1848 : l’année décisive
24 février 1848 : partout on travaille aux barricades, l’insurrection s’amplifie et c’est le tumulte devant l’Hôtel de Ville : « La place était envahie par une foule bruyante et grouillante où se confondaient les hommes du peuple, les gardes nationaux et les soldats » [2]. Le Comte de Rambuteau, préfet de la Seine en est chassé. Le roi Louis-Philippe abdique et Lamartine constitue un gouvernement provisoire et déclare : « la République sans sursis ! » [3]
Le lendemain, la « place était comme la veille, couverte de foule, et cette foule [...] était si serrée qu’elle s’immobilisait elle-même, les marches du perron [de l’Hôtel de Ville] étaient inabordables [...] » [4]. Les bruits de fusillades continuaient de se faire entendre.
François-Désiré Froment-Meurice, « orfèvre-joaillier de la Ville de Paris » [5]., réside et exerce tout à côté, au 2 rue de Lobau, près de l’ancienne arcade Saint-Jean. Lors de ces journées révolutionnaires, il ne reste pas inactif : commandant de la garde nationale, il est de service à l’Hôtel de Ville. Il facilite la rencontre entre Lamartine et Victor Hugo et accompagne ce dernier à la recherche de son fils François-Victor, à la salle Saint-Jean, « vaste morgue » où s’étendaient des centaines de cadavres non identifiés, « méconnaissables pour la plupart » [6].
De février à mai, le tumulte politique se poursuit. Ces quatre mois sont vécus comme « quatre mois d’anarchie où l’on sentait de toutes parts l’écroulement [...] Le dernier mot de tout était la peur de quelque chose ou de quelqu’un » [7].
Le 4 septembre de cette même année, Froment-Meurice a déménagé : il a maintenant un « splendide magasin » au « faubourg Saint-Honoré, 50, à Paris » [8].
Sans doute dans un premier temps pour des raisons de sécurité [9], puis pour des raisons économiques et stratégiques, Froment-Meurice quitte un voisinage et un quartier où il était établi depuis une vingtaine d’années [10], pour celui, plus riche « de luxe & très fréquenté » [11] de la Madeleine.
Il est accuelli au 52, rue du Faubourg Saint-Honoré avec sa femme, Louise-Henriette Mainguet, et ses enfants Marie-Emilie et Emile [12] chez sa demi-sœur Mélanie-Françoise Mahler.
Veuve de François-Salomon Mahler [13], orfèvre cuillériste, elle vit avec son fils Pierre Charles Mahler, futur avocat, dans un hôtel de trois étages avec cour et jardin [14] construit en 1840 par Van Cléemputte [15]. Louis Boulanger, ami de Paul Meurice, y brosse dès 1847, quatre toiles murales pour la salle à manger où figureraient Hugo et sa femme, le peintre et son ami Paul [16].
Dans cet hôtel bouillonnent, du fait de ce rassemblement familial, créativité et discussions politiques. En effet, résident aussi sous ce même toit le demi-frère de François-Désiré, Paul Meurice, romancier et auteur dramatique, et sa femme Eléonore Palmyre Granger [17] .
L’orfèvre romantique, acclamé par Vigny, côtoie comme son frère le milieu artistique et littéraire : Balzac, Roqueplan, Gautier, Sue, Janin [18] ... Hugo, nous l’avons vu, connaît et célèbre l’ « ouvrier magicien » ; il possède un de ses bracelets [19] et lui dédie une ode élogieuse en 1841 [20] . Mais Paul Meurice est plus proche du poète et lui restera dévoué jusqu’à sa mort [21] .
Si en février 1848 le poète est favorable à une régence d’Hélène d’Orléans, en mai il aspire non pas à une République rouge mais à une République universelle qui serait « la sainte communion de tous les Français dès à présent, et de tous les peuples un jour, dans le principe démocratique » et « le majestueux embrassement du genre humain sous le regard de Dieu satisfait ». Après l’insurrection ouvrière, les massacres et arrestations de juin, Hugo va défendre les principes d’égalité et de liberté pour le peuple et se défie de l’Etat de siège voté par l’Assemblée et maintenu par Cavaignac. Ces opinions politiques sont partagées par Paul Meurice et s’exprimeront dans le journal L’Evénement.
Le 31 juillet 1848, Charles Hugo et son frère François-Victor, inspirés par leur père, sortent le premier numéro de ce quotidien. Paul Meurice en est alors le rédacteur en chef et son neveu Charles Mahler, le gérant responsable. Journal d’engagement démocratique, sa devise est « Haine vigoureuse de l’anarchie, tendre et profond amour du peuple ». Il soutiendra la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République, voyant en lui le « candidat des classes souffrantes » [22]
:
« [...] 1830 était un soleil couchant, et comme le soir de la monarchie, - 1848 est une aurore et le matin de la République. [...]. Et l’avenir, - nous le répétons sous toutes ses formes, - c’est le peuple.
En 1830, nous avons eu le roman de Notre-Dame de Paris ; en 1848, nous aurons les livres des Misères.
Réparer les misères du peuple, édifier la grandeur du peuple, telle est la sublime tâche de tous ceux de nos contemporains à qui Dieu a mis dans le front quelque chose » [23] .
Ces espoirs sont partagés par la famille Hugo, mais aussi par d’autres propriétaires ou collaborateurs du journal : Auguste Vacquerie, Théophile Gautier, Léonie Biard [24] ...
Pour la fondation de L’Evénement, Paul Meurice engage ses propres fonds ainsi qu’une somme conséquente apportée par son frère François-Désiré J [25] Froment-Meurice en apportant cette aide financière, soutient son frère. Il semble donc que les deux hommes partagent les mêmes opinions, contrairement à leur sœur, Mme Mahler, qui pour protester contre ces opinions, menace de quitter la maison familiale [26].
1851, le choix politique et stratégique
Toutefois, des divergences d’opinions vont apparaître entre les deux frères, sans que cela n’altère en rien leur attachement et leur admiration respective. Sans doute Froment-Meurice jugeait-il son frère trop « rouge ». Une lettre très touchante de Paul Meurice, après le décès de François-Désiré, adressée en 1855 à Victor Hugo exilé à Jersey, confirme cette idée :
« Mon grand et cher maître, - j’ai une grâce à vous demander : c’est de mettre dans les Contemplations, avec le nom de mon pauvre et cher frère, les beaux vers que vous avez faits à son occasion, il y a quelques années. Il me semble que ces profondes et libérales pensées iraient bien à votre cadre et à votre titre [...] En dépit de toutes sortes d’erreurs d’éducation, mon frère avait pour vous une admiration et une vénération sincères : Pendant la nuit où je le veillais mort, je voyais au chevet de son lit votre portrait dans le même cadre avec celui de Molière et celui de Corneille. Dans les deux dernières années surtout ses idées s’étaient singulièrement élargies. Choses étranges ! Il repoussait en théorie nos principes, et les pratiquait en réalité. J’en ai mille preuves dans les écrits de ses ouvriers qui lui étaient tous dévoués et qui malgré toutes les défenses de la police, ont voulu porter tour à tour son cercueil jusqu’au tombeau, - Cher maître, je vous en conjure, insérez dans vos volumes ces vers où vous dîtes à mon frère : Nous sommes frères... » [27]
L’engagement de Paul et l’évolution de sa pensée politique semblent parallèles à ceux de Hugo. Le journal, qui avait d’abord soutenu Louis-Napoléon à l’élection présidentielle en décembre 1848, le désapprouve à mesure que ce dernier s’éloigne de son rôle de président de la République, et rentre dans l’opposition.
Après la saisie et l’interdiction en septembre 1851 de L’Evénement, Paul Meurice est condamné ce même mois à neuf mois de prison et à une amende de trois mille francs. Le 18 novembre, il entre à la Conciergerie avec François-Victor Hugo, condamné lui aussi, et n’en ressortira que le 16 août 1852, un peu plus de huit mois après le coup d’Etat [28] .
Lors de son séjour en prison, séparé de sa famille, il écrit une pièce sur le célèbre orfèvre de la Renaissance, Benvenuto Cellini, qu’il dédie à son frère. Ces deux hommes, malgré les trois siècles qui les séparent, représentent l’artiste complet : créateur, sculpteur, ciseleur, fondeur, exécuteur. Froment-Meurice est le « statuaire du bijou » [29]
dont les sculptures en or et en argent doivent être admises comme un art [30] . Le travail de l’artiste est glorifié par Meurice comme expression de la liberté : « Dessiner en modelant, penser avec l’action, dans l’art comme dans la vie tout est là ». L’artiste est garant du passé et du génie de la nation, « [...] il sauve le feu sacré, la civilisation, l’humanité » [31] .
Entre temps, entre juin et septembre 1851, alors que la pression se fait plus forte sur L’Evénement, Paul et son épouse déménagent, ils quittent leur famille et le Faubourg Saint-Honoré pour un quartier très différent qui portera le nom de « Nouvelle-Athènes », où résident de nombreux artistes [32]. Ils s’installent au 5, avenue Frochot. Ce changement de domicile coïncide avec les diverses condamnations des collaborateurs de L’Evénement qui s’attaquent à la politique du président de la République, désigné comme « Napoléon-le-petit » par Victor Hugo le 17 juillet, dans son discours prononcé à l’Assemblée Nationale contre la révision de la Constitution qui doit permettre la réélection de Louis Bonaparte. L’engagement politique de Meurice est désormais trop à gauche pour sa famille.
Froment-Meurice, homme extrêmement discret et généreux, ne peut et ne veut pas s’engager comme son frère. Son talent et sa notoriété sont mondialement établis : il reçoit cette même année, lors de la première exposition universelle à Londres où il triomphe entre autres avec la toilette de la duchesse de Parme offerte par les dames légitimistes, la plus haute récompense : la Council Medal [33]. Jules Janin pour Le journal des débats et son frère Paul pour L’Evénement couvrent alors cette manifestation exceptionnelle. De plus, le 15 novembre 1851, il est nommé par Louis-Napoléon officier de la Légion d’honneur et il est aussi fait chevalier de Saint Louis de l’ordre de Parme. Comme les autres membres de sa famille excepté Paul, il était plutôt royaliste. De plus, il est et restera très proche du clergé, contrairement à son frère. Cette distinction est soulignée par Mme Mahler, qui reproche à ce dernier d’avoir abandonné la pratique religieuse, et de n’avoir pas suivi « la voie du devoir » [34].
Froment-Meurice a une clientèle très diverse : membres de la famille royale, aristocrates français et étrangers, bourgeois, et artistes de renom.
Le 14 juin 1854, Froment-Meurice prend aussi son indépendance et quitte l’immeuble familial, mais contrairement à son frère, reste dans ce quartier de l’opulence, la Madeleine, qui lui est cher. Il achète au comte de Sainte Marie, ancien colonel de cavalerie, chevalier de Saint Louis, officier de la Légion d’honneur et chevalier de Saint Ferdinand d’Espagne, l’hôtel d’Etampes, au 372 rue Saint-Honoré. Cet hôtel est composé de deux parties principales, l’une formant le grand hôtel de trois étages donnant sur la rue Saint-Honoré et composé de plusieurs boutiques au rez de la place Vendôme. A cela s’ajoutent diverses parties accessoires à leur serviceV [35]. En 1854, de nombreux bâtiments et locaux sont loués : deux chambres, trois des boutiques (à un parfumeur, un plombier et un marchand épicier), le premier étage de l’hôtel (à un bijoutier joaillier Frantz Kramer [36] ) et le bâtiment au fond de cour et ses dépendances à la baronne de Vaux.
Si les autres parties de l’hôtel sont mises à la disposition de Froment-Meurice dès le 15 juillet 1854, il ne s’y installera pas : les très lourds travaux qu’il entreprend pour rénover son appartement et sa boutique nécessitent beaucoup de temps et d’argent et le 17 février 1855, à l’âge de 53 ans, il meurt subitement. Son décès est constaté à son domicile, au 52, rue du Faubourg Saint-Honoré, tandis que l’hôtel est encore en chantier. Sa veuve et son fils Emile n’y enmménagent qu’en 1856. Ils maintiennent la renommée de la maison, définitivement associée au quartier de la Madeleine [37] .
Après le mariage d’Emile Froment-Meurice avec Rose-Félicie-Berthes Thomas, le 27 mars 1862, le couple et Mme veuve Froment-Meurice s’installent non loin, au 19, boulevard Malesherbes [38] tandis que le siège de la maison reste rue Saint-Honoré. La mère et le frère de Rose demeurent à quelques pas : au 22, rue d’Anjou. La famille Mahler réside toujours rue du Faubourg Saint-Honoré [39] .
En 1870, la famille Froment-Meurie a encore déménagé, Emile a en effet acheté un hôtel au 46, rue d’Anjou [40] . Les ateliers y seront installés plus tard, entre 1894 et 1900 [41] . Le quartier change, les familles opulentes émigrent pour plus de commodité vers l’ouest, et les « grands appartements deviennent des ateliers de modes, de coutures, des hôtels, des restaurants, des administrations. Les nouveaux venus établissent leurs industries ou leurs bureaux dans notre quartier, mais ne l’habitent pas » [42].
Le 22 octobre 1907, Froment-Meurice cède sa clientèle à un joaillier-orfèvre, Georges Auger, demeurant 54, rue Etienne Marcel.
Le 25 avril 1913, les corps d’Emile et de Rose sont retrouvés sous les décombres de leur hôtel, rue d’Anjou, effondré accidentellement.
Les Froment-Meurice et l’église de La Madeleine : la création au service d’une conviction
Le 1er juin 1849, quelques mois après la Révolution, s’ouvre l’exposition des Produits de l’industrie à Paris. Cette manifestation est capitale pour la renommée et l’avenir des exposants. Le contexte est difficile : de nombreux ateliers se sont vidés, des manufactures se sont fermées ou exportées, des artistes désespérés se sont tuésV [43].
Froment-Meurice se distingue : il obtient une médaille d’or. Ce succès est dû à la qualité et à l’originalité de son travail mais aussi à ses commanditaires, dont font notamment partie un mécène, le duc de Luynes, les divers courants républicains au pouvoir [44] ainsi que l’Eglise. Et plus particulièrement l’église de la Madeleine.
Lorsque Froment-Meurice s’installe en 1848 rue du Faubourg Saint-Honoré, il change de Paroisse mais n’arrive pas en terre inconnue : il connaît très bien le curé qui y officie, l’abbé Beuzelin.
En effet, deux ans plus tôt, le 4 octobre 1846, l’abbé propose au Conseil de fabrique « de faire faire deux reliquaires qui seraient exécutés d’après les dessins de M. l’architecte huvé, et dont l’un renfermerait la relique de Sainte Madeleine [...] et l’autre , qui renfermerait les reliques de St. Vincent de Paul, serait attaché au pilastre en regard » [45] . Le 3 janvier 1847, après réception du dessin de Jean-Jacques-Marie Huvé et « du devis dressé par Mrs. Choiselat-Gallien, fabricants de bronze pour les Eglises » et élevé à 3000 francs, un membre du Conseil propose « d’ouvrir une concurrence pour obtenir la meilleure exécution de pareils objets pour lesquels les connaissances artistiques doivent être recherchées, et sur l’indication de M. Froment Meurice, orfèvre joaillier de la Ville de Paris, fabricant d’orfèvrerie d’Eglise, renommé pour ses connaissances artistiques et l’élégante exécution des objets qu’il fabrique ». Le Conseil demande à celui-ci un dessin et un devis [46]. Ces derniers sont examinés dès le 27 janvier et adoptés bien que le prix soit plus élevé : 5000 à 6000 francs [47]. Le choix semble évident après la découverte des dessins colorés, car Froment-Meurice s’est « pénétré, en les composant, du style et du gout de l’Eglise » [48] . Le reliquaire de Ste Madeleine est jugé « plus conforme au style d’architecture de l’Eglise ». C’est donc l’artiste qui est choisi et non les fabricants sans âme : « je considère ces objets, comme objets d’art, et non comme but commercial » [49] , écrit alors l’orfèvre au président du conseil, le baron Frémiot. Le délai demandé est de trois mois. Après discussions sur le placement des reliquaires [50], Froment-Meurice est averti en mars par courrier qu’il peut « continuer le modelage desdits reliquaires qui doit être soumis à l’appréciation de M. l’architecte huvé & au bureau » [51] . Le 7 avril, « M. le Secrétaire [...] s’est rendu chez M. Froment Meurice pour presser l’exécution du modèle des reliquaires [...] afin que le Bureau puisse en arrêter la confection ». Le 17 avril, l’orfèvre présente les modèles des reliquaires « qui doivent être placés, dans l’espace vide, sur le gradin plus élevé du maître Autel, entre les Anges adorateurs et la garniture des chandeliers ». Le 30 juin, le Bureau de Fabrique reçoit une triste nouvelle : les reliquaires ne pourront être achevés pour la fête patronale de la Madeleine (le 22 juillet) [52] .
- 1. François-Désiré Froment-Meurice (1802-1855)
Reliquaire de sainte Marie-Madeleine
Paris, église de la Madeleine
Photo : Ville de Paris - C.O.A.R.C. - Voir l´image dans sa page
- 2. François-Désiré Froment-Meurice (1802-1855)
Reliquaire de saint Vincent de Paul
Paris, église de la Madeleine
Photo : Emmanuel Michot - Ville de Paris - C.O.A.R.C. - Voir l´image dans sa page
Ils ne seront finalement livrés qu’à 3 heures de l’après-midi, le 20 janvier 1848, un peu plus d’un mois avant la Révolution, sous un froid de loup (ill. 1 et 2) . Protégés dans des boîtes en bois, portés sur des brancards en bois de chêne par quatre hommes [53] . Six jours plus tard, le bureau se réunit pour faire part de la nouvelle somme demandée par Froment-Meurice, soit 7420 francs et pour examiner « quel serait le meilleur moyen pour préserver les dits reliquaires de la poussière et d’une (?) prompte oxidation (sic) ». Un devis pour un entourage de glaces est demandé au peintre vitrier Félix et à Huvé un dessin pour les consoles qui supporteront ces pièces [54] . D’abord souhaités en marbre blanc, ces supports, du fait du devis trop élevé, sont préférés en bois dorés. Le sculpteur Liénard, à la demande de Froment-Meurice établit « la somme de 950fr pour le bois, la sculpture, la ferrurerie, & la dorure » mais le sculpteur est laissé au choix de l’architecte [55] .
Le 10 mars, la somme demandée par l’orfèvre est acceptée, un premier acompte lui est versé [56] . Le sculpteur Marneuf est chargé d’exécuter les consoles, tandis que Laisné réalise le dessin [57]. Le 25 mars, Félix a posé et poli les glaces des reliquaires. Le 1er juillet 1849, les consoles sont scellées [58] mais les reliquaires sont absents : ils trônent sur les plus hauts gradins du stand de Froment-Meurice à l’exposition des Produits de l’industrie [59] .
Ce ne sont pas les seules pièces que Froment-Meurice réalise pour cette église. Le 7 avril 1847, l’abbé Beuzelin « sent la nécessité de faire l’acquisition d’une grande custode qui serait en argent & doré en dedans, pour renfermer les hosties consacrés et leur translation au Tombeau le Jeudi St. Il demande donc que cette acquisition ait lieu, en faisant observer que cette custode doit être confectionnée en forme d’arche (en note dans la marge : « et d’une manière élégante »). Le Bureau, délibérant sur cette demande arrête, pour ce qui est de la dépense que cette acquisition doit occasionner, qu’il en sera référé au Conseil à sa première réunion, et en attendant, un membre se charge de prendre des renseignements nécessaires auprès de l’orfèvre bijoutier Froment-Meurice [...] »A [60] . Un an plus tard, le 17 avril 1848, la « Custode, Ange » en argent et bronze doré [61] est livrée (ill. 3).
- 3. François-Désiré Froment-Meurice (1802-1855)
La custode « anges »
Paris, église de la Madeleine
Photo : Jean-Marc Moser - Ville de Paris - C.O.A.R.C. - Voir l´image dans sa page
L’orfèvre semble attitré : la même année, la Madeleine lui achète encore un ostensoir et une croix en argent [62] .
L’été 1848, l’abbé Beuzelin démissionne pour être remplacé par l’abbé Deguerry.
La Révolution et les événements politiques qui ont suivis « ont eu pour résultat de réduire considérablement toutes les ressources ordinaires des Fabriques » [63] . L’absence d’une grande partie des notabilités de la Paroisse et l’atteinte aux revenus des particuliers [64] mirent le bureau des Marguilliers dans l’obligation « de réduire les traitements non seulement de M.M les Ecclésiastiques mais encore de tout le personnel de l’Eglise » [65] , de réduire aussi « le prix de l’abonnement des chaises et de supprimer les traitements et les engagements avec les sopranos, de réduire le personnel en musique et celui des cérémonies » [66] .
En 1849, la situation ne s’améliore pas [67] .
Lors de cette période si dure, pendant trois ans, jusqu’au 12 janvier 1851, l’Eglise réduit ses dépenses mais veut maintenir son éclat et sa solennité afin que le culte catholique puisse conserver ses fidèles et contribuer ainsi à leur « édification & d’autre part, à la sanctification de ceux qui ne le sont pas » :
« Car tel est, après tout, le but final du culte, & telle est aussi la justification des dépenses faites pour la construction des magnifiques basiliques, et pour les richesses en peinture, en ornements, et autres objets qu’elles renfermaient. C’est ce motif qui a déterminé le gouvernement et le Conseil municipal à embellir d’une manière si somptueuse l’Eglise de la Madeleine. Son Conseil de fabrique n’a pas agi dans une autre pensée en s’efforçant de donner au culte le plus de pompe possible [...] » [68]
« Nous avons entendu dire qu’il n’était pas possible que l’office divin se fit mieux qu’à la Madeleine. Nous nous sommes félicités de cette parole élogieuse, d’autant plus que la Fabrique avait ainsi atteint le but qu’elle s’était proposée, de rendre le culte religieux à la Madeleine aussi beau qu’il est possible qu’il le soit. [...] Ce que l’on veut et qui peut seulement faire venir à l’Eglise, ce sont des cérémonies faites avec pompe [...] La beauté du monument ajoute à la puissance de l’enseignement par la parole » [69]
C’est sans aucun doute pour maintenir ce faste et attirer ses paroissiens que l’abbé Deguerry et les membres du Conseil de Fabrique acceptèrent la confection par Froment-Meurice d’un autre ostensoir et de son exposition (appelée « grande exposition »), payables dans les délais qu’ils souhaiteront. De son côté, l’orfèvre peut ainsi présenter à l’exposition de 1849, en plus des reliquaires fabriqués l’année précédente, deux nouveautés « rentabilisées » :
« 8,000 fr sont dus à Mr. Froment-Meurice, pour la nelle exposition et le nouvel ostensoir. Cette dette n’est exigible à aucune époque déterminée. La Fabrique a, pour s’en exonérer, tous les délais qu’elle voudra. Tel est l’engagement pris par Froment Meurice qui, à l’époque de l’exposition publique de l’industrie, vint prier M.M. les Marguilliers de lui accorder la confection de ce double travail sans lequel il ne pourrait rien mettre à l’exposition, ne voulant pas courir la chance de dépenses grandes peut-être pour des ouvrages dont le placement ne serait pas assuré à cause des circonstances politiques où l’on se trouvait. » [70]
- 4. François-Désiré Froment-Meurice (1802-1855)
Le grand ostensoir
Paris, église de la Madeleine
Photo : Emmanuel Michot -
Ville de Paris - C.O.A.R.C. - Voir l´image dans sa page
L’exécution de ces pièces a été réalisée dans un temps record : le 9 mars 1849, un peu moins de trois mois avant l’ouverture de l’exposition des Produits de l’industrie, l’orfèvre adresse un courrier où il s’engage « à confectionner l’ostensoir et l’exposition pour 13,000f , somme égale à ses déboursés et la seule qu’il pût réclamer, d’après son engagement pour ce travail » [71]. Le 30 mars, la facture est envoyée à la Fabrique et les objets sont exécutés et livrés [72] . Cette rapidité est due, pour l’ostensoir en argent, à la reprise de nombreux éléments d’un autre ostensoir exposé en 1844 [73] . La grande exposition (ill. 5, 6 et 7) de l’ostensoir, en cuivre doré et argenté, estampé et ciselé, est légère et démontable pour faciliter son installation temporaire sur le tabernacle de l’autel [74] .
Cette exposition s’accompagne de quatre bannières en satin blanc avec ornements en bronze qui s’intercalent entre les colonnes qui soutennent le dais. Ces éléments visibles sur la facture de mars 1850 et sur la photographie du stand de l’exposition de 1849, ont malheureusement disparu. Le 9 avril 1850, Froment-Meurice déclare que ses déboursés se sont élevés à 13398 francs et « il avoue qu’au fond il n’est en droit de réclamer que 13000 frcs », mais le Bureau lui accordera encore une fois ce surplus [75] . Le 19 janvier 1853, le Bureau a une nouvelle déconvenue : les deux girandoles, dont les modèles sont dus à Liénard et qui accompagnent l’exposition, sont facturées à 1276 francs, elles ne sont pas comprises dans la somme primitive [76]. Le Bureau décide alors qu’« il ne faudra plus s’adresser pour les necessités de l’Eglise, trop d’inconvénients se trouvant attachés inévitablement aux relations avec ce fabricant dont on ne peut obtenir les mémoires qu’après de nombreuses et désagréables instances. » [77] Le paiement est acquitté en février 1853 avec la « résolution que l’on ne recoure plus à ce fabricant pour les fournitures qui seront nécessaires à l’Eglise. » [78]
- 5. François-Désiré Froment-Meurice (1802-1855)
La grande exposition
Paris, église de la Madeleine
Photo : Emmanuel Michot -
Ville de Paris - C.O.A.R.C. - Voir l´image dans sa page
- 6. François-Désiré Froment-Meurice (1802-1855)
La grande exposition (détail)
Paris, église de la Madeleine
Photo : Emmanuel Michot -
Ville de Paris - C.O.A.R.C. - Voir l´image dans sa page
- 7. François-Désiré Froment-Meurice (1802-1855)
La grande exposition (détail)
Paris, église de la Madeleine
Photo : Emmanuel Michot -
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Auparavant, il avait fourni en décembre 1850 deux custodes en argent et deux goupillons en cuivre argenté et réalisé de nombreuses réparations [79] . Le 10 juin 1852, il est sollicité une dernière fois pour estimer un ostensoir en argent, qui sera vendu à Mme Cousin [80] .
La décision du Conseil a sans doute attristé Froment-Meurice qui garde malgré tout de proches relations avec les membres de l’église. Le 23 décembre 1854, Froment-Meurice marie sa fille Marie-Emilie avec Théodore-Louis-Corrard, les témoins, parents et amis sont : Auguste-Alexis Surat, vicaire général de Paris, archidiacre de Sainte Geneviève, Louis Brazier, second vicaire de la métropole, Augustin Reboul, curé de Saint-Paul et Gaspard Deguerry [81] .
Le lundi 19 février 1855, la messe de funérailles de François-Désiré est célébrée par Deguerry à la Madeleine [82] .
La Fabrique de la Madeleine ne commandera plus d’objets d’orfèvrerie à la Maison Froment-Meurice. Toutefois, Emile Froment-Meurice reste en relation constante avec l’église et avec les différents membres du conseil de la Fabrique.
Il fait baptiser par Deguerry à la Madeleine ses trois premiers enfants, respectivement en 1863, 1864 et 1870 [83] . Entre avril et juillet 1868, il restaure les ouvrages de son père : les deux reliquaires, l’exposition, l’ostensoir et « les deux bras de lumière » pour la somme de 5500 francs [84] . L’orfèvre et l’abbé se fréquentent et fréquentent le pouvoir. L’un est nommé en 1869 chevalier de la Légion d’honneur à la suite de l’Exposition universelle de 1867, l’autre, en 1868, commandeur. L’un est désigné pour réaliser le berceau du prince impérial, l’autre lui donnera son éducation religieuse.Le 24 mai 1871, pendant la Commune, Deguerry est fusillé à la Roquette. Il lègue à un proche quatre objets de culte de la maison Froment-Meurice [85] . L’abbé Le Rebours lui succède le 2 février 1872. Bien qu’il n’y ait plus de commandes faite par la Fabrique, Emile réalise quatre objets d’orfèvrerie commandés en partie par de riches paroissiens pendant le sacerdoce de cet homme fortuné et généreux.
- 8. François-Désiré Froment-Meurice (1802-1855)
Reliquaire quadriforme
Paris, église de la Madelein
Photo : Jean-Marc Moser -
Ville de Paris - C.O.A.R.C. - Voir l´image dans sa page
Le premier de ces objets qui appartenait sans doute à Le Rebours [86], est un petit reliquaire quadriforme (ill. 8) , antérieur à 1886 et contenant un cheveu de Sainte Madeleine. Il est émaillé et décoré de lettre mystérieuses, d’inspiration médiévale très en vogue dans la bijouterie française en 1889 : F (pour foi ?), M (pour Madeleine ?), R et I. Au dos, entourant un cachet de cire rouge portant des armes cardinalices, quatre dates tout aussi mystérieuses, font probablement références à des événements importants de la vie de l’abbé : 1875 (deux fois), 1886 et 1882.
- 9. François-Désiré Froment-Meurice (1802-1855)
Ciboire-Pyxide
Paris, église de la Madeleine
Photo : Jean-Marc Moser - Ville de Paris - C.O.A.R.C. - Voir l´image dans sa page
Le second objet (ill. 9) est une pyxide dans le goût moyenâgeux offerte à l’abbé le 22 juillet 1893 par ses paroissiens pour son jubilé« [87] . Le troisième, un baiser de Paix émaillé, représentant Sainte Madeleine et Saint Martial (ill. 10) . Et enfin un ostensoir avec perles et diamants (ill. 11), d’abord prêté à la Fabrique en 1893 par la Famille Mallac puis offert en 1896 par Madame Mallac, Marie-Amélie-Eugénie Elias, comme l’indique une inscription au revers [88] . Cette famille pieuse avait déjà, en 1881, offert à Mgr Lamazou, vicaire de la Madeleine, une chapelle portative (dont le calice est signé Froment-Meurice) lorsqu’il fut nommé évêque de Limoges [89] .
- 10. François-Désiré Froment-Meurice (1802-1855)
Baiser de paix
Paris, église de la Madeleine
Photo : Jean-Marc Moser - Ville de Paris - C.O.A.R.C. - Voir l´image dans sa page
- 11. François-Désiré Froment-Meurice (1802-1855)
Ostensoir
Paris, église de la Madeleine
Photo : Jean-Marc Moser - Ville de Paris - C.O.A.R.C. - Voir l´image dans sa page
Emile, en dehors de ces commandes, est en contact permanent avec l’activité de la Madeleine. Il est en effet, depuis le 27 février 1887, élu membre du Conseil de Fabrique et participe ainsi à toutes les décisions à prendre pour le bien de l’église jusqu’au début de l’année 1906 [90]. Ses ateliers réalisent en 1888, sous l’impulsion de Le Rebours, une tiare destinée à être offerte par le diocèse de Paris au pape Léon XIII. Enfin, des deuils le conduiront sous la voûte de la Madeleine en 1889 et 1900, après le décès de Mme Mahler et de sa mère [91]. Le 30 avril 1913, son corps et celui de son épouse sont à leur tour présentés dans ce lieu où étincelle le nom, le talent et la foi de sa famille, au travers de dix-sept pièces d’orfèvrerie.