Nous écrivions lors d’un article récent, publié le 6 janvier (il y a une semaine !) que la prochaine étape serait la « végétalisation » de l’axe Madeleine-Assemblée Nationale. Il n’a pas fallu attendre longtemps, puisque Anne Hidalgo, candidate à sa succession à la Mairie de Paris, vient de proposer la piétonnisation et la « végétalisation » de la place de la Concorde.
- Jean-Charles Geslin (1814-1887)
La Place de la Concorde, vue de la terrasse du bord de l’eau, 1846
Huile sur toile - 159 x 250 cm
Paris, Musée Carnavalet
Photo : Paris Musées - CC0 - Voir l´image dans sa page
Nous avons alors tweeté sur cette déclaration, et un certain nombre d’aficionados de sa politique nous ont répondu. Ces réponses sont souvent d’une bêtise affligeante, mais il faut bien répliquer car laisser les arguments de la maire de Paris prospérer sans rien dire revient à lui laisser le champ libre. Et certains de ces « twittos », dont la plupart se cachent derrière un anonymat bien pratique pour dire tout et n’importe quoi, nous reprochent (mais il est vrai qu’ils ne savent lire que 280 caractères et ne connaissent manifestement pas nos articles) de ne rien proposer. Nous allons donc, comme nous le faisons souvent, proposer quelque chose pour la place de la Concorde, après avoir expliqué la tactique de la mairie pour détruire une des plus belles places de Paris.
Il faut, néanmoins, reprendre quelques-uns des « arguments » employés sur Twitter pour comprendre contre quoi nous luttons, qui peut sembler à première vue ahurissant. C’est ainsi que l’un de nos interlocuteurs a décrit la place de la Concorde :
« Il n’y a rien a part l’obélisque et les fontaines. Et l’obélisque si on chipote n’a même pas à être là mais au temple de Louxor… ».
Comme quelqu’un lui répond qu’elle est belle, la même personne (anonyme) répond : « elle est vide, énorme, interminable, sans aucun espace sympa pour s’assoir. Elle est juste un lieu de passage, visitée spécifiquement par les égyptologues et égyptophiles ». Il est vrai qu’à tant d’inculture et d’absence de goût, nous n’avons guère envie de répondre. À quoi cela servirait-il d’ailleurs ?
En revanche, certains sont plus argumentés : « Il faut tout de même admettre que cette place a besoin d’être réaménagée, ne serait-ce que pour la sécurité des piétons et vélos. Et elle a d’ailleurs aussi besoin d’être rénovée, comme les lampadaires l’attestent. » « La place est une mini autoroute urbaine, stressante et bruyante. »
Il nous faut donc d’abord différencier deux choses : la piétonnisation, et la « végétalisation ».
Une remarque tout de même : pas davantage l’auteur de ces lignes que les salariés de La Tribune de l’Art ne sont susceptibles d’être des défenseurs acharnés de la voiture : pas un seul de nous n’en possède une ! Diminuer la place de la voiture à Paris n’est pas une mauvaise idée, bien au contraire. Ce que nous contestons, c’est la manière de le faire, et ce souhait de plus en plus affirmé de supprimer toutes les voitures à Paris, comme s’il ne s’agissait pas d’une capitale économique qui a aussi besoin des voitures et comme s’il n’y avait pas des catégories de la population : les personnes âgées, les handicapés, ceux qui font des trajets Paris-Banlieue ou Banlieue-Paris sans transports en commun efficaces, les artisans ou les livreurs qui viennent travailler dans la capitale, etc. qui ont besoin d’une voiture et ne peuvent se contenter d’un vélo. Une politique de réduction de la voiture est possible, mais celle qui est menée, consistant à congestionner la ville sans développer parallèlement les transports en commun est mauvaise et augmente la pollution plutôt qu’elle ne la diminue. Mais tout cela sort du champ de La Tribune de l’Art.
Nous ne sommes donc pas opposés à la limitation des voitures, et certainement pas de la place de la Concorde qui est devenue, au fil des ans, et cela est vrai, une véritable autoroute urbaine (les restrictions de circulation entraînent d’ailleurs un report qui se fait sur les axes encore libres, dont la place de la Concorde). Qu’il faille aménager des circulations plus faciles pour les vélos et les piétons sur cette place est donc certain, et nous n’avons jamais prétendu le contraire.
Mais qui, depuis des années, a transformé cette place ainsi ? Qui a laissé le mobilier urbain et les sculptures se dégrader ? Qui a laissé la saleté s’y incruster comme elle s’est incrustée partout dans la ville ? Qui, même, a longtemps soutenu l’installation de la grande roue ? Qui laisse en place les baraquements de Marcel Campion ? Qui autorise l’occupation « temporaire » de cet espace par d’innombrables manifestations qui la dénaturent presque en permanence ? Qui, sinon la mairie de Paris ? Seules les publicités géantes, qui viennent encore davantage abîmer cet endroit, ne sont pas du ressort de la ville mais du ministère de la Culture. Un ministère de la Culture qui pourrait agir aussi sur les baraques de Marcel Campion mais qui préfère régulariser leur présence (voir cet article) !
Donc oui, cette place devrait être améliorée. Oui, il faudrait réduire la place de la voiture. Mais sûrement pas en la « végétalisant », comme si la diminution la circulation allait forcément de pair avec la plantation d’arbres ou la pose de pelouses. On est ici dans un processus qui se rapproche de celui qui a frappé la place de la République (voir les articles). Celle-ci, aménagée au XIXe siècle, après Haussmann, était riche d’un mobilier urbain de qualité, qui a progressivement été enlevé. Puis les deux jolis squares qui se trouvaient à l’est et à l’ouest, avec des pelouses, des fontaines et des arbres, ont été sciemment abandonnés, occupés par des squatteurs et des sans abris, rendant leur fréquentation impossible par les familles et les enfants à qui ils étaient d’abord destinés. Sales, dangereux, les fontaines privées d’eau, ces endroits étaient devenus des no man’s lands comme il en prospère désormais un peu partout dans Paris. Il était donc facile à la mairie, sous le regard indifférent de la DRAC Île-de-France qui a presque complètement abandonné la défense du patrimoine dans cette ville, de la casser entièrement, pour y installer à grand frais (et fort mal quand on constate les nombreuses malfaçons) une grande dalle minérale (l’inverse de la « végétalisation » : on a détruit des espaces verts) et un mobilier qui ferait honte à n’importe quelle grande capitale digne de ce nom.
Si la voiture n’a pas été complètement éliminée, on l’a rejetée en grande partie sur sa portion sud, mais sans totalement la supprimer de la voie nord où demeurent les bus. Ceci pouvait être très simplement mis en place en conservant la place d’origine, en fermant l’axe nord sud, et en limitant la circulation de la partie nord aux bus comme cela est aujourd’hui le cas. Il n’était nul besoin de dépenser 24 millions d’euros pour arriver à ce résultat, en détruisant la place.
Comme nous le disions, et comme on peut le voir dans les réactions de certains, la même tactique est à l’œuvre pour la place de la Concorde, ce qui est encore beaucoup plus grave car on est ici sur une des plus belles places de Paris, entièrement classée monument historique. On la laisse se dégrader, puis on annonce qu’on va la réaménager, et tous ceux qui ne regardent pas plus loin que le bout de leur nez applaudissent et nous interpellent : « Mais regardez, cette place est épouvantable, et vous défendez cette situation ? ». Rappelons que cela fait des années que nous dénonçons l’abandon de la Concorde et son profond état de dégradation (voir ces articles).
Certains osent même nous accuser de ne rien proposer. Et bien si, nous proposons quelque chose, et ce quelque chose n’est pas compliqué à mettre en œuvre, et guère coûteux. Nous le résumons ici :
– interdire toute publicité sur la place de la Concorde,
– restaurer les divers éléments de mobilier,
– restaurer les sculptures des villes,
– enlever tous les baraquements, et interdire les installations temporaires qui défigurent régulièrement la place,
– aménager de manière respectueuse du lieu des pistes cyclables,
– limiter la circulation automobile et rendre de l’espace aux piétons (ce qui suppose que les voitures puissent prendre d’autres itinéraires, à moins que l’on veuille, comme nous l’écrivions, éradiquer totalement l’automobile du cœur de Paris, ce qui nous semble une politique totalement folle, mais qui sort de notre champ).
Et surtout, surtout, ne pas « végétaliser » cette place qui est une création urbaine des XVIIIe et XIXe siècles, qui n’a jamais eu de plantes ni d’arbres, à la seule exception de ses fossés - que l’on voit en partie sur le tableau de Geslin (ill.), qui l’entouraient, et qui bien que conservés par Hittorf ont été comblés en 1854 pour les besoins de la circulation. Nous ne sommes d’ailleurs pas opposés (après étude, et si cela est faisable et justifié) à la restitution de ces fossés et de la balustrade qui les séparaient de la place. Rappelons que, de part et d’autre de la Concorde, on trouve le jardin des Tuileries, et le début des Champs-Élysées qui sont tous deux très largement plantés, dans des compositions urbanistiques réfléchies datant des XVIIe et XIXe siècles.
Il est vrai qu’un autre « twittos » nous a écrit, vengeur : « On pensera bien à vous remercier lors de la prochaine canicule amplifiée par la minéralité de la ville. » Cette opinion, largement répandue, que la végétalisation de la place de la Concorde (ou de toute autre place à Paris qui n’est pas plantée), freinera le réchauffement climatique (une réalité que nous ne contestons aucunement et qui est certainement un défi crucial) ou fera diminuer significativement la température des habitations, est tellement absurde que nous ne savons que dire.
Et pendant ce temps, les mêmes iront prendre en plein hiver un café sur une terrasse chauffée, et applaudiront une mairie qui est l’une des moins écologiques que l’on puisse imaginer, qui prévoit de développer le déploiement des publicités numériques (voir par exemple cet article), qui laisse les promoteurs couper des arbres partout dans Paris pour densifier la ville (voir par exemple cet article), qui vide les réservoirs de Grenelle qui constituaient un îlot de fraîcheur pendant les grosses chaleurs qui profitait notamment aux oiseaux (voir cet article) ou qui promeut la construction de tours (voir cette interview d’Yves Contassot)… Comme le dit Gaspard Proust dans une interview au Point le 17 novembre dernier : « Les écolos-urbains, c’est un oxymore. Ils ne comprennent rien à la nature. Ils pensent que faire de l’écologie, c’est arroser trois carottes qui poussent sous un arbre greffé sur un trottoir de la place Monge dans un atelier « écolo-participatif jardinatoire de vivre-ensemble urbain à composter ». Ils ne savent pas ce que c’est d’aller chercher du bois en forêt, de le couper, d’allumer un feu de cheminée. Ils vivent en apesanteur. »