La peinture française du XVIIe siècle maltraitée par le Louvre

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Le Louvre, parmi ses missions, en a une indispensable, non seulement parce qu’il est le plus grand musée français, mais aussi parce qu’il est le seul au monde à en avoir les moyens (collections, espaces d’expositions, budgets d’acquisition…) : présenter au mieux l’histoire de l’art français. Nous commencerons, à la fois par goût et parce que les œuvres de qualité disponibles sur le marché sont nombreuses, à nous intéresser à la peinture française du XVIIe siècle.
Pour rester le plus objectif possible, ce constat se base sur un décompte précis des œuvres : celles qui y sont conservées et celles présentées au public.

Nous nous attendions à un constat désolant, mais nous avons été tout de même surpris du résultat, bien pire encore, qui va au-delà d’une simple impression. Non seulement le Louvre ne montre pas, et de loin, la peinture française du XVIIe siècle dans toute sa diversité, mais il semble avoir presque abandonné cette partie de la collection. Pas uniquement en terme d’acquisitions, comme nous l’avons montré dans le précédent article, mais aussi dans la présentation. Bien sûr, Laurence des Cars n’est pas la seule responsable de cette situation dont elle a largement hérité. Ses prédécesseurs, Jean-Luc Martinez et sans doute Henri Loyrette, ne peuvent être exonérés. Mais qu’a-t-elle fait depuis son arrivée ? Rien bien sûr, sinon vouloir encore réduire le nombre d’œuvres présentées. Quant aux responsables du département pendant ces vingt dernières années, ils ont pour nom Vincent Pomarède puis Sébastien Allard.

Nous avons donc, à partir de la base de données des collections, regardé quels sont les artistes conservés et présentés au Louvre et combien d’œuvres sont déposées dans d’autres musées. Nous avons vérifié dans les salles si la base de données est à jour et si les œuvres répertoriées comme accrochées le sont vraiment. Celle-ci s’est avérée exacte pour l’essentiel. Deux tableaux (un Le Brun et un La Hyre, dits « non exposés »), le sont en réalité. Ce sont à peu près les deux seules erreurs que vous avons pu y déceler.
Nous n’avons pas pu vérifier si les tableaux déposés ailleurs sont exposés ou non. Certains sont indiqués comme ne l’étant pas. Nous les avons comptés ainsi. Nous avons compté comme « exposés », tous les autres, à l’exception de ceux des musées fermés dont on ne sait quand ils rouvriront (par exemple le Musée du Berry) ou des tableaux de l’École nationale supérieure des beaux-Arts ou encore déposés dans des administrations ou à l’Élysée. Ceux des musées devant bientôt rouvrir (le Musée Bonnat par exemple, à la fin de l’année) sont comptés comme « exposés », ce qui est optimiste. La colonne « œuvres en dépôt exposées » est donc certainement surévaluée, comme le pourcentage d’œuvres du Louvre exposées, que ce soit à Paris ou en province. Nous mettons à la disposition de nos lecteurs ce fichier Excel ici.


1. Claude Vignon (1593-1670)
Le Jeune chanteur, 1622-1623
Huile sur toile - 95 x 90 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/A. Didierjean
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2. Claude Vignon (1593-1670)
La Mort de saint Antoine, 1618-1620
Huile sur toile - 165 x 131 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/M. Urtado
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L’abondance de chefs-d’œuvre visibles dans les salles empêche probablement de s’apercevoir à quel point la peinture du XVIIe siècle est présentée de façon partielle. Trente-six Poussin, quatorze Claude Lorrain, six Georges de La Tour, seize Philippe de Champaigne, vingt-six tableaux d’Eustache Le Sueur, sept Laurent de La Hyre, sept Sébastien Bourdon, dix-neuf Le Nain, cinq Valentin de Boullogne, onze Simon Vouet… Ces chiffres donnent le tournis mais cachent une réalité bien moins brillante.


3. Claude Vignon (1593-1670)
Sainte Catherine refusant de sacrifier aux idoles, 1623-1625
Huile sur toile - 145 x 210 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/J.-G. Berizzi
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4. Charles Poerson (1609-1667)
Nativité, vers 1655
Huile sur toile - 53 x 37 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/M. Urtado
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Regardons d’abord les noms importants de la peinture française du XVIIe siècle absents des cimaises du musée qui pourraient pourtant en présenter, mais préfère les conserver en réserves.
Comment le Louvre peut-il justifier de n’exposer aucune peinture de Claude Vignon dont il conserve cinq tableaux en réserves ? Si cet artiste a trop produit, il est aussi l’auteur de tableaux remarquables dont certains sont au Louvre (ill. 1 et 2), parmi lesquels une acquisition récente (ill. 3 ; voir la brève du 24/1/08). Charles Poerson est un des meilleurs élèves de Vouet. Le Louvre pourrait en montrer un (ill. 4), ce qui serait déjà fort peu. Il n’en expose aucun.
Comment expliquer que Gaspard Dughet, le beau-frère de Nicolas Poussin, soit invisible, alors que quatre tableaux de sa main sont conservés en réserves (ill. 5 et 6) ?


5. Gaspard Dughet (1615-1675)
Paysage au lac, vers 1670
Huile sur toile - 135 x 183 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/A. Didierjean
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6. Gaspard Dughet (1615-1675)
Paysage avec trois bergers et trois chiens, vers 1670
Huile sur toile - 72 x 96 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/G. Blot
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Nous ne parlons ici que des artistes dont des œuvres sont conservées au Louvre. Certains autres ne le sont plus, tous les tableaux étant en dépôt dans d’autres musées. Il n’est évidemment pas question de priver ceux-ci, par exemple Rennes ou Grenoble, quand ils les offrent à la vue du public, des tableaux déposés par le Louvre. Mais ce n’est pas toujours le cas, et certains ne sont pas présentés par les musées dépositaires. Et même lorsqu’ils le sont, il serait possible dans quelques cas, via des échanges de dépôt, de pouvoir montre au Louvre des artistes qui lui manquent.


7. Henri Mauperché (1602-1686)
Paysage avec le repos pendant
la fuite en Égypte
, 1671
Huile sur toile - 114 x 147 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/M. Urtado
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8. Pierre-Antoine Patel (1646-1707)
Le mois de septembre. Voyageurs
attaqués par des brigands
, 1699
Huile sur toile - 45 x 65 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/S. Maréchalle
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9. Pierre Patel (1605-1676)
Paysage avec ruines et pasteurs, vers 1652
Huile sur toile - 53 x 83 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/J.-G. Berizzi
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Mais évidemment, ce n’est pas du tout la politique du musée. Car certains courants de la peinture sont - volontairement ? - sacrifiés. Ainsi, le paysage français classique est à peu près invisible au Louvre hors Claude Lorrain et Nicolas Poussin. Aucun Gaspard Dughet exposé, nous l’avons vu. Mais également aucun Jean Lemaire-Poussin dont il conserve pourtant en réserves un tableau, aucun Henri Mauperché (un beau est en réserves - ill. 7), aucun Francisque Millet (deux sont en réserves), aucun Pierre-Antoine Patel (dont il garde en réserves pas moins de six tableaux - ill. 8). Pierre Patel n’est montré que par les deux petits paysages provenant de l’hôtel Lambert, mais aucune de ses cinq autres toiles n’est présentée dans les salles (ill. 9). Quand on constate que sur les deux paysages de La Hyre, celui qui relève le plus directement de ce genre (Paysage aux baigneuses - ill. 10) est en réserves, on se dit que ce n’est plus une coïncidence. Philippe de Champaigne, artiste majeur pourtant très visible dans ses salles, a un de ses deux paysages en réserves (ill. 11). On peine à croire qu’il n’y a pas là un choix (incompréhensible) de ne pas montrer le paysage français du XVIIe siècle.


10. Laurent de La Hyre (1606-1656)
Paysage aux baigneuses, 1653
Huile sur toile - 66 x 87 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/S. Maréchalle
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11. Philippe de Champaigne (1602-1674)
Paphnuce libérant Thaïs, 1656-1657
Huile sur toile - 220 x 335 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/R.-G. Ojéda
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12. Thomas Blanchet (1614-1689)
Moïse sauvé des eaux, 1655-1656
Huile sur toile - 96,5 x 133 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/T. Querrec
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Quant à Thomas Blanchet - le Louvre conserve deux tableaux, dont un n’est pas montré (ill. 12) - il cumule à la fois l’inconvénient manifeste d’être à la fois souvent paysagiste, et un peintre provincial. Car la Province est également fort mal représentée au Louvre.
Louis Cretey, un autre peintre lyonnais et un artiste majeur, parfois aussi paysagiste, n’est pas du tout présent alors que l’on trouve régulièrement des œuvres de lui sur le marché de l’art, ce dont le Louvre semble se moquer [1]. Michel Descours en propose régulièrement, et un très beau tableau de sa main est actuellement en vente chez Éric Coatalem (ill. 13).


13. Louis Cretey
(1630/1635 ou 1637-après 1702)
Le Christ emmené par les soldats
Huile sur toile - 88 x 73 cm
Galerie Éric Coatalem
Photo : Galerie Éric Coatalem
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14. Pierre II Mignard (1640-1725),
identifié faussement comme
de Nicolas Mignard (1606-1668)
sur la base du Louvre (voir cet article)
Apollon et Daphné
Huile sur toile - 165 x 121 cm
Paris, Musée du Louvre
(déposé irrégulièrement
à la Préfecture du Vaucluse)
Photo : Musée du Louvre
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Aucun des Nicolas Mignard présents sur l’inventaire du Louvre n’y est conservé, six sont déposés. L’un (une attribution probable) est en réserves à Lyon et, surtout, un autre est déposé [2]… à la préfecture du Vaucluse (ill. 14), donc totalement illégalement comme nous avons déjà eu l’occasion de le démontrer (voir l’article). Le Louvre pourrait fort bien le récupérer, mais il l’enverrait sans doute en réserves.


15. Jean Tassel (1608-1667)
L’Enlèvement d’Hélène, vers 1660
Huile sur toile - 127 x 93 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/M. Urtado
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16. Charles Mellin (1598/99-1649)
La Charité romaine, 1628-1630
Huile sur toile - 96 x 73 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/M. Rabeau
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17. Claude Deruet (1588-1660)
La Bataille entre les
Amazones et les Grecs
, 1630
Huile sur toile - 89 x 115 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/R.-G. Ojéda
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Car si l’on met à part les peintres phares d’origine provinciale (Georges de La Tour, Claude Lorrain, les Le Nain…), les autres artistes provinciaux sont soit absents des collections du Louvre, sans que celui-ci cherche jamais à combler ces lacunes, soit en réserves. Jean Tassel ? En réserves (ill. 15). Charles Mellin ? En réserves (ill. 16). Claude Deruet ? En réserves (ill. 17). Jean Chalette ? Deux tableaux en dépôt. Jérémie Le Pilleur ? En réserves. François Puget ? En réserves (ill. 18). Arnould de Vuez ? En réserves.
Seuls Guy François et Jean Le Clerc (avec chacun un tableau proche de Carlo Saraceni), Isaac Moillon, Georges Lallemant (avec un tableau à l’attribution discutée) et Quentin Varin (exposé avec le XVIe siècle) ont la chance d’avoir un tableau exposé.


18. François Puget (1651-1707)
Réunion de musiciens, 1688
Huile sur toile - 147 x 212 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/T. Ollivier
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Quant aux Provinciaux absents des collections, ils sont innombrables. Certes, il est rare que des œuvres indiscutables de leur main passent en vente, mais cela arrive, et le Louvre s’en désintéresse à chaque fois, alors que les prix sont souvent très bas. Un tableau de Jean Daret a été offert sous réserve d’usufruit comme nous l’avions vu dans un article précédent, ainsi qu’un Nicolas de Bar (originaire de Bar-le-Duc). Mais Jacques Bellange (il est vrai presque introuvable), Trophime Bigot, Jean Boucher, Charles Dauphin, René Dudot, Louis Finson, Horace Le Blanc (presque introuvable également), Pierre Le Tellier, Jacques de Létin, Reynaud Levieux, Jean Mosnier, Adrien Sacquespée, Jean de Saint-Igny, Daniel Sarrabat, Jean Senelle, Michel Serre… - nous en oublions beaucoup -, sont tous des peintres absents du Louvre alors qu’il est, ou était possible d’acquérir pour certains des tableaux de leur main.


19. Reynaud Levieux (1613-1699)
David et ses femmes
Huile sur toile - 108 x 129 cm
Vendu par la galerie Éric Coatalem
Photo : Galerie Éric Coatalem
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Prenons quelques exemples. Plusieurs œuvres de Reynaud Levieux sont passées sur le marché de l’art ces dernières années. Des musées français se sont même enrichis ainsi (Strasbourg et le Musée du Grand Siècle). Un chef-d’œuvre était proposé par Éric Coatalem il y a quelques années (ill. 19) tandis qu’une Vierge à l’enfant était vendue chez Christie’s à Paris en 2020.
Louis Finson est un peintre très important, pas seulement pour ses liens avec le Caravage mais aussi par la qualité de certaines de ses tableaux. Ceux-ci passent parfois en vente comme un tableau fascinant présenté à la Tefaf par la galerie Rob Smeets qui y est resté longtemps disponible (ill. 20).


20. Louis Finson (1670/78 ?-1617)
Les Quatre Eléments
Huile sur toile - 179 x 169,2 cm
Vendu par la galerie Rob Smeets
Photo : Galerie Rob Smeets
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21. Jean Tassel (1608-1667)
Bacchus et Ariane
Huile sur toile - 121 x 111 cm
Galerie Éric Coatalem
Photo : Galerie Éric Coatalem
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De Jean Tassel, le Louvre a en réserves une œuvre de son atelier, et nous l’avons dit un tableau religieux de sa main, qui pourrait fort bien être exposé (ill. 15). Et pour compléter sa représentation au Louvre, ce musée pourrait acheter, toujours chez Éric Coatalem, un Bacchus et Ariane de grande qualité (ill. 21). Mais à quoi bon, si c’est pour ne pas l’exposer ?
Trophime Bigot est un artiste difficile à appréhender. Mais ces dernières années, au moins deux beaux tableaux ont été vendus sous son nom et relèvent au moins de l’art générique du Maître à la Chandelle, tous les deux chez Christie’s. L’un d’eux était vendu par la galerie Wildenstein au profit de la restauration de Notre-Dame à New York (ill. 22). Son achat par le Louvre aurait en plus été une bonne action pour le patrimoine français. Mais le musée n’a pas bougé.


22. Trophime Bigot (vers 1579-1650)
La Dérision du Christ
Huile sur toile - 74 x 99,1 cm
Vendu chez Christie’s New York en 2019 au profit de Notre-Dame
Photo : Christie’s
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23. René Dudot (connu de 1640 à 1659)
La Vierge à l’enfant avec
le petit saint Jean-Baptiste

Huile sur toile - 73 x 57,5 cm
Galerie Le Serbon
Photo : Galerie Le Serbon
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On parle souvent de la « qualité Louvre » pour rejeter avec dédain des œuvres de « petits maîtres » qui n’auraient pas leur place sur ses cimaises. Mais Jean Michelin, le Maître aux Cortèges ou Isaac Moillon sont indiscutablement des « petits maîtres », pourtant heureusement présentés, et qui permettent de mieux comprendre la peinture française de l’époque. Des artistes comme René Dudot, un peintre rouennais, sont certes modestes, mais pas du tout indignes des cimaises de ce musée. De celui-ci sont passés depuis vingt ans quelques tableaux en vente publiques et un autre est toujours en vente aujourd’hui, galerie Le Serbon (ill. 23). Une œuvre savoureuse (et pour une toute petite fraction du prix d’un Chardin) qui ne déparerait pas une salle consacrée à la peinture provinciale.
Adrien Sacquespée, un autre peintre rouennais, est presque introuvable hors les églises de la région, et son musée. Il faut d’ailleurs féliciter celui-ci pour l’achat de la seule peinture passée récemment en vente, en 2014, chez Christie’s, un très beau Christ en croix (voir la brève du 1/4/14) qui aurait très bien pu être acquis par le Louvre… Du Lorrain Charles Dauphin, nous signalerons une Fuite en Égypte chez Sotheby’s en 2008.
Certes, Jean Boucher, Jean et Pierre Mosnier, Jean de Saint-Igny, Pierre Le Tellier, Daniel Sarrabat et d’autres encore sont presque impossible à trouver. Mais qui peut penser, au vu du constat que nous faisons ici, que le jour où une œuvre importante de leur main passera en vente le Louvre pourrait être intéressé ?


24. Paul Liégeois (dates inconnues)
Pêches, prunes et raisins, vers 1645
Huile sur toile collée sur carton - 25 x 37 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/M. Urtado
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Nous pourrions ajouter à cette liste Meiffren Conte dont un seul tableau est sur les inventaires du Louvre, mais envoyé tout de suit après son achat en 1952 au Musée des Beaux-Arts de Marseille. Cet artiste pourtant important présente sans doute un double handicap pour le Louvre : il est provincial, et il peint des natures mortes dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Car si ce genre - hors l’absence incompréhensible d’un Paul Liégeois qui reste en réserves (ill. 24) - est plutôt bien représenté dans les salles du musée pour la première moitié du siècle [3] avec Louise Moillon, François Garnier, Pierre Dupuis, Lubin Baugin ou même, par exception, le strasbourgeois Sébastien Stoskopff, ce genre est totalement sacrifié pour la seconde moitié du siècle.


25. Jacques Hupin (dates inconnues)
Nature morte au tapis, vers 1650
Huile sur toile - 122 x 150,1 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/J.-G. Berizzi
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26. Jean-Baptiste Monnoyer (1636-1699)
Vase d’argent aux armes de
France orné de fleurs

Huile sur toile - 127 x 110 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/F. Raux
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Qu’on en juge : le département des peintures du Louvre, qui conserve pourtant des tableaux de ces artistes, ne montre aucune œuvre de Jean-Baptiste Blin de Fontenay, de Jacques Hupin (ill. 25), de Jean-Baptiste Monnoyer (ill. 26) ou d’Antoine Monnoyer… Pour ne pas parler des plus méconnus Joseph Yvart ou Nicolas Baudesson [4]. Qu’on puisse voir un Blin de Fontenay et un Antoine Monnoyer dans les salles du département des Objets d’Art n’excuse pas leur absence des salles de peintures : ils ne sont pas que des illustrateurs, ils sont aussi de dignes représentants du genre de la nature morte.


27. François Verdier (1651-1730)
Le Triomphe de la Religion, 1686
Huile sur toile - 53 x 43 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/R.-G. Ojéda
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28. René-Antoine Houasse (vers 1645-1710)
Apollon et Daphné, 1686
Huile sur toile - 158 x 120 cm
Paris, Musée du Louvre [Addendum 24/4/25 : il est indiqué dans la base des collections du Louvre comme non exposé, mais en réalité il l’est :
voir cet article.]
Photo : RMN-GP/G. Blot
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Les paysages, les natures mortes de la seconde moitié du siècle, les peintres provinciaux… Les oubliés du Louvre sont innombrables. Les peintres d’histoire de la seconde moitié du XVIIe siècle ne sont pas beaucoup mieux traités. Les élèves de Charles Le Brun notamment. Si la plupart sont déposés, il reste au Louvre deux tableaux de François Verdier qui est un meilleur peintre qu’on ne le pense généralement, aucun n’est exposé (ill. 27).
De René-Antoine Houasse, le Louvre ne garde (tous les autres sont déposés ailleurs, dont beaucoup à Versailles) que deux grands tableaux, dont son May, un ruiné l’autre en mauvais état donc non présentés. Un ou deux tableaux pourraient être récupérés à Versailles (qui ne les montre pas tous) pour représenter au Louvre l’art de cet élève de Le Brun (ill. 28).


29. Jean-Baptiste de Champaigne (1631-1681)
L’Aurore et la Nuit, 1666-1669
Huile sur toile - 144 x 189 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/A. Didierjean
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30. Bon Boullogne (1649-1717)
La Mort de saint Ambroise, 1717
Huile sur toile - 47 x 35 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/B. Touchard
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Jean-Baptiste de Champaigne, pourtant un excellent peintre même s’il est inférieur à son oncle, est incroyablement absent : le Louvre possède sept tableaux de lui. Six sont en réserves, et un très beau en réserves… à Lyon. Parmi ceux conservés à Paris on trouve son portrait de Philippe de Champaigne et une très belle acquisition de 1986, L’Aurore et la Nuit (ill. 29), un élément du décor des Tuileries. D’ailleurs, les quatre autres peintures provenant du décor des Tuileries sont également en réserves.

Les dynasties sont souvent oubliées. Des Boullogne, le Louvre ne montre rien. De Bon Boullogne, quatre tableaux sont au Louvre, et pourtant aucun n’est présenté (ill. 30), quand deux pourraient l’être (les deux autres devraient être restaurés). De Louis I de Boullogne, le Louvre a deux tableaux, dont l’un est ruiné et l’autre (son May) doit être restauré. Quand à Louis II de Boullogne, le Louvre ne conserve rien. Pourtant, des œuvres de sa main passent récemment en vente, et la plus belle, un Repas à Emmaüs, était tout récemment chez Éric Coatalem (ill. 31).


31. Louis II de Boullogne (1654-1733)
Le Repas à Emmaüs, 1704
Huile sur toile - 84,5 x 102 cm
Vendu par la galerie Éric Coatalem
Photo : Galerie Éric Coatalem
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Les Boullogne sont négligés ? Les Corneille ne le sont pas moins. De Michel I Corneille, le Louvre n’a rien (ni à Paris, ni en dépôt). Des tableaux de cet artiste, élève de Simon Vouet, ont pourtant été disponibles sur le marché. Heureusement, le Musée du Grand Siècle a acquis celui qui passait en vente récemment (voir la brève du 28/6/22). Notons qu’une Zénobie était proposée par Artcurial en novembre 2024 et qu’en 2013, le CMN achetait un Samson pour le château de Maisons (voir la brève du 24/9/13). Et Éric Coatalem avait il y a quelques années une Vierge à l’enfant qui lui revenait probablement. Même si l’attribution n’était pas absolument certaine, la qualité proche de celle des œuvres de Simon Vouet montrait que son auteur était, quoi qu’il en soit, un de ses meilleurs élèves. Mais à part Eustache Le Sueur, les élèves de Simon Vouet ne sont pas très bien traités non plus. Si Aubin Vouet est absent du Louvre et pratiquement introuvable, si les beaux tableaux de Jacques de Létin ne le sont pas moins, on a vu qu’aucun Charles Poerson n’était exposé, pas davantage que Charles Dauphin (déjà vu car lorrain).


32. Michel Dorigny (1617-1665)
La Tempérance, 1659-1661
Huile sur toile - 105 x 155 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/G. Blot
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33. Michel Dorigny (1617-1665)
La Force et la Prudence, 1659-1661
Huile sur toile - 105 x 155 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/F. Raux
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Certes, Nicolas Chaperon est montré par un tableau, et Michel Dorigny, un autre élève (et gendre) de Simon Vouet, est mieux considéré puisque trois œuvres de sa main sont présentées. Mais si des éléments de décor provenant de Vincennes ont été remontés en plafond en 1832 dans la première salle de la Colonnade (Antiquités égyptiennes, Le Nouvel Empire - Toutankhamon et ses successeurs) où d’ailleurs personne ne songe à les regarder, trois autres tableaux plafonnant, La Tempérance (ill. 32), La Force et la Prudence (ill. 33) et La Paix embrassant la Justice, de même provenance, sont en réserves alors qu’ils permettraient d’évoquer dans les salles de peinture du XVIIe siècle le grand décor vouétisant devenu si rare.


34. Juste d’Egmont (1601-1674)
Louis XIII, Anne d’Autriche et le Dauphin –futur
Louis XIV – adorant l’Enfant Jésus de la Nativité

Huile sur panneau - 29 x 39 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/M. Urtado
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La connaissance des élèves de Simon Vouet reste encore parcellaire, et on attend avec impatience l’exposition que prépare Guillaume Kazerouni au Musée des Beaux-Arts de Rennes l’an prochain. Une chose est certaine : beaucoup reste à découvrir, et de beaux tableaux d’élèves de Vouet, dont les auteurs restent indéterminés, passent parfois en vente. Mais le Louvre n’aime pas les anonymes, au moins à partir du XVIIe siècle, pour les accrochages, et encore moins pour les acquisitions. Sauf erreur, lorsque nous avons revu récemment toutes les salles de peinture françaises du XVIIe siècle, nous n’y avons trouvé qu’une œuvre sans paternité, d’ailleurs remarquable, justement de l’atelier de Vouet, Le Christ à la colonne [5]. Saluons donc Versailles qui sait acquérir des anonymes comme un superbe « Entourage de Simon Vouet » (voir la brève du 5/6/19).


35. Nicolas Loir (1623-1679)
Allégorie du progrès des arts du dessin sous le règne de Louis XIV, 1666
Huile sur toile - 185 x 141 cm
Paris, Musée du Louvre (déposé à Versailles où il est en réserves)
Photo : RMN-GP/B. Touchard
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36. Louis Licherie (1629-1687)
Guérison miraculeuse de don Carlos par saint Diego d’Alcala, 1670-1675
Huile sur cuivre - 52 x 63 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/F. Raux
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37. Jacques Blanchard (1600-1638)
La Vierge à l’Enfant avec un
évêque et saint Jacques

Huile sur toile - 108 x 140 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/M. Urtado
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Nous pourrions encore continuer longtemps cette litanie des tableaux absents du Louvre ou conservés en réserves. Juste d’Egmont : deux tableaux au Louvre, en réserves (ill. 34) ; Nicolas Loir : deux tableaux au Louvre, en réserves, et son morceau de réception déposé à Versailles mais non exposé (ill. 35) ; Louis Licherie : un tableau au Louvre, en réserves (ill. 36).
Et ajoutons-y les toiles importantes pourtant non exposées d’artistes majeurs par ailleurs relativement bien montrés. Pourquoi deux peintures de Jacques Blanchard, La Vierge à l’Enfant avec un évêque et saint Jacques (ill. 37) et Le Christ et la femme adultère, sont-elles en réserves ? Pourquoi ne montre-t-on pas cette Scène de l’histoire romaine (ill. 38), un don des Amis du Louvre, de Sébastien Bourdon, et aucun portrait de ce peintre ?


38. Sébastien Bourdon (1616-1671)
Scène d’histoire romaine, vers 1643
Huile sur toile - 145 x 197 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/F. Raux
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39. Laurent de La Hyre (1606-1656)
Paysage avec la stigmatisation
de saint François

Huile sur toile - 56 x 89 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/M. Urtado
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40. Philippe de Champaigne (1602-1674)
Saint Philippe, vers 1649
Huile sur toile - 117 x 89 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/M. Urtado
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Pourquoi ne peut-on voir le Paysage avec la stigmatisation de saint François [6] (ill. 39) ou le Repos pendant la fuite en Égypte de Laurent de La Hyre ? Pourquoi trois tableaux très beaux de Philippe de Champaigne (outre le paysage déjà cité) ne sont-ils pas en salles (ill. 40) ? Pourquoi la Sainte Madeleine de Charles Le Brun (ill. 41), l’un de ses tableaux les plus connus et les plus copiés, est-il absent des cimaises ? Si François Perrier est plutôt bien montré avec trois tableaux, pourquoi le Louvre, qui n’a pas de peintures religieuses de sa main, n’en achète-t-il pas une, alors qu’il y en a une belle à vendre chez Éric Coatalem (ill. 42) ?


41. Charles Le Brun (1619-1690)
Sainte Madeleine renonçant aux vanités du monde, 1654-1657
Huile sur toile - 252 x 171 cm
Paris, Musée du Louvre (en réserves)
Photo : RMN-GP/S. Maréchalle
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42. François Perrier (1594-1649)
L’Adoration des bergers
Huile sur toile - 185 x 128 cm
Galerie Éric Coatalem
Photo : Galerie Éric Coatalem
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On nous dira que le Louvre manque de place. C’est évidemment une plaisanterie. Outre que l’on pourrait sans dommage dans certaines salles densifier un peu la présentation, rien n’interdirait d’en récupérer d’autres (ill. 43) aujourd’hui consacrées à la présentation de cadres anciens [7], la salle vide adjacente qui ne sert aujourd’hui à rien, la salle souvent inutilisée qui montre temporairement six tableaux espagnols, la salle qui accueillait jadis le tableau du mois et qui n’a que deux tableaux accrochés au mur...


43. Les salles 831 et 904 à 909 peuvent être incluses rapidement
dans le parcours de la peinture française du XVIIe siècle
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On obtient donc plus d’un tiers des œuvres non exposées au Louvre parmi celles qui y sont conservées physiquement et à peu près le même pourcentage pour toutes les œuvres sur son inventaire, incluant donc celles qui sont exposées (et nous excluons dans les deux cas celles qui sont ruinées). Ce bilan est forcément optimiste, car nous avons certainement oublié beaucoup de peintures en réserves, et un grand nombre de celles que nous avons comptées comme exposées, parmi les dépôts, ne le sont pas en réalité.

Non, décidément, le Louvre et son département des peintures n’aiment pas le XVIIe siècle français. On pourrait même presque croire qu’ils n’aiment pas la peinture...

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