l’histoire d’un pays et d’une communauté. Les bronzes du Benin sont indispensables au Nigeria. Il est bon qu’ils y retournent. [1] »
Les raisons avancées pour ce retour reposent sur le fait que ces artefacts furent acquis lors de la prise de Benin City par les Britanniques en 1897.
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- Benin City, Nigéria, culture beni, XVIIe siècle
Tête commémorative
Laiton - 24,2 x 20 x 22,8 cm
Leyde, Wereldmuseum
Promis à la restitution.
Photo : Wereldmuseum - Voir l´image dans sa page
Dans un article précédent, nous nous sommes déjà étendu sur les causes de cette campagne militaire anglaise. Nous y avions également pointé l’inexistence de politique d’acquisition du Nigeria, pays comportant pourtant un nombre conséquent de millionnaires et milliardaires, pour des objets patrimoniaux du royaume de Benin mis en vente depuis plusieurs décennies.
Nous rappellerons aussi que les saisies d’objets réalisées par les Britanniques ne contrevenaient aucune loi de l’époque touchant aux coutumes de la guerre qu’elles soient européennes ou de Benin. Par ailleurs, cette campagne militaire s’est déroulée en 1897 et c’est bien en 1899 que la convention de La Haye mit une première base légale à vocation internationale concernant les spoliations en cas de conflit.
Enfin, cette frénésie de récupération totale par le Nigeria de ces objets devenus « indispensables » n’est pas vraiment en phase avec ce que les oba (souverains) de Benin réclamèrent en terme de restitution par le passé. Comme le précise très bien la chercheuse Audrey Peraldi, c’est en février 1935 que l’oba Akenzua II demanda à Lord Plymouth, sous-secrétaire d’état aux colonies, de l’aider à retrouver deux trônes en alliage de cuivre pris en 1897 et qui se trouvaient à Berlin [2]. À aucun moment, ce petit-fils de l’oba Ovonramwen, vaincu par les Anglais en 1897, ne réclama l’intégralité des bronzes de Benin [3] disparus.
Ceci étant, nous ne connaissons pas tous les détails de ce récent accord entre les Pays-Bas et le Nigeria. Par exemple, ces objets promis au retour seront-ils propriété de l’état ou bien remis à la personne privée de l’oba Ewuare II comme cela fut le cas avec les objets de Benin restitués par le gouvernement allemand en 2023 (voir cet article) ?
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- 3. Pasquier Borman (actif dans la
première moitié du XVIe siècle)
Retable de Boussu
Avant saisie des éléments
disparus et reconstitution
Boussu, église Saint Géry
(chapelle seigneuriale)
Photo : IRPA - Voir l´image dans sa page
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- 4. Pasquier Borman (actif dans la
première moitié du XVIe siècle)
Retable de Boussu
Après saisie des éléments
disparus et reconstitution
Boussu, église Saint Géry
(chapelle seigneuriale)
Photo : IRPA - Voir l´image dans sa page
Quoiqu’il en soit, on peut faire remarquer que les Pays-Bas savent pratiquer le deux poids deux mesures en matière de restitution. Il existe une petite histoire sur ce sujet [4]. La nuit du 14 novembre 1914, furent volés en l’église Saint-Géry à Boussu (Belgique) des éléments d’un retable du XVIème siècle réalisé par Pasquier Borman (ill. 3 et 4). Bien que les auteurs du délit fussent arrêtés et jugés en 1915, les pièces dérobées ne furent pas retrouvées. Nous abrégeons ici un peu le récit pour arriver en 2006. Cette année-là, les objets disparus intégrèrent par donation les collections du Museum Boijmans Van Beuningen (Rotterdam). En 2008, ce musée reçut une lettre de la commune de Boussu demandant la restitution desdits objets inscrits au patrimoine de la région wallonne. Le musée ignora cette demande de restitution pendant de nombreuses années alors même qu’elle était bien plus recevable, au plan strictement juridique, que celle des bronzes de Benin. Il fallut attendre 2019 pour que les choses bougent. Toutefois, cette évolution ne vint pas initialement des autorités néerlandaises compétentes, mais résulta plutôt de l’action de la police belge ; laquelle fit saisir les éléments du retable qui se trouvaient alors en prêt au Musée M de Leuven (Belgique) à l’occasion de l’exposition Borman & fils.
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- 5. Reinette Klever, ministre en charge
du commerce extérieur et de l’aide
au développement des Pays-Bas
Photo : Ministerie van Buitenlandse Zaken (CC BY-SA 2.0) - Voir l´image dans sa page
Fermons la parenthèse de Boussu pour revenir aux objets de Benin. En fait, ce qui nous semble le plus intéressant dans cette affaire concerne le battage médiatique qui en est fait. De nombreux journaux, néerlandais comme étrangers, ont loué la générosité des Pays-Bas qui devinrent le nouvel exemple à suivre pour ce qui concerne la réparation mémorielle et l’amitié entre les peuples.
Il est cependant dommage que les journalistes ne se soient pas intéressés également à la déclaration d’un autre ministre des Pays-Bas qui suit de près celle d’Eppo Bruins .
Ainsi, en février 2025, Reinette Klever, ministre en charge du commerce extérieur et de l’aide au développement (ill. 5), affirma que, à partir de 2027, le gouvernement amputerait 2,4 milliards d’euros sur les 6,2 milliards annuels prévus à l’aide au développement.
Quant aux 3,8 milliards restants, ils ne devraient être utilisés que pour trois aspects : le commerce et l’économie, la sécurité et la stabilité, et la migration [5].
En matière d’immigration, l’usage de fonds pourrait contribuer à aider des migrants à construire une vie dans un pays voisin de leur pays d’origine.
Comme le dit la ministre : « … En leur offrant une perspective là-bas, les gens pourraient se construire un avenir proche de chez eux et n’auraient pas besoin de faire le voyage jusqu’en Europe. »
Bien entendu, comme le précise l’article de la Nederlandse Omroep Stichting (NOS), cette coupe dans les budgets au développement sacrifiera quelques projets secondaires : droits des femmes, égalité des sexes, enseignement professionnel et supérieur, sports et culture. Quant à l’UNICEF, sa dotation se verra réduire de moitié.
N’en doutons pas, cette volonté de réorientation financière visant à contribuer directement aux intérêts néerlandais (dixit la ministre Klever) est tout autant altruiste que celle de rendre un bronze de Benin à sa terre natale. Nous imaginons donc que les thuriféraires des restitutions bataves l’accueilleront avec une semblable satisfaction.
En fait, si l’on était un peu cynique, on pourrait penser que rendre les pièces de Benin au Nigeria s’apparente plutôt à une bonne affaire néerlandaise.
1) En 2023, le Wereldmuseum de Leyde et ses arts du Monde attiraient approximativement 100 000 visiteurs par an… bien loin de l’attractivité du Rjksmuseum d’Amsterdam, ses Rembrandt et ses 2 700 000 de visiteurs. Au point de vue de l’attractivité culturelle et touristique des Pays-Bas, il n’y aurait donc pas un réel problème à amputer les collections de Leyde d’une centaine d’objets.
2) En restituant ces œuvres, le gouvernement pourrait s’acheter une morale progressiste permettant « d’emballer » un durcissement et une réorientation de l’aide économique consacrée au développement.
3) En rapport avec le point deux, il serait important de faire une estimation de la valeur financière actuelle de l’ensemble des objets promis à restitution au Nigeria… lesquels ne sont pas tous des chefs-d’œuvre, loin de là. Une estimation rapide, qu’il faudrait nécessairement affiner, nous fait dire que nous serions entre 15 et 20 millions d’euros pour l’ensemble. Une campagne publicitaire un peu onéreuse certes… mais acceptable pour du « morality washing » et, en tous les cas, moins coûteuse qu’une pub Nike réalisée par Robert Rodriguez.
Bien entendu, comme nous l’avons dit, il faudrait être extrêmement cynique pour utiliser le patrimoine muséal de cette manière. Or, nous savons que les politiques ne le sont jamais.