Après le Louvre-Abou Dhabi (voir l’article), c’était au tour du Louvre-Lens d’organiser une rencontre autour de son projet. Les deux événements étaient cependant bien différents, puisque cette seconde journée (qui se limitait en réalité à une demi-journée) se déroulait à Arras vendredi 21 novembre 2008 et ne portait que très peu sur le projet muséographique. De même, et contrairement à ce qui s’était déroulé dans l’enceinte du Louvre-Paris (faudra-t-il désormais l’appeler ainsi ?), le public, essentiellement local, était tout acquis et prompt à applaudir. Dans un beau concert de démagogie, il fut également beaucoup question de football, un des objectifs avoués étant de faire venir dans ce musée les spectateurs du stade Bollaert situé non loin du Louvre-Lens, dans ce musée...
Il fut beaucoup question des enjeux économiques, touristiques et logistiques du projet qui manifestement occupent (ou préoccupent) beaucoup les élus et les décideurs. Les grandes questions étant : le succès du Louvre-Lens sera-t-il celui du Guggenheim-Bilbao, manifestement le grand modèle, et comment retenir les visiteurs sur le territoire du Nord-Pas-de-Calais.
On s’attardera pourtant sur l’exposition « permanente » qui, à bien des titres, est une menace pour le Louvre encore plus importante que ne l’est le Louvre-Abou Dhabi [1].
Comme dans l’émirat, il est prévu de déposer 300 œuvres (un chiffre rond qui semble plaire décidément) pour représenter, non l’intégralité de l’histoire de l’art de tous les pays et de tous les temps mais, plus modestement (!) du quatrième millénaire à 1850...
Ces 300 œuvres, qui viendront uniquement du Louvre, seront présentées chronologiquement, toutes techniques et toutes ères géographiques mélangées (comme à Abou Dhabi, une nouvelle fois), dans un espace intitulé La galerie du Temps. Il n’y aura ici que trois sections et, ce qui est plus grave, les objets seront déposés pendant pas moins de cinq ans. Olivier Meslay, qui présentait ce programme, a été très clair comme il l’avait été lors d’un débat public que nous avions eu avec lui : les œuvres ne viendront pas des réserves mais bien des murs du Louvre. Et quelles œuvres ! seules quelques-unes ont été présentées, et la plupart font partie des pièes essentielles du musée du Louvre. Qu’on en juge :
- la première séquence, qui ira de l’Antiquité à la fin de l’Empire romain, présentera notamment la statuette de la dame Touy, une idole cycladique, un bronze du Luristan, un Kouros, le Discophore, l’Hermaphrodite Borghèse, couché sur le matelas sculpté par le Bernin, une mosaïque romaine...
- pour la seconde section, consacrée au Moyen Age, sera déposé notamment la Crucifixion de Jean de Beaumetz ce qui, compte-tenu du faible nombre de peintures françaises de cette époque conservée au Louvre, provoquera une vraie lacune dans la section des primitifs français.
- la troisième séquence sera sans doute la plus riche en chefs-d’œuvre (en tout cas, parmi les œuvres dévoilées, il s’agit de celles les plus importantes) : le Saint Sébastien de Pérugin, une Vierge à l’Enfant de Mino da Fiesole (prêt moins gênant puisque le Louvre en possède plusieurs), la Madeleine à la Veilleuse de Georges de La Tour, Orphée et Eurydice de Poussin, un ivoire de Van Obstal, la Marquise de santa Cruz de Goya, ou le Portrait de Monsieur Bertin d’Ingres.
Ce que nous dénoncions depuis le début va donc devenir réalité. Le Louvre sera privé par périodes de cinq ans d’œuvres essentielles à ses collections, dont les absences seront dommageables pour ses visiteurs, qu’ils viennent de l’étranger ou de France (allez dire à un palois ou à un niçois qu’il doit se rendre à Paris et à Lens pour voir l’intégralité des collections du Louvre). Il est impossible d’imaginer le Louvre sans Monsieur Bertin d’Ingres, qui ne devrait être prêté que très exceptionnellement pour des expositions de trois mois maximum. Ceci est d’autant plus absurde que le Louvre cherche actuellement à acquérir un Trésor National, le Portrait du Comte Molé. Une véritable politique intelligente serait d’acheter ce tableau pour le Louvre-Lens, afin de commencer une collection permanente de qualité Louvre qui permettrait de ne pas déshabiller le musée parisien tout en donnant aux visiteurs de Lens les œuvres majeures qu’on lui a promises. Faire rentrer un Ingres de plus au Louvre pour en expulser Monsieur Bertin est une curieuse politique.
Il est vrai (évidemment, le mot a été prononcé) que nous serons à Lens dans le cadre d’un laboratoire ! Quant à la Marquise de santa Cruz de Goya, lorsque l’on sait la relative faiblesse du Louvre en peinture espagnole, on peut s’indigner d’un dépôt de cinq ans de cette œuvre à Lens.
Il n’a pas été question ici d’hypothèses qui ont pourtant été évoquées et dont il y aurait lieu de se féliciter : le dépôt à Lens d’œuvres de grande taille qui ne peuvent trouver leur place dans le « Louvre-Paris », comme des peintures de panorama aujourd’hui conservées en réserves (sachant qu’aucun panorama n’est actuellement, à notre connaissance, visible dans les musées français). Le véritable avenir du Louvre-Lens, répétons-le, serait d’y créer une véritable collection permanente, formée de dépôts d’œuvres non présentées venant éventuellement de divers musées français, et d’objets majeurs acquis, pourquoi pas avec l’aide du mécénat. Un archer de la frise du palais de Darius a été reconstitué pour Lens à partir d’éléments conservés mais non exposés. Celui-ci ne privera donc personne et il serait logique de le déposer définitivement à Lens. Un exemple à méditer.