Un article publié il y a trois jours dans La Tribune, sous la plume de Philippe D’Indevillers, nous apprend que l’architecte en chef des monuments historiques, Philippe Villeneuve, regrette que « l’archevêque de Paris a[it]refusé le retour de la couronne de lumière, grand lustre néogothique dessiné par Viollet-le-Duc, en dépôt à la basilique Saint-Denis, où il est suspendu au-dessus de l’autel. »
- 1. Placide Poussielgue-Rusand (1824-1889) d’après Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879)
Couronne de lumières
D. 350 cm
Paris, cathédrale Notre-Dame, photographiée ici dans la basilique Saint-Denis
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Nous avions déjà évoqué cette affaire du grand lustre de la croisée du transept (voir l’article) qui, après restauration, avait été déposé en 2014 dans la basilique Saint-Denis, alors qu’il s’agit, avec les douze lustres plus petits qui l’accompagnaient, d’un mobilier créé par Viollet-le-Duc spécifiquement pour Notre-Dame dans le cadre de sa restauration. Nous écrivions à l’époque : « le cardinal Lustiger avait poursuivi cet effacement de l’œuvre du grand architecte en envoyant en dépôt la couronne de lumière qui ornait la croisée du transept […], en supprimant la grille du chœur et en enlevant les candélabres et la croix du maître-autel ».
Dans un courrier daté du 3 février 1986 conservé à la Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie, l’inspecteur général des Monuments Historiques, Georges Costa, écrivait à propos d’une autre affaire concernant la cathédrale (le dépôt envisagé à Orsay du lutrin - ill. 2 - appartenant au même ensemble créé par Viollet-le-Duc) : « Je ne puis que déplorer la facilité inquiétante avec laquelle le clergé paraît être prêt à se débarrasser d’objets religieux - dont j’aimerais connaître la liste - sous le prétexte qu’ils ne servent plus, alors qu’ils appartiennent au patrimoine historique de la cathédrale ».
- 2. Placide Poussielgue-Rusand (1824-1889), d’après Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879)
Grand Lutrin de Notre-Dame
Orfèvrerie, bronze, fer doré
Paris, cathédrale Notre-Dame de Paris
Photographe non identifié - Voir l´image dans sa page
Près de quarante ans plus tard, ce triste constat n’est encore que trop d’actualité. Depuis, si le lutrin est resté à Notre-Dame (mais évidemment pas à son emplacement naturel, le chœur), le diocèse et en l’occurrence Mgr Lustiger, a poursuivi cette élimination du mobilier dû à Viollet-le-Duc. Et le nouvel archevêque, Mgr Ulrich, dont nous avons déjà à plusieurs reprises dénoncé ici le mépris qu’il porte au patrimoine, n’est pas en reste. Car contrairement à ce que nous a d’abord affirmé l’établissement public, c’est bien celui-ci qui s’est opposé à la réinstallation de la couronne de lumière dans Notre-Dame. C’était par ailleurs le diocèse (et donc Mgr Lustiger) qui, en 2004, avait demandé que celle-ci soit enlevée de la croisée du transept. Dix ans plus tard, après sa restauration, le ministère de la Culture, plutôt que d’imposer sa réinstallation, avait décidé de la transporter à Saint-Denis.
- 2. Placide Poussielgue-Rusand (1824-1889) d’après Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879)
Couronne de lumières
D. 350 cm
Paris, cathédrale Notre-Dame, déposé à la basilique de Saint-Denis
Photo : J. Gourbeix/Médiathèque de l’architecture et du patrimoine - Voir l´image dans sa page
La décision, datée du 5 mars 2014, a été signée, pour le préfet d’Île-de-France, par Dominique Cerclet qui était alors le conservateur régional des monuments historiques. Celui-ci osait écrire que : « le déplacement de la couronne de lumière et [des] douze lustres de la nef de la cathédrale Notre-Dame de Paris à la basilique Saint-Denis n’est pas de nature à porter atteinte au monument historique », ce qui n’étonnera pas outre mesure les lecteurs fidèles de La Tribune de l’Art [1]. Peut-être néanmoins voulait-il parler de la basilique Saint-Denis, à laquelle effectivement cette couronne de lumière ne porte pas atteinte ? Pour Notre-Dame, c’était bien la volonté du diocèse de la supprimer qui était à l’origine de son exil à Saint-Denis. Le clergé ne faisait d’ailleurs que poursuivre l’effacement progressif de l’apport de Viollet-le-Duc, qui avait touché également l’éclairage de la cathédrale. En effet, les douze lustres qui l’accompagnaient avaient été déplacés en 1903, au moment de leur électrification, sous les arches latérales de la nef.
Or, comme nous l’a confirmé l’architecte Philippe Villeneuve, un projet de réinstallation des luminaires a été proposé à l’occasion de la restauration de la cathédrale après l’incendie : « il s’agissait de remettre en place la couronne de lumière à la croisée du transept, huit lustres dans la nef et quatre dans le chœur, selon la disposition originale de Viollet-le-Duc » Et c’est bien le clergé qui s’y est opposé : « il ne veut pas de cette couronne de lumière, ni du retour des lustres dans la nef ».
Le diocèse nous a répondu que l’installation des lustres sous les arches latérales de la nef avait « libéré la pureté de la voûte gothique » et que ce sont « les décisions scientifiques et techniques des services de l’État en septembre 2021 [qui] n’ont pas conduit au repositionnement des lustres dans la nef et dans le chœur » Il ajoute que : « les services de l’État à qui appartient cette décision n’ont aucunement manifesté leur souhait de voir la couronne de lumière replacée dans la cathédrale après l’incendie. Il n’est donc pas apparu opportun au diocèse de replacer, seule, à la croisée, la couronne de lumière ».
- 4. Placide Poussielgue-Rusand (1824-1889) et Jules Dumoutet (1815-1880)
Couronne de lumière
Bourges, cathédrale Saint-Étienne
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Il s’agit, qu’on nous pardonne le terme puisque l’éclairage ne se fait plus à la bougie, d’un enfumage complet. Il s’agit bien d’un refus du clergé comme nous l’a confirmé Philippe Villeneuve. Celui-ci ajoute que cette raison ne tient pas, puisqu’à la cathédrale de Bourges une couronne de lumière est bien présente au niveau du chœur (ill. 4), ainsi d’ailleurs que des lustres dans la nef (ill. 5), sans que cela nuise en quoi que ce soit à la liturgie ni à « la pureté de la voûte gothique ». Faute de pouvoir justifier cette explication, le diocèse s’est d’ailleurs bien gardé de nous la donner, renvoyant à des raisons « scientifiques et techniques » purement imaginaires. Bien au contraire, toujours d’après l’architecte : « Il n’y a aucune raison technique pour refuser le retour de ces lustres et couronne de lumière ». Mieux encore, il n’y aurait aucune difficulté à mettre ce projet en œuvre : « Dans l’ancienne charpente, il y avait encore les poulies, et celles-ci ont survécu à l’incendie. Il serait assez facile, et peu coûteux de remettre en place les lustres dans la nef et la couronne de lumières à la croisée du transept avec le dispositif d’origine ».
- 5. Lustres dans la nef de la cathédrale de Bourges qui - quel miracle ! -
ne nuisent pas à la pureté de la voûte gothique...
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Cela serait facile, mais le clergé ne le veut pas, et l’établissement public ne souhaite surtout pas le contrarier. Car des sources concordantes (et bien informées) nous ont appris que le projet de restitution du dispositif original de Viollet-le-Duc, qui n’a jamais été soumis à la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, ne l’a même pas été au comité scientifique : celui-ci devait en effet lui être présenté, mais toute cette partie a été caviardée. Que ne ferait-on pas pour complaire au diocèse ?
Car si l’affectataire d’un édifice cultuel est, dans une certaine mesure, libre de modifier l’aménagement intérieur pour des raisons liées à la liturgie, il ne peut pas faire n’importe quoi sauf s’il est autorisé par le ministère de la Culture. C’est exactement ce qui est arrivé ici, d’abord en 2004 lorsque pour des raisons liturgiques obscures, le diocèse a décrété qu’une couronne de lumière à la croisée du transept n’était plus tolérable, puis en 2014 lorsque celle-ci a été envoyée à Saint-Denis (où cela ne semble gêner personne qu’elle vienne contrarier la « pureté de la voûte gothique »), et aujourd’hui où l’on pourrait restituer à l’ensemble la cohérence voulue par Viollet-le-Duc dont les travaux et les aménagements, nous ne cesserons de le répéter, sont classés monument historique.
Après tout, que le diocèse demande quelque chose, c’est son droit. Mais ce serait le devoir du ministère de la Culture de le refuser. Non seulement celui-ci pourrait classer les lustres et la couronne de lumières comme un ensemble indissociable, et il pourrait le faire in situ comme le code du patrimoine le rend possible depuis quelques années [2]. Par ailleurs, la décision de dépôt de la couronne à Saint-Denis prévoit explicitement dans son article 2 qu’« en cas de cessation du dépôt à la demande du clergé affectataire ou de l’État [3], la couronne de lumière sera déplacée et redéposée dans la cathédrale Notre-Dame de Paris ».
Le responsable une fois de plus est donc le ministère de la Culture qui, plutôt que de jouer son rôle de protection des monuments historiques, se soumet sans broncher aux diktats du diocèse. Ses explications sont d’ailleurs particulièrement spécieuses : il prétend en effet qu’ « il ne s’agit pas ici d’aller dans le sens d’une suppression des éléments créés par Viollet-le-Duc pour la cathédrale, puisque cet objet ne se trouvait plus dans l’édifice cinq ans avant l’incendie, et n’y occupait déjà plus, depuis 2007, son emplacement d’origine [4] ». Chacun pourra juger de la pertinence et de la bonne foi de cet argument.
Quant à la liturgie, prétexte qui avait suffi au clergé français pour mener dans les années 1960-1970 le pire vandalisme qu’ait subi le patrimoine religieux depuis la Révolution, on se permettra de dire qu’il s’agit d’une chose trop importante pour la confier au diocèse de Paris.