6/4/12 - Patrimoine - Paris, Hôtel Lambert - Il y a six mois, nous nous inquiétions de l’opacité qui entoure désormais le chantier de restauration de l’Hôtel Lambert, contrairement aux promesses qui avaient été faites par le propriétaire de l’ouvrir largement aux journalistes. Peut-être ne sommes-nous pas les seuls à en craindre le résultat puisque le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, qui visitait le monument ce matin, a pris soin de rappeler au frère de l’Emir du Qatar qu’il devait en tous points se conformer au protocole d’accord qui avait été signé en janvier 2010. Pourtant, d’après nos informations, le véritable problème est sans doute qu’il s’y conforme trop, refusant de mettre en valeur les inévitables découvertes que révèlent les travaux (voir notre brève du 9/9/11).
- 1. Hôtel Lambert
Façade avec ses nouveaux pots à feu
6 avril 2012
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
- 2. Elévation de la façade de l’Hôtel Lambert, détail
Architecture française publié en 1852 par Blondel
Photo : DR - Voir l´image dans sa page
Les premiers résultats de cette restauration, que chacun peut constater puisqu’il s’agit des travaux sur la façade (ill. 1), démontrent hélas que l’inquiétude était justifiée. Son sommet est en effet désormais visible, surplombé par des pots à feu reconstitués.
Ces éléments avaient depuis longtemps disparu et n’étaient connus que par une gravure publiée par Mariette en 1737 et réédité par Blondel en 1752 (ill. 2). Mais pratiquement tout, dans celle-ci, est inexact, les proportions, la hauteur des toits... ce que les spécialistes savent parfaitement. C’est pourquoi les membres du comité scientifique étaient opposés au principe de cette reconstitution. Mais il n’y a jamais eu de vote à ce sujet puisque le ministère de la Culture avait validé la proposition de l’architecte en chef des monuments historiques, Alain-Charles Perrot, de les refaire.
- 3. Détail de l’ill. 2
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- 4. Façade de l’Hôtel Lambert
avec ses nouveaux pots à feu
6 avril 2012
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Mis devant le fait accompli, le comité scientifique en était réduit à essayer de contrôler l’architecte. Or, celui-ci ayant fait sculpter ces éléments décoratifs sans que les spécialistes aient pu valider son dessin, ils découvrirent avec stupeur que la reconstitution était totalement farfelue : beaucoup trop grands, transformés en véritable pots à feu puisque des flammes sortaient de leur extrémité, ils ne pouvaient être mis en place ainsi. Le comité scientifique a exigé que l’architecte les modifie en prenant pour modèle l’estampe, seul élément tangible même si l’on sait qu’elle ne correspond pas à ce qui existait.
Alain-Charles Perrot nous l’a confirmé : le comité scientifique a « décidé de se rapprocher des dessins [que l’on voit sur les gravures éditées par Mariette]. » « Au départ, il est vrai que ce n’était pas conforme à ces gravures. On a refait en totalité les socles, les parties hautes et retaillé les fûts, plusieurs maquettes et plusieurs mises en place ont été faites. Cela a été assez compliqué pour comprendre comment ces pots à feu avaient été réalisés avec [notamment] leurs pieds très particuliers. » « Par approches successives on est arrivé à ce résultat. » « Ces pots à feu ont effectivement une forme, une allure extrêmement bizarroïde » et celui-ci ajoute que « ce n’est pas ce que j’avais dessiné dans mon projet ».
- 5. Façade de l’Hôtel Lambert
avant les travaux de restauration
et la reconstitution des pots à feu
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Chacun peut juger du résultat, absolument désastreux malgré toutes ces adaptations. La taille disproportionnée des pots à feu et leur forme effectivement « bizarroïde » écrasent la belle façade de Louis Le Vau. La gravure est fausse, mais elle est au moins harmonieuse. La comparaison est d’ailleurs éloquente : il n’y a rien de commun entre ces dessins et la réalisation (ill. 3 et 4).
On se trouve donc, une fois de plus, devant une reconstitution des plus fantaisistes qui désormais va s’imposer à tous les amoureux de Paris. Et ceci n’est pas dû au propriétaire qui ne fait que suivre, en l’occurence, les Monuments Historiques qui une fois de plus ont cédé à leur goût presque atavique pour les reconstitutions hypothétiques que dénonçait Alexandre Gady dans notre dernière émission. La façade, même sans ses pots à feu (ill. 5), était belle et sûrement plus authentique qu’elle ne l’est désormais [1]. Elle est devenue ridicule. Victor Hugo a écrit que l’usage d’un bâtiment appartient à son propriétaire, mais que sa beauté appartient à tout le monde. C’est encore un peu de la beauté de Paris que l’on vient de nous voler. Heureusement, ce n’est pas irréversible : il est déjà temps de réclamer l’enlèvement de ces pots à feu.