Le tableau
La petite commune de Veules-les-Roses (autrefois Veules-en-Bray) s’enorgueillit d’être traversée par le plus petit fleuve de France, la Veules. Son charme a aussi attiré différents artistes au cours du temps. Dans son église Saint-Martin (reconstruite entre 1520 et 1610) au décor intéressant (notamment le dais peint à la voûte et les piliers sculptés), un tableau (ill. 1) accroché sur l’un des murs de la nef attire assez vite le regard : Le Christ parmi les Docteurs dont le caractère nordique est immédiatement perceptible et qui semble avoir été peint dans la première moitié du XVIIe siècle. Aucune indication sur son auteur n’est disponible sur place ou dans les bases du ministère de la Culture (sauf la mention d’une restauration en 1993 [1]) et il porte un simple cartel « donné par la famille Michel ».
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- 1. Anonyme nordique de la première moitié du XVIIe siècle
Le Christ parmi les docteurs
Huile sur toile - 180 x 200 cm
Veules-les-Roses, église Saint-Martin
Photo : Moana Weil-Curiel - Voir l´image dans sa page
Intrigué par ce tableau, nous avons feuilleté la véritable « bible » que Benedict Nicholson a consacré aux caravagesques [2] et nous avons noté certaines influences probables d’un Dirk Van Baburen (1595-1624) qui a plusieurs fois traité ce sujet - les turbans, notamment celui du vieillard à droite qu’on retrouve à l’identique, dans un Saint Sébastien soigné par Irène, dont l’invention est de Baburen [3] (ill. 2), les pages pliées du livre… - ou celles, moins prégnantes, d’un Mathias Stom (1600-1650), sans en atteindre la qualité ou la vigueur.
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- 2. Atelier de Dirk van Baburen (vers 1594-1624)
Huile sur toile
Saint Sébastien soigné par Irène
Localisation actuelle inconnue
Photo tirée du livre de Benedict Nicolson - Voir l´image dans sa page
En poursuivant nos tentatives d’identification, nous sommes arrivé à un tableau conservé à Colombus (Ohio) depuis 1961 (ill. 3) qui semble présenter quelques similitudes avec le tableau de Veules notamment dans le traitement de certains visages et des tissus. Benedict Nicolson et Luisa Vertova le donnent à un caravagesque nordique qu’ils ont appelé « Master F [4] », qui serait influencé par Abraham Janssens (1575-1632. Sur le site du musée, il est actuellement attribué à Gerrit Arents Van Deurs [5] (signalé en 1658, mort en 1702).
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- 3. Anonyme nordique, premier tiers du XVIIe siècle
Figures autour d’une table à la lueur des bougies
Huile sur toile - 132,7 x 188,6 cm
Colombus, Museum of Art
Photo : Colombus, Museum of Art - Voir l´image dans sa page
Mais cette attribution (qui ne fait pas l’unanimité [6]) pose elle-même quelques problèmes quand on le compare aux deux tableaux signés par cet artiste, une Allégorie de la Foi, de l’Espérance et de l’Amour (ill. 4) conservée à Oslo [7] et une scène de genre illustrant un proverbe (« Quand les vieux chantent, les jeunes jouent de la flûte ») conservée à Johannesburg [8], ce dernier étant stylistiquement encore plus éloigné du tableau américain ou du tableau normand. Nous en restons donc aux hypothèses, et le tableau de Veules-les-Roses, dont la très belle qualité a motivé cette publication, comme le tableau de Colombus, gardent une grande partie de leurs mystères.
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- 4. Gerrit Arents Van Deurs (?- ?)
Allégorie de la Foi, de l’Espérance et de l’Amour, 1664
Huile sur toile - 127,5 x 155 cm
Oslo, Nasjonalmuseet
Photo : Oslo, Nasjonalmuseet - Voir l´image dans sa page
Le donateur
En sortant de l’église, on parvient rapidement à la mairie qui est située avenue du Docteur Michel et des contacts avec les historiens locaux [9] permettent même de préciser que la grande maison, occupée aujourd’hui par la mairie, était la maison familiale de la famille Michel qui, à la génération précédente, possédait aussi le « Vieux château » de Veules. Au moment de sa mort en 1960, Louis Michel, qui fut un vétéran de la Guerre de 14-18 puis médecin sur une ligne transatlantique, vivait depuis sa retraite avec sa sœur, Mme Franger, chacun occupant un étage. Ils étaient restés sans enfants, d’où l’importance du legs à la commune (cette maison, son mobilier et divers autres biens, vite vendus). Pour lui rendre hommage, l’équipe municipale a donc donné son nom à la rue où est située la mairie et, plus récemment, elle a choisi de réconcilier leurs deux noms au fronton d’une salle polyvalente. Les documents (inventaires, catalogues ou correspondance) qui permettraient d’identifier leurs œuvres d’art manquent mais il semblerait que ce tableau ait d’abord appartenu à son père (mort en 1919) qui occupait le « Vieux château », car on sait qu’il était déjà accroché dans l’église avant la Seconde guerre mondiale.