Le Palais de la Porte Dorée soigne son patrimoine Art Déco

8 8 commentaires Toutes les versions de cet article : English , français

15/9/23 - Patrimoine - Paris, Palais de la Porte Dorée - Comment ne pas parler de résurrection ? C’est un décor complet qui vient de renaître aux yeux des visiteurs de ce monument emblématique de l’Art déco français : le beau Salon des Laques vient d’être reconstitué et de retrouver sa vocation initiale. Situé au centre du bâtiment, au dernier étage, celui-ci marque la jonction entre les deux galeries aujourd’hui dédiées au parcours permanent - inauguré en juin dernier - et les salles d’exposition temporaire, actuellement fermées mais qui accueilleront dès le mois prochain une double manifestation organisée dans le cadre d’une riche saison asiatique. Lors de l’exposition coloniale de 1931, l’architecte Albert Laprade avait conçu ici un triple espace de repos, d’accueil et d’information (ill. 1 à 4).


1. Vue du Salon des laques du Palais de la Porte Dorée
Photo : Cyril Zannettacci
Voir l´image dans sa page
2. Vue du Salon des laques du Palais de la Porte Dorée
Photo : Cyril Zannettacci
Voir l´image dans sa page

Accueillant un exceptionnel ensemble de mobilier Art déco dessiné par l’architecte et décoré de magnifiques panneaux de Jean Dunand, le Salon des laques avait hélas totalement disparu au fil du temps : sièges et tables avaient certes pu être employés dans différents bureaux tandis que les volumineuses bibliothèques avaient de leur côté fini à la cave. C’est ainsi un véritable sauvetage patrimonial qui a été mené au cours des dernières années, le projet ayant commencé par dresser l’inventaire des derniers vestiges de cet ensemble méconnu. Ces pièces imposantes ne sont pas signées Printz ou Ruhlmann, comme le mobilier des deux salons historiques du rez-de-chaussée de l’ancien palais des Colonies, mais ont été livrées par Dennery, célèbre maison du Faubourg Saint-Antoine très active au cours des années 1930. Démontés, ces meubles en palissandre de Madagascar avaient bien sûr souffert des ravages du temps et ont été retrouvés partiellement décolorés, mais en bon état.


3. Vue du Salon des laques du Palais de la Porte Dorée
Photo : Cyril Zannettacci
Voir l´image dans sa page
4. Vue du Salon des laques du Palais de la Porte Dorée
Photo : Cyril Zannettacci
Voir l´image dans sa page

Il fallut donc bien sûr les restaurer mais aussi leur redonner une vraie lisibilité en retrouvant leur disposition d’origine à l’aide de quelques photographies anciennes mais surtout des documents présents dans le fonds Albert Laprade, heureusement conservé aux Archives nationales. Le maréchal Lyautey, commissaire général de l’Exposition coloniale de 1931, avait quasiment donné carte blanche à l’architecte pour le palais des Colonies : l’édifice et sa décoration constituent ainsi un ensemble remarquablement homogène, les lignes sobres des bibliothèques du Salon des laques faisant écho à celles de la façade du bâtiment. Si tous les éléments les plus importants ont pu être retrouvés, les sièges manquaient cependant à l’appel et ont donc été refaits à neuf pour l’occasion, ce qui a au moins l’avantage de pouvoir permettre aux visiteurs de les utiliser : le salon peut dès lors retrouver sa fonction d’origine. Plusieurs mécènes sont venus soutenir ce projet ambitieux, dont les travaux muséographiques - environ 300 000 € - ont été pris en charge par le Palais de la Porte Dorée tandis que Christian Louboutin apportait un montant équivalent, entièrement consacré à la restauration des meubles par les Ateliers de la Chapelle. Très attaché au bâtiment, qui accueillit pendant près d’un an l’exposition « Christian Louboutin : L’Exhibition[niste] » dont le commissariat fut assuré par Olivier Gabet, le célèbre créateur de souliers de luxe participa également à la restauration des deux plus grands panneaux de laque de Jean Dunand tandis que la Fondation François Sommer et Réjane Lacoste venaient boucler le budget du chantier confié à deux restauratrices spécialisées, Alice Mohen et Caroline Thiphavong Khamheuang [1].


5. Jean Dunand (1877-1942)
La Forêt, 1930
Laque de Coromandel noire « défoncée », gravée et colorée en creux - 295 x 335 x 7 cm
Paris, Musée du Quai Branly - Jacques Chirac
Photo : RMN-GP/J.-G. Berizzi
Voir l´image dans sa page

Les dix panneaux qui donnent son nom à la pièce constituent assurément la plus séduisante redécouverte de ce projet : quittant les étages, ils furent exposés dans le grand hall du bâtiment jusqu’à la fermeture de l’ancien Musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie et partirent dans ses bagages lors du transfert des collections vers le Musée du Quai Branly, qui ouvrit ses portes en 2006. Celui-ci n’avait cependant pas vocation à les exposer et les panneaux furent donc conservés en réserve jusqu’à l’exposition Peintures des lointains, en 2018-2019 : deux d’entre eux furent restaurés et présentés à cette occasion. Leur histoire est singulière : le premier (ill. 5) d’entre eux, La Forêt, fut acquis par l’État en amont de l’Exposition coloniale de 1931 tandis que les autres firent l’objet de dons de l’artiste, à l’exception des deux panneaux des Sénégalaises également acquis par l’État. Désormais inscrits sur les inventaires du Musée du Quai Branly, tous ont fait l’objet d’un dépôt au Palais de la Porte Dorée.


6. Vue du Salon des laques du Palais de la Porte Dorée
Photo : Cyril Zannettacci
Voir l´image dans sa page
7. Vue du Salon des laques du Palais de la Porte Dorée
Photo : Cyril Zannettacci
Voir l´image dans sa page

Les auteurs de ce si bel ensemble étaient déjà cités dès 1931, comme en témoigne le panneau d’époque (ill. 6) à la séduisante typographie visible sur l’une des grandes bibliothèques, qui ne peuvent hélas plus vraiment accueillir des ouvrages puisque la manipulation régulière des tiroirs et des vitrines ne manquerait pas de les dégrader. Les visiteurs peuvent également contempler de très près les grands panneaux de laque, notamment celui des Éléphants (ill. 7) qui domine l’immense canapé entièrement dû aux Ateliers de la Chapelle mais une surveillance humaine et vidéo devrait très bientôt accompagner les cartels et mises à distance déjà installées. Les vitrines et les bibliothèques permettent en revanche d’accueillir des expositions-dossiers comme celle que les visiteurs peuvent déjà découvrir, présentant l’œuvre de Jean Dunand à l’aide de nombreux documents et photographies d’époque. Quelques achats ponctuels mais pertinents ont également été menés, comme celui d’un beau vase boule (ill. 8) acquis chez Ader Nordmann & Dominique lors d’une vente à l’hôtel Drouot en juin dernier : réalisé en cuivre laqué à la façon de Jean Dunand et à l’occasion de l’Exposition coloniale de 1931, il a idéalement trouvé place dans l’une des vitrines à l’issue de sa restauration. Un mois plus tôt, c’est un vase bassin de Jean Dunand lui-même qui était acheté chez Valetoux puis restauré.


8. Vase laqué aux poissons rouges, 1931
Laque rouge et or sur fond de laque noire, incrustations d’argent autour du col - 22 cm
Paris, Palais de la Porte Dorée
Photo : Ader Nordmann & Dominique
Voir l´image dans sa page

Ces attentions récentes constituent assurément de bonnes nouvelles pour le Palais de la Porte Dorée, qui avait fait l’objet en 2019 d’un rapport cinglant de la Cour des Comptes pointant l’état de quasi abandon du bâtiment. Les choses ont bien changé depuis, les travaux ayant bénéficié des subsides du plan France Relance. Toujours mal aimé, trop lié à un passé colonial qui ne passe pas, le Palais de la Porte Dorée ne semble pas encore estimé pour ce qu’il est : un grand chef-d’œuvre de l’architecture Art déco, certes au service d’une idéologie impérialiste qui imprègne fortement tous les éléments de son si beau décor mais qui mérite assurément tous les soins. Il faut cependant souligner les efforts de médiation sur place, sur son site internet comme dans le riche mooc - cours en ligne gratuit - consacré à ce bâtiment et à sa place si singulière dans la propagande coloniale. Les meubles et les objets exposés dans les deux salons du rez-de-chaussée ont récemment fait l’objet d’une restauration dans les ateliers du Mobilier national - qui expédia pour l’occasion les pièces crées par Pierre Paulin pour le bureau de François Mitterrand au Palais de l’Élysée en 1984 dans le Salon Lyautey ! - déjà financée grâce au mécénat de Christian Louboutin.


9. Vue du Salon Asie, salon de réception du maréchal Lyautey, commissaire général de l’Exposition
Photo : Lorenzö
Voir l´image dans sa page
10. Vue du Salon Afrique, salon de réception de Paul Reynaud, alors ministre des Colonies
Photo : Lorenzö
Voir l´image dans sa page

Cette restauration du mobilier historique des deux salons (ill. 9 et 10) a donc constitué le premier jalon d’une politique de (re)valorisation envisagée sur le long terme et destinée à s’appuyer sur de nouveaux mécènes. Le salon des Laques, inauguré à l’occasion des Journées du Patrimoine [2], marque donc une nouvelle étape de ce projet qui devrait se poursuivre par la restauration des sol du hall d’honneur, du forum, de l’auditorium et le hall Marie-Curie au rez-de-chaussée du Palais de la Porte Dorée : ornés de somptueuses mosaïques Art déco couvrant une surface de plus de 2 500 m², ceux-ci ont particulièrement souffert depuis 1931 et nécessitent une intervention pour laquelle l’établissement part d’ores et déjà à la recherche de mécènes...

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.