- La Maison du Peuple à Clichy
(état de 2018)
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
La cession par la Ville de Clichy de la Maison du Peuple (voir nos articles précédents) au groupe Alain Ducasse et à la financière Apsys, révélée il y a quelques jours, provoque une large polémique (voir par exemple cet article du Monde). Beaucoup, y compris l’association Quartier Maison du peuple, s’élèvent contre cette décision soutenue par le ministère de la Culture. Celui-ci a publié un communiqué pour s’en réjouir, indiquant que « la Maison du Peuple étant classée au titre des monuments historiques, les autorisations de travaux feront l’objet d’une instruction par la conservation régionale des monuments historiques (DRAC) et d’une autorisation du préfet de région. L’exécution des travaux sera effectuée sous le contrôle scientifique et technique de la DRAC. Dans le cadre de cette cession, le bâtiment sera ainsi entièrement restauré, réhabilité et remis aux normes par le groupe Ducasse. L’opération bénéficiera également du suivi de la préfecture des Hauts-de-Seine. »
Il ne faut pas, en effet, confondre classement monument historique et classement dans le domaine public comme certains l’ont fait un peu vite. La Maison du Peuple a été déclassée du domaine public, car c’est une condition obligatoire pour vendre un bâtiment public. Cela n’a évidemment rien à voir avec le caractère monument historique qui est évidemment maintenu.
Avant de nous indigner de ces développements, il faut nous interroger, au-delà des principes, sur les avantages, les inconvénients, les opportunités et les risques qu’ils présentent.
1. Le symbole
Lorsqu’un bâtiment ayant toujours appartenu à la Couronne est vendu au privé, nous sommes les premiers à nous scandaliser de l’aspect symbolique. Celui-ci est tout aussi important pour la Maison du Peuple. Il s’agit d’un bâtiment dont on peut légitimement penser qu’il a été créé pour l’usage de la population, et qu’il devrait conserver cette vocation : outre l’aspect politique et syndical, il comprenait un marché couvert au rez-de-chaussée et un espace entièrement modulable au premier étage, utilisable comme salle des fêtes, salle de cinéma, salle de conférence, tandis que le toit pouvais s’ouvrir afin d’organiser divers événements en plein air. Une maison pour le peuple donc, tout est dans son nom, ce qu’elle ne sera évidemment plus.
2. L’attitude de la mairie
Le problème, qui semble actuellement insoluble, est l’attitude de la mairie. Celle-ci ne veut pas du monument, refuse absolument de dépenser le moindre argent pour sa restauration, et était prête à le massacrer du point de vue patrimonial en construisant une tour au-dessus. Plus grave encore : elle n’a rien fait pour entretenir ce qui existait, et l’a laissé pourrir sur place, littéralement, comme le démontre un article paru sur le site de l’association Sites & Monuments.
3. L’attitude du ministère de la Culture
On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. Ou plutôt si : on pourrait le forcer à boire, car en France la loi donne des moyens au ministère de la Culture pour sauver les monuments historiques. Celui-ci n’a, reconnaissons-le, pas été inactif dans cette affaire. Après avoir longtemps tergiversé, il avait, par la voix de Franck Riester, le prédécesseur de Roselyne Bachelot, affirmé que le projet du maire prévoyant une tour sur le monument, devrait être « modifié » pour être autorisé (voir cet article). Cela restait ambigu, mais a permis tout de même de mettre un frein au projet. Mais il n’a jamais été question d’imposer des travaux d’office pour empêcher les dégradations dont l’article de Sites & Monuments prouve l’importance. Il est incroyable qu’on ait laissé ces dernières années ce monument prendre l’eau et rouiller, et sur ce point le ministère est largement responsable.
4. Le prix de vente
Beaucoup se scandalisent du prix de vente de 2,1 millions d’euros, soit 500 € au m2, ce qu’ils estiment beaucoup trop bas. Le procès ne nous semble pas forcément pertinent : compte-tenu de l’argent à mettre dans la restauration et des contraintes pesant sur un monument historique, il n’est pas certain que cela soit une si bonne affaire. À moins bien sûr que les acheteurs se révèlent incapables de mener à bien le projet et obtiennent alors des dérogations du ministère pour diminuer l’exigence du projet. Celui-ci d’ailleurs, n’est pas encore très clair comme nous l’expliquons dans le point suivant.
4. Le projet
Si l’on met donc de côté l’aspect symbolique, qui est effectivement scandaleux, l’attitude de la mairie depuis des années, qui ne l’est pas moins, et celle du ministère qui a laissé faire, il faut néanmoins se poser la question du monument lui-même : si celui-ci peut être sauvé par cette vente, au moins celle-ci aura servi à quelque chose.
Il est néanmoins trop tôt pour savoir ce qu’il en sera. Selon Le Parisien, le groupe veut y faire le siège de ses manufactures, « un lieu de création artisanale dans les domaines du chocolat, du café et des glaces » et « promet une restitution à l’identique ». On ne sait exactement ce que cela veut dire, car produire des chocolats n’était pas prévu à l’origine par le programme. Il y a par ailleurs une contradiction à affirmer vouloir une restauration à l’identique tout en disant que « tous les aménagements intérieurs seront réversibles ».. Le monument sera-t-il ouvert largement au public ? Le caractère modulable de l’ensemble qui constitue un des éléments principaux de sa modernité sera-t-il restauré et fonctionnel ? Tout cela reste à valider, et l’affirmation du communiqué du ministère que « les services du ministère de la Culture, en lien étroit avec la ville de Clichy, veilleront scrupuleusement, à toutes les étapes de l’opération, à ce que celle-ci soit respectueuse de l’histoire et de l’architecture du monument » n’est pas fait pour nous rassurer, quand on connaît le lourd passif de la ville de Clichy, pour ne pas parler de celui de la DRAC Île-de-France…
5. En conclusion
Si l’on se préoccupe avant tout du devenir patrimonial de la Maison du Peuple, il nous semble donc trop tôt pour condamner cette vente alors que la situation était complètement bloquée et que le monument se dégradait de manière inquiétante. Mais il est néanmoins certain que tous les doutes ne sont pas levés quant à la viabilité de ce projet, et à sa pertinence patrimoniale. Nous en surveillerons donc de près les prochains développements.