La co-cathédale Saint-Jean-Baptiste de La Valette (1) : Caravage

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Si aujourd’hui les deux langues officielles de Malte sont le maltais (une langue dont l’écriture n’a été codifiée qu’au début du XXe siècle) et l’anglais (que les habitants parlent avec un très fort accent, parfois difficile à comprendre), l’Italien reste une langue parlée par une grande partie de la population de l’archipel. Ceci est logique, Malte ayant été longtemps lié historiquement à la Sicile et la péninsule, sous l’influence notamment de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, y furent essentiellement des artistes italiens, ou des locaux formés en Italie qui y furent actifs. La Valette, mais également d’autres villes plus petites, sont profondément marquées par l’art italien au point que l’on a parfois l’impression de se trouver dans ce pays.


1. Michelangelo Merisi, dit le Caravage ou Caravaggio (1571-1610)
Saint Jérôme, 1607-1608
Huile sur toile - 117 x 157 cm
La Valette, co-cathédrale Saint-Jean
Photo : Didier Rykner
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La co-cathédrale Saint-Jean de La Valette est certainement le lieu le plus important du patrimoine maltais [1], mais aussi celui où cette influence est la plus prégnante. D’abord, bien sûr, grâce aux deux tableaux du Caravage. Et ceci d’autant que les expositions monographiques qui se succèdent et finissent par mettre en danger ses œuvres trimballées sans répit un peu partout dans le monde, sont toujours privées de La Décollation de saint Jean-Baptiste, toile trop grande et trop fragile pour voyager, et même du Saint Jérôme qu’ils ne prêtent qu’avec une extrême parcimonie (ill. 1).
Ce dernier tableau a changé plusieurs fois d’emplacement. Commandé par un chevalier de Malte, Ippolito Malaspina, il fut après sa mort transféré dans la co-cathédrale, dans la chapelle de la langue d’Italie ; elle se trouvait au Musée de la cathédrale quand elle fut volée en 1984, puis retrouvée quatre ans plus tard. Ce musée étant actuellement fermé pour travaux, l’œuvre est exposée dans une salle spéciale où l’on entre par le côté de l’Oratoire.


2. Michelangelo Merisi, dit le Caravage ou Caravaggio (1571-1610)
Saint Jérôme, 1606
Huile sur toile - 112 x 157 cm
Rome, Galleria Borghese
Photo : Didier Rykner
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Saint Jérôme est un sujet fréquent dans la peinture caravagesque, mais on n’en connaît que trois versions [2] du Caravage lui-même dont deux en largeur : celle peinte pour Scipion Borghese en 1606, aujourd’hui conservée à la Galleria Borghese (ill. 2), et celle-ci qui ne lui est que peu postérieure. 
Si, comme le note Sybille Ebert-Schifferer dans sa récente monographie, « la comparaison […] en dit long sur l’évolution du peintre », et si son attitude semble fortement inspirée par la sculpture hellénistique, le Gaulois mourant, on remarque surtout l’absence d’auréole. Au saint figuré en train de traduire la Bible se substitue un vieillard méditant sur sa fin prochaine, dont seul le chapeau cardinalice accroché à gauche rappelle l’identité.


3. La Décollation de saint Jean-Baptiste à son emplacement
dans l’Oratoire de la co-cathédrale de La Valette
Photo : Didier Rykner
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La Décollation de saint Jean-Baptiste commandée par Alof de Wignacourt, se trouve sur le maître-autel de cet Oratoire situé au fond de la première chapelle à droite, à son emplacement d’origine (ill. 3). Il s’agit de la plus grande toile de l’artiste, terminée un an après son arrivée à Malte et inaugurée en juillet 1608, en l’absence du peintre qui avait dû fuir à nouveau, cette fois vers la Sicile, mis en cause dans une nouvelle affaire criminelle (il s’agissait cette fois d’une simple rixe, sans mort d’homme).
L’atmosphère du tableau n’est pas très éloignée de celle de La Vocation de saint Matthieu de Saint Louis des Français, peinte huit ans plus tôt. On hésite au premier abord à déterminer s’il s’agit d’une scène intérieure ou extérieure. La lumière incite à privilégier la première solution, mais le portail à gauche et la fenêtre grillagée à droite (qui rappelle la fenêtre de la Vocation avec ses volets curieusement ouverts vers l’intérieur de la pièce) situent pourtant cette scène plutôt dans une cour.
Contrairement au tableau romain, en frise, l’action de la Décollation est concentrée dans un quart du tableau, bien loin de l’horreur du vide dont témoignaient certaines des premières œuvres de l’artiste.


4. Michelangelo Merisi, dit le Caravage ou Caravaggio (1571-1610)
La Décollation de saint Jean-Baptiste, 1608
Huile sur toile - 361 x 520 cm
La Valette, co-cathédrale Saint-Jean
Photo : Wikimedia (domaine public)
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Nous ne pouvions faire autrement que de rappeler l’existence de ces Caravage, qui à eux seuls justifieraient une visite à Malte. Mais il serait injuste d’oublier toutes les richesses de cette co-cathédrale qui ne peuvent se résumer à ces deux toiles.
Car si celui-ci passa un an à Malte, sa production fut très réduite en nombre. En revanche, Mattia Preti qui fut l’un des grands peintres italiens du Seicento est présent partout sur l’île, et notamment dans cet édifice dont il a entièrement décoré la voûte et où il a laissé de nombreuses peintures. Nous verrons cela dans notre prochain article.

Didier Rykner

Notes

[1Cela ne saurait néanmoins justifier le prix d’entrée prohibitif de ce qui reste tout de même un lieu de culte : 15 €, ce qui par ailleurs allonge le temps de la file d’attente.

[2Nous avions écrit deux versions dans un premier temps, en écrivant trop vite et en oubliant celle de l’abbaye de Montserrat, près de Barcelone, comme nous l’a fait remarquer aimablement un lecteur.

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