La cour de Bar revue par Yves Lion

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1. L’extension construite par Yves Lion
pour le Musée des Beaux-Arts de Dijon
dans la cour de Bar (après achèvement)
Photo : Didier Rykner
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Le 14 mai 2013, après une conférence de presse organisée par le Musée des Beaux-Arts de Dijon, nous avions écrit un article fort peu élogieux sur l’intervention d’Yves Lion sur la Cour de Bar, qui forme désormais le cœur de la partie du palais des ducs de Bourgogne dévolu au musée (ill. 1).

Monsieur Lion semble avoir une idée curieuse de la liberté de la presse. Un mois plus tard en effet, début juillet, nous avons reçu une lettre de ses avocats, nous menaçant des foudres de la Justice si nous ne retirions pas notre article. Celui-ci n’était pas du tout content [1].
Manifestement, Yves Lion ne connaît pas bien La Tribune de l’Art s’il pense qu’il peut nous censurer. Nous nous contentions de critiquer une réalisation publique, faite dans l’espace public avec de l’argent public. Mais puisque nous savions que nous aurions l’occasion de revenir sur ce sujet de manière plus complète à l’occasion de l’inauguration des nouvelles salles du musée, et ne voulant pas entrer dans d’éventuelles arguties juridiques pendant les mois d’été, nous avons enlevé notre article qui, de toute façon, avait été largement lu, et tout aussi apprécié si l’on en croit les nombreuses félicitations que nous avons reçues. On retrouvera celui-ci presque intégralement inclus dans les lignes qui suivent.

Il est vrai que nous avions critiqué non seulement sa construction sur la cour mais aussi son talent d’architecte en général. Et puisque Yves Lion veut des compliments, admettons que nous avions tort. En réalité, il s’agit probablement du plus remarquable architecte français vivant. On pourrait même dire qu’il est le plus grand architecte français de tous les temps. Michel-Ange, Bernin, Yves Lion... La liste des génies universels de l’architecture n’est pas si grande. Il en fait partie.
C’est pourquoi notre étonnement est immense et notre incompréhension complète face à la médiocrité de sa construction dijonnaise !

La cour de Bar est formée de bâtiments composites, entre le XIVe et le XIXe siècle. S’il fallait réellement créer une adjonction pour organiser de manière cohérente le circuit muséographique en rehaussant le bâtiment du XIXe qui n’a pas en lui même de caractère exceptionnel, cela aurait dû être fait de manière respectueuse et modeste.
Hélas, il fallait (c’est souvent le cas) faire un « geste architectural » et ce geste a été confié à Yves Lion dont les interventions sur les monuments historiques sont à notre sens particulièrement discutables. En témoigne, dans les années 1990, l’Hôtel Hénault de Cantobre, dans le Marais, devenu la maison de la photographie, où les menuiseries et planchers anciens ont été remplacés, et où a été démoli, sur la rue de Fourcy, le bâtiment de remise des carrosses qui fermait la cour [2]. C’était avant la naissance de La Tribune de l’Art, mais nous avons déjà dans ces pages parlé de constructions (ou de projets) plus récents, qu’il s’agisse du château de Blérancourt ou du square de la République à Poitiers.

2. Vue de l’adjonction construite par Yves Lion
sur la Cour de Bar du Musée des Beaux-Arts de Dijon
Vue le 9 octobre 2012
avant fin des travaux et pose du sol
Photo : Sarah Hugounenq
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Un tel architecte se doit de marquer fortement sa présence, sinon à quoi bon faire appel à lui. C’est donc une façade en cuivre sans aucune ouverture ailleurs qu’à sa base, détonnant à la fois par son volume, son matériau et sa couleur, qui vient s’imposer au visiteur. Lors de notre précédente visite à Dijon pour voir la très belle exposition Rude, cette aile était déjà construite et nous ne l’avions pas remarquée. Est-ce à dire que l’intervention, qui nous semble brutale, est en réalité tout en douceur ? Et non : tout simplement, la cour étant en travaux, nous étions persuadé d’être face à une palissade devant un échafaudage (ill. 2) ! Au mieux, elle ressemble à un panneau d’affichage publicitaire, sans publicité.
Rappelons que le palais des ducs de Bourgogne est un monument classé, qui se trouve dans un secteur sauvegardé. Que la DRAC ait pu autoriser une telle construction dans ce lieu, que la Commission nationale des monuments historiques (que l’on a, paraît-il, consultée) ait laissé faire en dit long sur une certaine déliquescence de l’application du Code du Patrimoine. Le ministère de la Culture veut voter une nouvelle loi à ce sujet, mais il devrait peut être d’abord faire respecter celles qui existent déjà. Qu’aurait-on dit à un particulier voulant faire un tel « geste architectural » sur un monument classé ?

Dans le dossier de presse, Yves Lion explique sans rire à propos de la confrontation architecture ancienne et interventions contemporaines : « il faut chercher à être sincère, à ne pas imiter, à accepter ces confrontations tout en étant polis avec nos prédécesseurs comme avec le public d’aujourd’hui ». Nous allons, pour répondre à son souhait, être sincère : ce projet n’est pas poli, il est carrément grossier. Il est vrai que pour défendre sa construction, l’architecte a eu, en mai dernier, un mot définitif : « des personnes très élégantes l’ont trouvé très beau » (sic). Un argument aussi peu convaincant que cette architecture.
Il est dommage que nous ne l’ayons découverte qu’après sa construction et nous regrettons de ne pas avoir suivi ce dossier de plus près. Il est pourtant clair depuis longtemps qu’on ne peut pas faire confiance au système actuel de protection du patrimoine.

3. Le nouveau sol de la cour de Bar
remplaçant les pavés par du béton incrusté de fonte
Photo : Didier Rykner
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En juin, nous n’avions rien dit du sol de la cour, car nous ne l’avions pas vu. Et bien aussi étonnant que cela puisse sembler, là encore Yves Lion a raté son intervention et cela aggrave son échec. Il est vrai que la cour de Bar était autrefois pavée. Paver une cour historique ! On aura décidément tout vu. Yves Lion lui a donc substitué une couche de béton, avec des inclusions de fonte. On jugera de son effet à notre avis très laid dans le petit film qui accompagne nos deux articles. On n’ose pas demander le prix d’une telle prouesse technique.

Voilà ce que nous avions à dire de la cour de Bar et nous le répétons. Si l’ego d’Yves Lion s’en est trouvé froissé, nous en sommes désolé, vraiment. Il peut, pour se consoler, lire notre critique du réaménagement intérieur sur lequel il est également intervenu et dont le résultat, s’il n’est pas parfait, est tout de même assez réussi.


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