Le décor d’Henri Lehmann à l’Institut National des Jeunes Aveugles

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Nous rappelons que la chapelle est ouverte le samedi 21 septembre 2024, de 10 h à 17 h, à l’occasion des Journées européennes du patrimoine.
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Paris regorge de merveilles artistiques méconnues. La chapelle de l’Institut National des Jeunes Aveugles, et son décor par Henri Lehmann, en fait partie.
Un mot de l’institution, tout d’abord, d’intérêt public et dont la mission, depuis sa création par Valentin Hauÿ, est « d’être, pour les jeunes déficients visuels, une porte d’entrée dans le monde des voyants. En facilitant l’accès au savoir, à la communication, à la relation, l’INJA a pour objectif le développement de l’autonomie et l’inclusion sociale ».


1. Jean-Baptiste Philippon (1784-1866)
Institut National des Jeunes Aveugles, 1838-1843
56, bd des Invalides 75007 Paris
Photo : Didier Rykner
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Si sa création date officiellement de 1791, quand l’Assemblée constituante la nationalise, son origine remonte à 1786 quand Valentin Haüy fonde à Paris l’institution des Enfants Aveugles qui bénéficiera rapidement d’un financement royal, devenant ainsi Institution Royale des Jeunes Aveugles, titre qu’il perdit à la Révolution et regagna pendant la Restauration. Après avoir été abrité dans divers bâtiments, la construction de l’Institut actuel, au 56 boulevard des Invalides dans le VIIe arrondissement, est menée à partir de 1838 et confiée à l’architecte Pierre Philippon. Celui-ci est classé monument historique [1] (ill. 1) depuis 1984.


2. Henri Lehmann (1814-1882)
Décor de la chapelle de l’Institut National des Jeunes Aveugles, 1843-1850
Photo : Didier Rykner
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L’édifice, avec son fronton sculpté par François Jouffroy, sculpteur lauréat du prix de Rome en 1832, est d’une grande élégance, mais le chef-d’œuvre est certainement le décor de la chapelle peint par Henri Lehmann entre 1843 et 1850. Celui-ci s’étend sur le cul-de-four de l’abside et les écoinçons de la coupole (ill. 2). Curieusement, si le critique du journal L’Assemblée nationale parle d’une « coupole qui n’a pas encore de peintures et qui, nous l’espérons, sera bientôt confiée au talent de M. Henri Lehmann [2] », celle-ci demeurera vierge de tout décor et restera blanche. Une autre particularité de cette chapelle est sa partition en deux, d’un côté un auditorium où sont donnés régulièrement des concerts (la musique étant un art évidemment essentiel pour beaucoup d’aveugles), de l’autre la partie église, les deux étant séparés par une cloison amovible qui peut les réunir pour des événements impliquant une forte audience.

Nous parlons souvent, sur La Tribune de l’Art, d’Henri Lehmann, qui est certainement, avec Théodore Chassériau, Hippolyte Flandrin et Amaury-Duval l’élève le plus doué d’Ingres, notamment pour rappeler, encore et encore, qu’il est incroyable que le Louvre ne puisse pas exposer une seule peinture de sa main. Néanmoins, heureusement, deux églises parisiennes peuvent s’enorgueillir d’œuvres de cet artiste : à l’église Saint-Merri, la chapelle Saint-Jean, dont le décor a besoin d’une restauration urgente, et à Saint-Louis-en-l’Île dont la chapelle de la Vierge conserve trois tableaux de sa main. Un décor pour le transept de l’église Sainte-Clotilde a été abandonné par Lehmann, tandis que ceux de l’Hôtel de Ville et du Palais de Justice ont disparu dans les incendies provoqués par la Commune. Enfin, les deux peintures murales des absides de la salle du Trône du Palais du Luxembourg, dont les maquettes sont conservées au Musée Carnavalet, peuvent encore être admirées lors des visites du Sénat.


3. Henri Lehmann (1814-1882)
Les Âmes portées aux pieds du Christ par des anges, 1843-1850
Paris, chapelle de l’Institut National des Jeunes Aveugles
Photo : Didier Rykner
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Si la chapelle des Jeunes Aveugles est peu accessible car il s’agit d’un établissement d’éducation dont l’entrée est contrôlée pour des raisons de sécurité, son administration est très accueillante et ne demande qu’à faire mieux connaître ce décor. Celui-ci sera d’ailleurs visible le samedi 21 septembre 2024 de 10 h à 17 h pour les Journées du Patrimoine.
Nous ne saurions trop vous conseiller de vous y précipiter car il s’agit certainement d’une des œuvres majeures de l’artiste.


4. Henri Lehmann (1814-1882)
Isaïe et la Sibylle de Cumes, 1843-1850
Paris, chapelle de l’Institut
National des Jeunes Aveugles
Photo : Didier Rykner
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5. Henri Lehmann (1814-1882)
Jérémie et Persica, 1843-1850
Paris, chapelle de l’Institut
National des Jeunes Aveugles
Photo : Didier Rykner
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Lé peinture du cul-de-four montre Les Âmes portées aux pieds du Christ par des anges (ill. 3). Au centre, le Christ en gloire dans un nimbe doré est entouré de jeunes enfants qui symbolisent les âmes innocentes et rappellent l’épisode de l’évangile (« Laissez venir les enfants à moi »). À sa droite, la Vierge les accueille sous son manteau protecteur, et à sa gauche, saint Jean-Baptiste assis le montre du doigt à un enfant debout. De part et d’autre, les apôtres sont debout tandis que les quatre évangélistes sont assis au premier plan. Les trois anges qui ont porté les âmes aux pieds du Christ sont visibles au centre, au bas de la composition.


6. Henri Lehmann (1814-1882)
Delphica et Élie, 1843-1850
Paris, chapelle de l’Institut
National des Jeunes Aveugles
Photo : Didier Rykner
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7. Henri Lehmann (1814-1882)
Lybica et Ézéchiel, 1843-1850
Paris, chapelle de l’Institut
National des Jeunes Aveugles
Photo : Didier Rykner
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Les quatre pendentifs (ill. 4 à 7), comme nous l’écrivons dans la brève que nous publions en même temps que cet article, sont chacun ornés d’un prophète et d’une sibylle. Cette association fait d’autant plus penser à l’iconographie de la chapelle Sixtine que les jeunes adolescents nus qui les accompagnent (ill. 8 et 9) sont proches des figures d’ignudi de cette dernière (ill. 10 et 11), même si Lehmann s’interdit toute copie servile. N’ayant pu concourir au prix de Rome car Allemand (il fut ensuite naturalisé Français), il s’était néanmoins rendu à Rome en 1839 pour rejoindre son maître Ingres. Il avait pu à cette occasion étudier les fresques du Vatican.


8. Henri Lehmann (1814-1882)
Jérémie et Persica, 1843-1850 (détail)
Paris, chapelle de l’Institut
National des Jeunes Aveugles
Photo : Didier Rykner
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9. Henri Lehmann (1814-1882)
Lybica et Ézéchiel, 1843-1850 (détail)
Paris, chapelle de l’Institut
National des Jeunes Aveugles
Photo : Didier Rykner
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De nombreuses études préparatoires pour ce décor existent. Outre le dessin acquis récemment par le Musée Bonnat, dont nous parlons dans la brève déjà citée, celui-ci conserve deux autres études pour la chapelle des Aveugles. D’autres feuilles sont conservées dans des collections particulières (Saint Matthieu et Saint Luc) et des musées, par exemple une étude pour Saint Marc à la Morgan Library.


10. Michelangelo Buonarroti (1475-1564)
Ignudo
Vatican, chapelle Sixtine
Photo : Wikimedia (domaine public)
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11. Michelangelo Buonarroti (1475-1564)
Ignudo
Vatican, chapelle Sixtine
Photo : Wikimedia (domaine public)
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S’il n’est pas en péril, ce décor mériterait néanmoins un nettoyage et une restauration. Les problèmes se voient notamment à la pose récente de papier japon, ce qui signifie qu’il est victime de pertes d’adhérence.


12. France, XIXe siècle
Ange agenouillé
Paris, chapelle de l’Institut
National des Jeunes Aveugles
Photo : Didier Rykner
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13. France, XIXe siècle
Ange agenouillé
Paris, chapelle de l’Institut
National des Jeunes Aveugles
Photo : Didier Rykner
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Signalons enfin que le maître-autel est orné de plusieurs sculptures, dont deux anges agenouillés (ill. 12 et 13). Nous n’avons pas pu identifier leur auteur : peut-être un lecteur pourra-t-il nous éclairer à ce sujet.

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