10/4/05 – Musées - Mondialisation - La prestigieuse revue anglaise The Burlington Magazine a pris, dans l’éditorial de son numéro d’avril, nettement position contre les essaimages du Musée du Louvre à Lens et Atlanta et du Musée National d’Art Moderne à Hong-Kong.
Après avoir rappelé la crise qui frappe le Guggenheim Museum (voir brève du 22/1/05) qui avait été le pionnier de ces pratiques, le Burlington rappelle que d’autres musées avaient suivi son exemple (l’Ermitage, le musée de Boston). Mais c’est aux projets du Louvre et de Beaubourg qu’il consacre la suite de cet éditorial. Il remarque que jusqu’à récemment, le Louvre était pourtant « resté admirablement à l’écart du cirque mondial » (« remained admirably aloof from the global circus ») et considère que l’opération d’Atlanta constitue un « précédent inquiétant » (« disturbing precedent »). Pour Beaubourg, il souligne que l’appel d’offre auquel ce musée va répondre sera, « inévitablement, en concurrence avec le Guggenheim ». Le Burlington explique que non seulement le gouvernement français soutient inconditionnellement ces projets, mais qu’il les encourage. Que l’Etat français soit le promoteur de cette mondialisation de ses collections et que cette décision provoque aussi peu de remous n’est pas sans étonner les éditorialistes.
La suite du texte est consacrée au « Louvre à Lens » et à l’antenne de Beaubourg à Metz. Considéré avec raison comme un avatar de la politique de décentralisation (dont le Burlington souligne qu’elle ne rencontre pas vraiment l’enthousiasme populaire), cette partie de l’éditorial mérite d’être traduite intégralement. « En particulier, le choix de Lens, une ancienne ville minière touchée par la crise économique, comme site du Louvre II est, sans complexe, idéologique. Que des nouveaux musées puissent agir comme un aiguillon pour le renouveau urbain a été largement démontré, des Halles à Paris, jusqu’au port de Bilbao, et des docks de Liverpool à la rive sud de la Tamise. Mais la régénération sociale et économique devrait toujours être un bénéfice induit par de tels projets, plutôt que leur justification première. Ce que ces bâtiments coûteux contiendront est, d’une manière inquiétante, très imprécis. » [1]
Après avoir rappelé que le Louvre et Beaubourg sont pourtant actuellement en « excellente santé » (« robust health ») et avoir listé les réussites récentes de ces deux institutions, l’éditorial se conclut ainsi : « Mais étant donné les contraintes administratives et de conservation que ces projets à long terme vont inévitablement entraîner, le danger est que, suivant l’exemple du Guggenheim, tant le Louvre que le Centre Pompidou aient de plus en plus de mal à maintenir leur prééminence actuelle. » [2]
Peu à peu, les opposants à cette politique font entendre leur voix. Que le Burlington Magazine s’exprime ainsi est important, car cet avis traduit l’opinion de la plupart des spécialistes sur ce sujet. On saluera également au passage la position courageuse de Laurent Salomé, conservateur en chef des musées de Rouen, qui, dans un interview paru dans le Journal des Arts du 25 mars dernier, ne cache pas, avec les précautions oratoires nécessaires pour éviter de froisser certaines susceptibilités, toutes les réserves que le projet de Lens lui inspire.