- L’incendie de Notre-Dame, le 15 avril 2019
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Nous n’avons cessé, depuis l’incendie de Notre-Dame, de dénoncer les évidentes carences du ministère de la Culture dans cette affaire, et notamment les nombreux dysfonctionnement qui se sont révélés le jour du drame. Et nous ne comprenions pas, comme nous le disions par exemple dans cet article, qu’aucune commission parlementaire ni aucune enquête interne du ministère n’ait été diligentée. La Cour des Comptes, dans le rapport qu’elle a rendu public aujourd’hui, ne dit pas autre chose : « La Cour considère très anormal que le ministère de la culture n’ait pas jugé utile, contrairement aux règles qui s’imposent à toute administration après une catastrophe grave, de lancer une enquête administrative. », s’étonnant aussi que le ministère ne se soit « porté partie civile que très tardivement, le 11 juin 2020, soit quinze mois après le sinistre et à l’issue du contrôle de la Cour. »
Plus grave encore peut-être : « La Cour a constaté, en outre, que le ministère n’a toujours pas organisé de retour d’expérience complet et approfondi avec toutes les parties prenantes concernées par l’incendie du 15 avril 2019, et pas seulement ses seuls services, pour tirer sur tous les plans toutes les leçons de cette catastrophe, ce dont le plan d’action « sécurité cathédrale » du 17 octobre 2019 ne saurait tenir lieu. L’incendie survenu le 18 juillet 2020 à la cathédrale de Nantes, dont la toiture avait déjà brûlé en 1972 lors d’un chantier de restauration, atteste, si besoin était, de l’urgence d’un retour d’expérience complet, approfondi et partagé. »
Là encore, la Cour rejoint ce que nous avons écrit à plusieurs reprises, et notamment dans cet article, à savoir que le ministère n’avait tiré aucune conséquence de cet incendie.
Sur d’autres points également, le rapport de la Cour des Comptes ne fait que confirmer ce que nous avions déjà souligné, à savoir par exemple le très insuffisant financement accordé à la cathédrale par l’État : « Ces montants [16 millions d’euros au total entre 2000 et 2016] étaient très loin d’être à la hauteur des responsabilités qui incombaient à l’État en tant que propriétaire au regard des enjeux posés par la dégradation de l’état de la cathédrale, qui exigeait des travaux urgents et importants. »
Parmi les remarques de la Cour des Comptes, on en note une autre qui avait d’ailleurs été évoquée dans le débat au Sénat : il n’est pas normal que l’établissement public (dont la création selon nous n’était pas nécessaire) soit financé par les dons qui, selon la loi, est destinée seulement à la restauration. Cela est doublement vrai. D’une part car un établissement public ne peut pas être « débudgétisé » comme c’est aujourd’hui le cas, et parce que « la loi ne prévoit pas le financement par les fonds collectés des frais de maîtrise d’ouvrage des travaux, mais apparaît limiter exclusivement leur emploi au financement de ces travaux proprement dits. ». À nouveau, dans cet article, nous écrivions ceci : « Les donateurs ont donné pour restaurer Notre-Dame, pas pour faire fonctionner un nouvel établissement public. »
Il est en revanche un autre point très anormal que nous n’avions pas vu et que note la Cour des Comptes : « Le refinancement par les dons de crédits budgétaires déconcentrés à la DRAC pour les travaux de Notre-Dame apparaît comme un pur effet d’aubaine, particulièrement discutable, alors même que les montants en cause (2,358 M€) étaient limités. » Cela signifie donc que le ministère de la Culture, qui accordait pourtant déjà peu d’argent à la restauration de Notre-Dame, a enlevé les crédits budgétaires non dépensés à la date de l’incendie, profitant ainsi d’un effet d’aubaine pour éviter encore davantage que l’État ne participe au financement des conséquences de l’incendie…
Selon la Cour, au 31 décembre 2019, les résultats de la souscription nationale s’élevaient à 834 756 000 €. Il est dommage que le rapport ne s’interroge pas sur l’utilisation de la part excédentaire probable après que les travaux seront terminés. Car il est peu probable que cette somme soit nécessaire pour la restauration complète de l’édifice, même si le budget de la sécurisation, initialement prévu à 65 millions, se montera finalement à 165 millions, un surcoût très élevé, explicable en partie par les multiples aléas subis par le chantier, dont la question du plomb et l’épidémie de COVID. Il faudra sans doute aussi que la Cour des Comptes s’intéresse un jour au coût réel de cette catastrophe pour l’État. Celui-ci, paradoxalement, devrait être assez faible. En effet, une grande partie des dons (même si le rapport est incapable pour l’instant de la chiffrer) ne seront pas déductibles, soit parce que les donateurs ne sont pas imposables ou qu’une partie de leur don dépasse le montant déductible, soit parce qu’ils sont étrangers, soit parce qu’ils ont renoncé à la déduction fiscale (comme plusieurs des grands donateurs). Et parallèlement, les travaux étant assujettis à la TVA, l’État devrait récupérer pas loin de 20 % du montant de la souscription, soit environ 160 000 000 €…
Un État peu soucieux de son patrimoine, qui porte de lourdes responsabilités dans ce drame en refusant toute enquête qui pourrait les révéler, et qui continue après l’incendie à se montrer mesquin… Tout cela n’est guère glorieux. Espérons que la nouvelle ministre sauvera l’honneur de ce ministère en déclenchant l’enquête demandée par la Cour des Comptes afin que les responsabilités soient enfin révélées au grand jour.