- Roselyne Bachelot
Ministre de la Culture
Photo : MEDEF (CC BY-SA 2.0) - Voir l´image dans sa page
Cela n’aura pas échappé à nos lecteurs et certains s’étaient interrogés à ce sujet : nous avons bien accueilli Roselyne Bachelot lorsqu’elle a été nommée ministre de la Culture (voir la brève du 6/7/20). Par principe d’ailleurs (et les archives du site en font foi), nous avons toujours épargné les nouveaux ministres à leur arrivée car on ne sait jamais et nous ne pouvons pas les critiquer pour ce qu’ils n’ont pas encore fait (ou pas fait).
Mais pour Roselyne Bachelot, nous avons été plus enthousiaste (voir l’article), et nous espérions réellement qu’elle allait changer le fonctionnement de ce ministère en lui apportant enfin une vision. Il s’agit d’une vraie femme politique, qui connaît le fonctionnement des administrations (ce qui est un avantage évident tant l’inertie est forte), elle est cultivée (il est vrai essentiellement dans le domaine de l’art lyrique) et elle n’avait plus rien à perdre : étant retirée de la politique, ce retour apparaissait comme sa dernière chance de donner une bonne impression, d’être réellement utile et de servir l’État sans avoir à construire une carrière.
La déception n’en est que plus forte. Non seulement rien n’a changé, mais elle semble se complaire dans le renoncement. Nous avions d’abord blâmé son entourage (voir l’article). Mais au bout du compte, la responsabilité demeure celle de la ministre dont nous avions oublié qu’elle était l’une des responsables de la mise en réserve du Musée de l’Assistance Publique (voir la brève du 7/8/12). Et son bilan n’est guère brillant.
Soyons juste : certaines décisions positives peuvent être mises à son actif. Ainsi, elle s’était immédiatement rendu sur les lieux lors de l’incendie de la cathédrale de Nantes (voir les articles), elle a mis un terme - espérons-le définitif - aux velléités du clergé sur les chapelles de Notre-Dame (voir la brève du 24/11/20) et elle a appuyé la restauration à l’identique de la flèche ; enfin, elle a obtenu un excellent budget pour le patrimoine (voir l’article), même s’il faudra s’interroger sur sa répartition qui paraît favoriser ceux qui en auraient le moins besoin. C’est davantage que la plupart de ses prédécesseurs, mais cela reste très insuffisant. Il ne s’agit après tout que d’actions normales pour une ministre de la Culture. Cela ne compense malheureusement pas le reste. Les désillusions, pour ne pas dire plus, sont en effet énormes.
Sur le plan de la défense du patrimoine, la ministre a été, sauf pour Notre-Dame, en-dessous de tout. Les étangs de Corot ont été bétonnés sans qu’elle prenne le temps de se pencher sur ce sujet. La chapelle de Lille fut impitoyablement détruite (voir les articles). L’enceinte du parc de Saint-Cloud, domaine national classé qui dépend directement de son ministère, a été en partie abattue (voir les articles). Les menaces de destruction, un peu partout en France, sont innombrables et nous recevons plusieurs alertes par jour sans qu’une volonté bien claire de mettre un terme à ce vandalisme ait jamais été exprimée. Même des promesses pourtant faciles à tenir ne l’ont pas été : on attend toujours le passage en Commission nationale du patrimoine et de l’architecture du Conservatoire national d’art dramatique (voir les articles), on ne voit rien venir pour l’abbaye Saint-Vaast d’Arras (voir les articles) et la Cité-jardin de la Butte-Rouge est toujours aussi menacée (voir l’article).
Nous ne parlerons pas ici de son inefficacité dans la crise du Covid. Alors que la fréquentation des musées est reconnue par tous les scientifiques (et par une étude allemande récente) comme très peu dangereuse pour la circulation du virus, la France va sans doute être le pays record de la durée de leur fermeture. Alors que l’on parle de reconfinement, on comprend bien que ce n’est pas demain qu’ils rouvriront. Même si certaines régions d’Italie referment leurs musées, au moins ceux-ci ont-ils rouvert. En France, ils vont entamer au moment de la parution de cet article leur 139ème jour de fermeture. Même les Britanniques, qui menaçaient de faire pire (la réouverture est prévue en mai, mais leurs musées ont fermé un mois et demi après les nôtres), seront sans doute meilleurs que nous. Les musées publics français ne sont heureusement pas menacés de mettre la clé sous la porte ni de vendre leurs collections mais la ministre n’y est pour rien, elle bénéficie du système. La véritable exception culturelle française dans cette crise, celle qui aura lieu sous le ministère de Roselyne Bachelot, ce sera bien cette durée record de fermeture. Ce qu’elle a dit samedi dernier pour les salles de cinéma (voir cet article) : « Nous sommes en train de bâtir avec la filière les conditions de réouverture des salles », elle le répète depuis des mois aussi pour les musées. Comme s’il fallait des mois pour imaginer ces protocoles qui sont au contraire prêts depuis longtemps…
Nous terminerons avec un scandale dont Roselyne Bachelot est seule responsable, mais sur lequel elle peut encore revenir : son soutien incompréhensible au président-directeur du Louvre, Jean-Luc Martinez. Que celui-ci, grâce à une presse complaisante, réussisse à faire campagne en faisant croire que les attaques qu’il subit ces dernières semaines seraient des « boules puantes » ou des « insinuations malveillantes » est une chose. Que la ministre feigne d’ignorer que tout cela repose en réalité sur des faits, qui ne lui sont pas seulement signalés par nos articles mais par un nombre considérable de personnes, y compris au sein du Louvre, et qui sont très faciles à démontrer, en est une autre.
On a, certes, l’habitude d’un ministère de la Culture peu rapide à faire le ménage chez lui. On se rappelle du temps qu’il avait fallu - et nous ne citerons que cet exemple, alors qu’il y en aurait beaucoup d’autres - pour que, malgré d’innombrables scandales eux aussi bien connus du ministère, Guy Cogeval soit exfiltré de la présidence du Musée d’Orsay (voir l’article). Comme une espèce de caste à part, cette administration protège les siens, jusqu’au bout. Que Roselyne Bachelot se prête à un tel procédé est incompréhensible. La nomination du directeur du Louvre dépend du président de la République et l’on sait que celui-ci ne souhaite pas renouveler Jean-Luc Martinez. Il faut espérer que la campagne effrénée de ce dernier et le soutien appuyé de la ministre de la Culture ne lui profitent finalement pas. On imagine qu’Emmanuel Macron puisse sûrement avoir d’autres chats à fouetter en ce moment. Raison de plus : veut-il risquer les conséquences d’une (re)nomination aussi contestable tant les dossiers gênants se sont accumulés, ou préfère-t-il apaiser le Louvre, une des vitrines de la France (aujourd’hui très déconsidéré dans les musées étrangers) et lui rendre enfin la sérénité qui devrait être toujours la sienne ?
Il ne lui aura donc pas fallu neuf mois pour décevoir le monde des musées et des monuments historiques qui était pourtant, comme nous, plein d’espoirs lors de sa nomination. Il lui reste un peu plus d’un an pour redresser la barre. Nous n’y croyons plus. Nous ne prenons plus que le risque d’être surpris.