Le vandalisme prend parfois un tour inattendu, mélange d’ignorance des lois, d’indifférence pour un patrimoine pourtant digne d’intérêt et, parfois de recherche d’économies de bout de chandelle.
- 1. Confessionnal néo-gothique
Dinan, Basilique
Photo : Agorastore - Voir l´image dans sa page
- 2. Confessionnal néo-gothique
Dinan, Basilique
Photo : Agorastore - Voir l´image dans sa page
C’est ainsi que la mairie de Dinan, qui pourtant se montre plutôt attentive à l’important patrimoine que conserve la ville, souhaitait vendre aux enchères, sur le site « agorastore.fr » un mobilier d’église : trois confessionnaux et une tribune [1]. Les premiers se trouvent dans la basilique Saint-Sauveur, le dernier est actuellement conservé dans la chapelle Sainte-Catherine de l’ancien couvent des Dominicaines de Dinan. C’est l’évêque de Saint-Brieuc qui, mis au courant de cette vente, a demandé au maire de l’annuler – uniquement pour les confessionnaux - soulignant qu’il était illégal de vendre du mobilier affecté au culte, même non protégé monument historique, lorsqu’il n’y a pas eu de procédure de désaffectation.
- 3. Tribune
Dinan, ancien couvent des Dominicaines
Photo : Agorastore - Voir l´image dans sa page
Cette affaire en dit long sur les dangers que courent les mobiliers d’église. Car dans un communiqué publié depuis, la mairie explique que : « afin de valoriser les chapelles rayonnantes et les retables des 17ème et 18ème siècles de la basilique St Sauveur, il a été décidé d’enlever trois confessionnaux dont l’intérêt patrimonial est minime. Cette décision a été prise évidemment en plein accord oral avec le père Henri Cocheril, Curé de Dinan (réunion du 1er aout 2014). Le projet était que chaque église conserve son confessionnal principal toujours en usage. Les autres confessionnaux étant pour certains utilisés comme remises d’objets divers servant à l’entretien ménager voire agencés en placard. »
Cette justification est, à dire vrai, stupéfiante. Examinons chacun des arguments utilisés :
– « intérêt patrimonial minime » : les confessionnaux sont de style néo-gothique. Il suffit d’y jeter un œil pour constater que leur intérêt patrimonial est réel et que si on commence à se débarrasser de tout ce mobilier courant conservé dans nos églises, celles-ci deviendront bien vides (la leçon des destructions des années 1960-1970 suite au concile Vatican II n’a-t-elle pas été tirée ?).
– « plein accord avec le curé » : une nouvelle fois, cela prouve simplement qu’une partie du clergé (heureusement, ici, l’évêque a sauvé l’honneur de l’Église) se moque comme d’une guigne du mobilier des églises, davantage vu comme une gêne que comme un ornement.
– « projet que chaque église conserve son confessionnal principal », ce qui sous-entend donc qu’une église peut se contenter d’un seul confessionnal, tous les autres pouvant être soit vendus, soit enlevés. Les édifices religieux seraient non seulement privés d’un objet liturgique qui lui donne un sens, mais également, la plupart du temps, de meubles de très belle qualité. Comme on peut douter que le marché des confessionnaux soit très actif, beaucoup seraient sans doute détruits.
– « les autres confessionnaux étant pour certains utilisés comme remises d’objets divers servant à l’entretien ménager voire agencés en placard » ; nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes : et si le tabernacle était transformé en tirelire pour recueillir l’argent de la quête, ils s’en débarrasseraient aussi ?
Et pendant qu’on y est : les lutrins ne servent plus, les chaires ne servent plus, les bancs-d’œuvre ne servent plus, les anciens autels ne servent plus, débarrassons nous-en dès que l’on estime qu’ils n’ont qu’un « intérêt patrimonial minime ».
Quant à la tribune, sa vente est tout autant illégale mais pour une autre raison. Elle ne se trouve pas dans la chapelle Sainte-Catherine elle-même, comme on a pu le lire, mais dans un bâtiment attenant, l’ancien chœur des religieuses, le tout faisant partie du couvent des Dominicaines. Simon Guinebaud, directeur du patrimoine de la ville de Dinan, nous a dit que cette tribune du début du XXe siècle - une datation qui ne nous paraît pas évidente à première vue, elle pourrait être plus ancienne - n’avait aucune fonction à cet endroit (on ne peut pas y accéder). Il nous a également dit que cet édifice ne relevait pas de la loi de 1905 de séparation de l’Église et de l’État et que la tribune, contrairement aux confessionnaux, n’était pas attachée au culte. Sans doute, mais sa protection est encore plus importante : l’ensemble du bâtiment est classé, et la tribune - 7,60 m de large sur 3,50 de haut ! - est manifestement (ill. 3 et 4) fixée au sol. Il s’agit donc d’un immeuble par destination, inclus dans la protection et qui ne peut donc être enlevé ou cédé. Or la vente est toujours en cours sur le site agorastore de manière complètement illégale comme on peut le voir ici. Nous n’avons pas réussi à obtenir une réaction de la DRAC, mais nous comptons lui demander dès demain qu’elle mette fin à cette vacation illégale dont nous savons par ailleurs qu’elle n’avait même pas été informée.
- 5. Confessionnal néogothique de la basilique Saint-Sauveur
de Dinan, vendu (illégalement) aux enchères sur
Agorastore pour 199,65 €
Photo : Agorastore - Voir l´image dans sa page
Le pire peut-être dans cette histoire est donc la bonne conscience de la mairie qui, considérant qu’elle s’occupe de son patrimoine religieux [2], se croit autorisée à y faire ce qu’elle veut. Dans son communiqué, le maire de Dinan écrit que « dans un souci d’apaisement, nous avons décidé d’annuler cette vente [des confessionnaux] ». Ce souci d’apaisement est louable, mais qu’il soit ou non sincère, la vente devait être annulée, y compris celle du confessionnal ayant déjà trouvé acquéreur (ill. 5), et celle de la tribune qui, répétons-le, est un immeuble par destination dans un bâtiment classé, ce qui le protège de facto.
Simon Guinebaud nous a affirmé qu’il n’y avait pas de la part de la ville de dénigrement pour ce type de patrimoine des XIXe et XXe siècle mais que « la valorisation du patrimoine nécessite de faire des choix. Quand dans une petite chapelle vous avez un retable du XVIIe et à moins d’un mètre en face un confessionnal du XIXe, notre souhait est de valoriser le retable du XVIIe, c’est une approche objet par objet, en fonction du contexte ». Pour notre part, nous affirmons que non seulement cette approche, menée ainsi, est illégale (le directeur du patrimoine admet du bout des lèvres « des maladresses ») mais qu’elle n’est pas conforme à ce que devrait être l’entretien et la conservation du patrimoine.
Cette affaire montre une fois de plus la méconnaissance qu’ont les communes et le clergé des lois qui régissent le patrimoine des églises et des monuments protégés. Et si cette vente – comme en son temps celle de la cloche de l’église Saint-Jacques d’Abbeville – a pu être repérée et empêchée, on se demande avec inquiétude combien sont effectuées sans que personne ne s’en aperçoive et combien d’objets quittent ainsi le domaine public.