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- 1. La colonnade de Perrault, bientôt une nouvelle entrée pour le Louvre ?
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Laurence des Cars, à l’intérieur du Louvre, ne parle qu’à ses proches collaborateurs. Nombreux sont ceux dans le musée qui se plaignent qu’elle ne dise bonjour à personne, gardant la tête obstinément fixée vers le sol lorsqu’elle les croise.
La présidente-directrice du Louvre a pourtant fait un effort récemment, organisant une réunion de présentation de son projet (voir cet article) dans chaque département du musée, un par un. Après un discours fleuve d’environ une heure et demi pour décrire à quel point celui-ci est nécessaire, elle donnait la parole pour une séance de question… auxquelles elle s’est empressée de ne pas répondre dès qu’elles étaient un peu délicates.
Beaucoup craignent son projet pour le Louvre, qui est aussi celui du président de la République. Et ils ont raison. Car il est en réalité, dans ce que nous connaissons de ses prémices, beaucoup plus inquiétant encore que ce que nous imaginions. Et il ne s’agit pas de rumeur ni de « on dit », mais bien de ce que l’on peut lire noir sur blanc dans un document de travail intitulé « "Louvre - Nouvelle Renaissance" Expression des besoins [1] ». Mais des besoins de qui ? Sûrement pas ceux du monument historique ni du musée, qui seront fortement malmenés - on peut même parler de vandalisme sur monument classé pour le premier - si par malheur cette folie coûteuse était mise en œuvre.
Nous ne reviendrons pas sur la partie restauration et remise aux normes de ce projet. Il semble bien que le bâtiment souffre d’un manque d’entretien ces dernières années (ce qui en dit long sur sa gestion, même s’il est faux de laisser entendre que rien n’aurait été fait) et qu’il faille mener de gros travaux pour le remettre à flot. Mais il n’y a nul besoin de communiquer ainsi autour de ces chantiers dont d’ailleurs le financement sur les ressources propres du musée (environ 400 millions mais rien n’est précis) ne devrait pas poser de problème s’ils sont étalés dans le temps grâce à un schéma directeur.
En revanche, tout ce qui relève du reste, à savoir surtout l’entrée du côté de la Colonnade (ill. 1), la création de nouvelles salles d’exposition et d’une salle spéciale pour la Joconde, va entrainer des conséquences terribles pour le Louvre, qui plus est pour un prix astronomique (en interne circule le chiffre de 500 millions, non financés pour l’instant). Les scandales à venir tels qu’on peut les lire dans ce document (et il y en aura sûrement bien d’autres quand celui-ci aura pu être développé) sont de deux ordres, nous allons les lister ici.
Le vandalisme patrimonial
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- 2. Les fossés de la Colonnade du Louvre bientôt recouvert d’une dalle de verre
pour créer la nouvelle entrée ?
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Le document l’envisage sérieusement, en tout cas il ne l’exclut pas, et il le tient même largement pour acquis : les fossés seront recouverts d’une dalle vitrée afin de récupérer pour le musée la surface qu’ils occupent (ill. 2). On va regretter les baraquements qui s’y trouvaient depuis des années et qui viennent juste d’être enlevés, qui au moins ne se voyaient pas dès qu’on prenait un peu de recul. Interrogé à ce sujet, le Louvre nous a répondu que « la couverture des fossés ne constituera pas une demande du programme », ce que contredit complètement la lecture de l’expression des besoins. Dès la page 2, la Colonnade de Perrault est qualifiée d’« espace impensé » (sic). Il faut donc que la présidence du Louvre pense pour elle. Pour « magnifier la Colonnade » (c’est écrit p. 5), et pour « le confort acoustique et thermique » du nouvel accès, il est possible que « les propositions architecturales aboutissent à couvrir (que ce soit en partie ou en totalité) les fossés d’une verrière » (p. 6). Et ceci est tellement évident pour eux que cette utilisation des fossés (et de l’esplanade) « constitue l’autre aspect le plus innovant du projet » ! Enfin, bien sûr, « un geste architectural audacieux » (sic) sera également demandé « pour mettre en valeur la Colonnade [2] ».
L’inclusion des fossés au parcours, et donc leur couverture, bien qu’elle soit qualifiée d’« hypothèse » va tellement de soi que le document inclut leur surface dans celles considérées comme disponibles. Surtout, on peut lire (p. 5) que : « l’esplanade et les fossés situés devant la Colonnade seront sollicités afin de relier de manière progressive le niveau de la voirie et celui des espaces créés sous la Cour Carrée en passant sous l’aile de la Colonnade » (p. 5). Comment passer sous l’aile de la Colonnade si ce n’est en occupant les fossés, d’autant qu’il est prévu de relier directement le Louvre en sous-sol à la station de métro Louvre-Rivoli (qui sera par la même occasion invitée à changer de nom) ?
Et encore mieux : on peut lire p. 15 une réflexion sur les niveaux des nouveaux aménagements en lien avec ceux existants déjà dans le Louvre médiéval : il n’y aurait en effet qu’un « écart de 50 cm avec le niveau des fossés. Cette faible différence facilitera les jonctions avec le musée, et particulièrement le Louvre médiéval ». « Il serait donc inutile de surcreuser les fossés actuels, évitant ainsi des reprises en sous-œuvre complexes est coûteuses pour passer sous la grande Colonnade ». CQFD : les fossés seront bien inclus dans la nouvelle entrée [3].
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- 3. Un des remparts médiévaux du Louvre qui sera percé pour permettre une circulation croisée
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Une autre atteinte au patrimoine concerne les murs d’autres fossés, ceux du Louvre médiéval. Pour créer une circulation croisée sous la Cour Carrée il faudra en effet y « créer deux percements supplémentaires » (p. 15). Certes, « l’enjeu patrimonial est sensible », mais « ces créations s’inscriraient dans la logique des réalisations déjà opérées au moment du Grand Louvre ».
C’est ne rien comprendre au Louvre que d’oser écrire cela. Le Grand Louvre a dégagé le palais médiéval qui était enfoui depuis des siècles. Pour permettre sa visite et son inclusion dans le parcours du musée, le percement de murs était inévitable. Percer à nouveau des vestiges médiévaux (ill. 3) pour un projet inutile et coûteux n’a aucun rapport avec le chantier des années 1980. Il s’agit de vandalisme pur et simple [4].
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- 4. Escalier nord de la Colonnade
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- 5. Escalier sud de la Colonnade
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Un vandalisme encore plus scandaleux se prépare également dans le Louvre de Napoléon. En effet : « il faudra s’interroger sur les possibilités de prolonger les escaliers monumentaux des pavillons des Assyriens et des Égyptiens situés de part et d’autre de la Colonnade jusqu’au nouveau niveau de référence en sous-sol pour faciliter la circulation verticale du public » (p. 15).
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- 6. Pavement au pied de l’escalier nord de la Colonnade qui devra être percé pour continuer l’escalier au sous-sol
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- 7. Pavement au pied de l’escalier sud de la Colonnade qui devra être percé pour continuer l’escalier au sous-sol
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- 8. Escalier sud de la Colonnade, vue d’en haut, avec le sol qui devra être percé
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Ce qui n’est présenté ici que comme une hypothèse de travail est en réalité inscrit dans ce projet car il semble qu’il n’y ait aucune autre solution que de toucher à ces escaliers (ill. 4 et 5). Or ceux-ci sont des monuments historiques en eux-mêmes, dus à l’architecte Fontaine, dont l’aspect serait profondément altéré par leur prolongation en sous-sol. De plus, le sol en marbre qui devrait ainsi être percé date de Louis-Philippe (ill. 6 à 8). Un nouveau vandalisme donc [5].
Enfin - mais nul doute qu’au fur et à mesure d’autres travaux destructeurs seront révélés - le document s’interroge sur « l’état préoccupant des ouvrages de clos et de couvert ». On pourrait se dire que cela suppose simplement de les restaurer. Mais c’est sans compter avec le changement climatique que l’on met désormais à toutes les sauces [6]. II faudrait donc « clairement poser la question de la conciliation des impératifs climatiques avec la conservation du patrimoine architectural et celle des collections conservées en salle » (p. 17). Ils envisagent donc, car « le Louvre doit être prêt à formuler des propositions audacieuses [...] la suppression partielle ou complète de certaines verrières ». Donc de revenir sur certains aménagements muséographiques du XIXe siècle, eux aussi classés monuments historiques, qui ont fait leur preuve en permettant un éclairage zénithal dont chacun s’accorde à considérer qu’il est le meilleur pour la présentation des peintures.
Comme si le changement climatique imposait la fin des verrières ! Ce qui est d’autant plus absurde - mais ils ne sont pas à cette contradiction près - qu’ils prévoient sérieusement de couvrir les fossés du Louvre de verrières, et que dans de nombreux musées (dont le Louvre à l’époque du Grand Louvre, dans les cours Puget et Marly, ou plus récemment pour le département des arts de l’Islam) on couvre des cours naguère ouvertes de verrières pour créer de nouvelles salles d’exposition. Une mode qui va parfois d’ailleurs beaucoup trop loin, mais c’est un autre sujet.
Le musée amputé et dénaturé
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- 9. Le Sphinx de Tanis dans la crypte du Sphinx qui devra déménager
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- 10. Entrée de la crypte d’Osiris qui n’accueillera plus d’œuvres
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- 11. Sarcophage de Ramsès III dans
la crypte d’Osiris qui devra libérer les
lieux avec toutes les autres œuvres
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Ce dernier point touche autant au patrimoine (les couvertures du palais) qu’au musée (l’éclairage des œuvres). Mais ce dernier sera en réalité beaucoup plus affecté par ce projet, à commencer par le département des Antiquités Égyptiennes qui va en payer le prix fort, mais aussi un peu celui des Antiquités Orientales.
Car il n’est pas uniquement question de creuser sous la Cour Carrée, mais aussi de récupérer directement sur le musée des espaces à utiliser pour l’accueil et la circulation des visiteurs. C’est ainsi que les trois cryptes - la crypte du Sphinx (ill. 9) et la crypte Osiris (ill. 10 et 11) occupées par l’Égypte, et la crypte du Levant (ill. 12 et 13) affectée aux Antiquités Orientales - seront purement et simplement vidées de leurs œuvres sans que celles-ci, souvent monumentales, puissent être présentées ailleurs.
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- 12. Crypte du Levant, qui sera
entièrement vidée pour laisser
place à la circulation des visiteurs
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- 13. Crypte du Levant, qui sera
entièrement vidée pour laisser
place à la circulation des visiteurs
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- 14. L’Égypte augmentée, en
attendant l’Égypte diminuée
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Si certaines pièces majeures comme le sarcophage de Ramsès III (qui pèse 10 tonnes environ), le sarcophage de Djedhor (4,5 tonnes), ou le Sphinx de Tanis (12 tonnes) seront probablement exposés ailleurs (mais où, avec une surface qui va se réduire ?) il est évident que tout cela aura pour résultat l’envoi en réserves à Liévin de beaucoup d’œuvres. C’est ainsi une grande partie du département des Antiquités Égyptiennes, qui fait la gloire du Louvre et qui est l’une des sections préférées des visiteurs, qui sera sacrifiée à ce projet mégalomaniaque. On peut voir actuellement, dans le département, une affiche promettant une Égypte augmentée au Musée du Louvre (ill 14). En attendant une Égypte diminuée [7].
Car les œuvres, et cela se voit de plus en plus souvent, semblent poser un problème à certains conservateurs qui considèrent qu’il y en a trop. C’est manifestement le cas de Laurence des Cars puisqu’elle prévoit parallèlement de « lancer une réflexion sur la refonte approfondie de la présentation de ses collections ». D’autres sources que ce document nous confirment qu’elle veut, en effet, s’attaquer à l’ensemble du Louvre et de sa muséographie. Il s’agit notamment « d’introduire des récits clairs sur les collections » et de « s’interroger sur le volume des œuvres présentées ». Cette dernière phrase ambiguë, la présidente du Louvre l’explique oralement en interne : il faut « la qualité plus que la quantité ». Ce credo ne figure pas tel quel dans le document, mais il peut se déduire de cette phrase (p. 16) : cela « implique nécessairement de s’interroger sur le volume des œuvres présentées, la densité et le rythme des accrochages ainsi que l’insertion des éléments de médiation ». Tout cela signifie évidemment : moins d’œuvres, surtout moins d’œuvres [8]. !
Le document envisage également (p. 11) la « création d’un espace dédié et hors circulation » pour « la restauration des grands formats de peinture ». Nous dénonçons suffisamment souvent l’utilisation de salles qu’on ferme pour ces restaurations pour ne pas nous réjouir de cette idée. Oui, mais il n’est pas question ici d’utiliser les espaces qui seraient créés par le projet car « l’implantation sous la Cour Carrée pourrait être complexe » en raison du « manque de lumière naturelle ». L’hypothèse d’une localisation au sein du quadrilatère Sully [9] est donc suggérée « dans le cadre des opérations indispensables de réaménagement des collections et d’utilisation des salles ». C’est donc bien une pérennisation de l’occupation des salles d’expositions permanentes par des grands formats en cours de restauration qui est proposée ici.
En réalité, il faut acter que le Louvre ne dispose pas des salles nécessaires pour la restauration des œuvres de grande taille. Plutôt que de faire ces travaux sur place, il faut tout simplement les envoyer là où cela est possible, au C2RMF à Versailles notamment. À ce propos, le Louvre devrait plutôt, justement, récupérer les anciennes salles du pavillon de Flore aujourd’hui occupées par le C2RMF et qui étaient pourtant parmi les plus beaux espaces d’exposition permanentes du musée avec leur vue sur la Seine et vers le Musée d’Orsay…
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- 15. Ce n’est pas une rue de Paris
avec des travaux non terminés,
c’est la Cour Carrée du Louvre
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Nous pourrions ajouter d’autres incongruités dans ce document de travail. Ainsi, le sol de la Cour « devra être remis en état sur la base du projet architectural retenu » (p. 15). S’il est exact que l’utilisation intensive de cet espace pour l’installation de structures permettant sa privatisation l’abîme (on pourrait se croire dans une rue de Paris, il y a même une fontaine qui ne fonctionne pas - ill. 15 et 16), on ne voit pas ce qui empêche de l’entretenir. Quant à son sol, il n’a rien de déshonorant, une grande partie étant pavée (ill ; 17). Le document promet également « un wifi de qualité et gratuit ». Il faut savoir qu’il existe actuellement un wifi gratuit qui ne fonctionne pratiquement jamais. Demain, c’est promis, ça marchera. Mais pourquoi pas aujourd’hui ?
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- 16. Ce n’est pas une rue de Paris
avec une fontaine hors d’eau,
c’est la Cour Carrée du Louvre
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- 17. Le sol de la Cour Carrée qu’il faut paraît-il entièrement refaire
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Le planning du projet, qui vient déjà de connaître quatre mois de décalage, a été précisé cette semaine (ce n’est pas dans le document) :
– mars-juin 2025 : établissement du programme du concours,
– juin 2025 : publication du concours avec un cahier des charges,
– octobre 2025 : sélection de cinq candidats,
– mars 2026 : remise des copies par les candidats,
– fin avril 2026 : désignation du lauréat,
– automne 2026 : début des travaux.
En moins de quatre mois donc, d’ici fin juin, le Louvre doit avoir conçu un programme concernant l’intégralité de son fonctionnement avec pas moins de neuf groupes de travail auxquels participent les treize directions du Louvre. L’auteur de ces lignes, ayant été dans une vie antérieure consultant en organisation, peut témoigner que cela est tout simplement irréaliste, d’autant que ce projet coûteux et néfaste pour le Louvre n’est absolument pas financé. Ajoutons qu’à aucun moment les délais nécessaires pour obtenir les autorisations de travaux sur un tel édifice, dont la consultation de la Commission nationale des monuments historiques, ne sont pris en compte - ils comptent bien, comme pour les vitraux de Notre-Dame, s’assoir dessus -, pas davantage que les plus que probables recours qui seront portés par les associations de protection du patrimoine.
Il faut aller vite car il s’agit d’une affaire avant tout politique qui fait se rejoindre l’hubris de la présidente du Louvre et celle du président de la République. La fin du mandat d’Emmanuel Macron - et avec elle la possible remise en cause du projet - étant prévue en 2027. Il n’y a donc pas de temps à perdre !
Un conservateur du Louvre nous a fait la confidence suivante quand nous lui avons demandé s’il regrettait finalement Jean-Luc Martinez : « À côté de Laurence des Cars, Jean-Luc Martinez est un petit joueur ». Un responsable du musée, qui n’avait pas de mots assez durs pour l’ancien président-directeur, dit que maintenant il le regrette !
Nous pourrions en effet ajouter de nombreux sujets. Nous le ferons dans d’autres articles à venir, car depuis que nous avons commencé à nous pencher un peu plus sur la gestion du Louvre, le dossier a grossi. Cela donne la mesure du problème auquel est à nouveau confronté un musée dont on se demande quand il aura enfin le président-directeur du niveau qu’il mérite.