Depuis la fin de l’année dernière, nous avons tenté à plusieurs reprises d’en savoir plus sur le « projet scientifique et culturel » du Musée des Beaux-Arts de Valenciennes dont une version courte est en ligne ici. Faute d’obtenir une réponse du musée, nous l’avons appelé pour avoir connaissance du PSC détaillé. On nous a répondu qu’il fallait nous contenter de ce résumé. C’est donc ce que nous avons fait.
- 1. Le Musée des Beaux-Arts de Valenciennes, façade principale
Photo : Szilas (CC BY-SA 4.0) - Voir l´image dans sa page
- 2. Les verrières du Musée des Beaux-Arts de Valenciennes
Photo : T. Douvry/Ville de Valenciennes - Voir l´image dans sa page
Le bâtiment (ill. 1), en effet, est en travaux pour rénovation. Que celui-ci soit en mauvais état et ait besoin d’une restauration, notamment les verrières (ill. 2), ne nous semble ni discutable, ni critiquable. Pour cette raison, nous ne nous étions pas inquiété davantage de ce chantier. Mais manifestement, à en croire le projet, celui-ci va bien au-delà d’une réfection du bâtiment : il consiste à changer radicalement le musée pour le transformer en autre chose, dont l’objectif n’est plus de présenter au mieux ses collections, mais de créer un « musée carrefour », « un musée vivant » « qui se (re)tourne vers la vivacité de l’art en train de se faire » (sic), un « musée pluriel », et enfin un « musée ouvert » (car chacun sait qu’avant sa fermeture, le musée de Valenciennes était déjà un musée fermé…).
Bref : toute la vacuité du discours contemporain autour des musées promet d’entrer à Valenciennes par la grande porte (ou plutôt par la porte arrière, puisque l’entrée se fera désormais par l’autre côté de l’édifice) comme un examen plus attentif de ce projet « scientifique et culturel », qui n’a pas grand chose de scientifique ni de culturel, peut le démontrer.
- 3. Le Musée des Beaux-Arts de Valenciennes, façade arrière, future entrée
Photo : Pierre André (CC BY-SA 4.0) - Voir l´image dans sa page
Tout d’abord, le « Musée des Beaux-Arts » ne s’appellera plus ainsi. « Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots » disait Jaurès. Désormais, on change les mots, mais c’est pour mieux ensuite changer les choses. Quel gros mot en effet que « beaux-arts », n’est-ce pas, pour un musée ! On comprend peut-être mieux pourquoi l’entrée sera à l’arrière : car si à l’avant (ill. 1) est écrit sur le fronton « Musée des Beaux-Arts » (quelle horreur !), cette précision est absente de l’autre côté (ill. 3) !
Ce musée, qui ne sera plus désormais « des Beaux-Arts » ne pourra pas non plus être résumé à un « lieu de conservation ». Car c’est aussi un « lieu de vie » (c’était déjà un musée vivant, mais il n’y a jamais assez de vie dans un musée), un « lieu de rencontres », un « lieu d’échanges et de loisirs ». Le musée devra donc être rebaptisé d’un nouveau nom « qui portera ces idées de musée-lieu de vie, musée engagé, ouvert à tous et au monde, aux collections plurielles et vivantes ». Nous risquons d’être rapidement à court de « sic ».
Ensuite, pour parler au grand public, pas question de vouloir l’instruire pour qu’il trouve plaisir à venir au musée. Certainement pas. Ce qu’il faut, c’est « répondre à des attentes, des envies, des besoins ». Et ces « attentes », ces « envies », ces « besoins », ce n’est manifestement pas de voir des œuvres dans les meilleures conditions possibles ! Au diable le musée, il va falloir s’adapter et devenir un « endroit sonore et festif plutôt que silencieux et solennel ». Il faut que « le désir de repos, de confort [soit] considéré comme aussi essentiel et légitime que la soif d’apprendre et le plaisir de contemplation ».
S’il ne s’agissait que de l’installation d’assises confortables dans les salles pour pouvoir contempler les œuvres, nous applaudirions comme nous l’avons fait récemment au Musée des Beaux-Arts de Rouen (voir l’article). Mais il est question de beaucoup d’autres choses ici : d’« espace de détente » et d’« espace d’expression libre ». Les œuvres ne sont plus du tout au cœur du projet. Il faut : « faire du musée un lieu de curiosité, de tolérance, un musée-laboratoire (sic) ».
Et là vient l’un des points essentiels du projet, qu’il nous faut bien appeler par son nom : le wokisme (à vrai dire, on le sentait venir). Que lit-on en effet dans ce projet « scientifique » et « culturel » ? Que « le musée porte la conviction que les œuvres et les artistes du passé sont d’actualité et ont quelque chose à nous dire sur les questions sociales contemporaines. Genre, sexualité, santé, travail, économie, environnement, migrations sont autant de thématiques qui peuvent être abordées par le prisme des œuvres afin d’ouvrir le débat ».
La suite est à l’avenant, comme on peut s’en douter. Les mots n’ont plus aucun sens, ou plutôt ils en ont trop. C’est ainsi que le « musée de Valenciennes souhaite revendiquer une démarche pluridisciplinaire, qui "mélange les genres" pour mieux s’ouvrir à la pluralité de ses collections » et que « le musée est un lieu où chaque personne […] peut entrer en émotion (sic) avec [les œuvres] ».
Mais quel est l’objectif ? Il est : « de favoriser une approche ludique et décomplexée du patrimoine, qui rende légitime toute façon d’entrer dans les œuvres et de se les approprier ». Et pour cela, le musée « souhaite faire appel à la diversité des outils de médiation pour offrir une expérience de visite différente, décalée, où l’art ne s’adresse pas qu’à l’intellect, mais bien aux cinq sens ! Immersion numérique, ambiances sonores, archéologie du goût, matériauthèque, galerie tactile, costumes et déguisements sont autant d’expériences à inventer au sein du parcours de visite ». Le Musée des Beaux-Arts d’Anvers (voir l’article) n’a qu’à bien se tenir, il pourrait bien avoir trouvé là son maître.
Car tout cela n’est pas terminé. Pour « inclure de manière plus active le public », « être dans l’interaction », « expositions participatives, mur d’expression libre, cartes blanches pour investir les salles du musée, ne sont que de premières idées pour favoriser la participation de tous les publics ». Et les autres idées « aux visiteurs de [les] trouver » ! Et en plus - on s’en doutait - le musée s’inscrira « dans une démarche éco-responsable active ». Il n’aurait plus manqué qu’on en fasse un musée polluant.
- 4. Le « Salon Carpeaux » en 2011
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
- 5. Le « Salon Carpeaux » en 2011
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Le projet « scientifique » et « culturel » nous donne ensuite une idée de l’intérieur de ce qui deviendra donc (nous résumons) un lieu de vie ludique, participatif et de rencontre, avec immersion numérique, sonore et festive, s’intéressant au genre et éco-responsable. Bizarrement, le terme « inclusif » n’est jamais mentionné. C’est ballot.
Le cœur du musée, c’est-à-dire la grande salle entre les deux ailes, qui jusqu’ici se contentait bêtement d’exposer remarquablement bien un grand nombre de sculptures notamment par Jean-Baptiste Carpeaux (ill. 4 et 5), l’enfant du pays, sera « repensée comme un lieu de vie, une agora ». Il y en avait déjà moins (ill. 6 et 7), mais cette fois, plus question d’œuvres de Carpeaux, ou alors très peu. Car il s’agira ici de « se reposer, discuter, échanger et aussi assister à des conférences, des ateliers, des spectacles. Des assises, des tables, du mobilier pour pouvoir mettre à disposition des livres et des jeux seront à imaginer. Une partie de l’espace sera consacrée à la méditation et à la création ». On se doute que dans ces conditions, le nombre de sculptures sera très faible car on ne voit pas comment tout cela serait compatible avec leur conservation. Il est vrai que c’est encombrant ces plâtres !
- 6. Le « Salon Carpeaux » (2015)
Photo : Chatsam (CC BY-SA 3.0) - Voir l´image dans sa page
- 7. Le « Salon Carpeaux » (2017)
Photo : Patrick (CC BY-SA 2.0) - Voir l´image dans sa page
Vient ensuite la description du « parcours de visite des collections permanentes », ce qui confirme que la « place Carpeaux » n’est plus incluse dans ce parcours. Mais même le terme parcours semble déranger car il sous-entend une notion de logique, de progression : « plus qu’un parcours, il s’agit d’une visite libre sans cheminement imposé, une visite-balade ». Viens, on va se balader au musée. « Chaque salle évoque une thématique de façon transchronologique où dialoguent toutes les disciplines artistiques ». Fini l’organisation bêtement classique avec, par exemple, une salle réservée aux Flamands du XVIIe (ill. 8) et une autre à la peinture française du XIXe (ill. 9). Plus question d’essayer d’instruire ou d’éduquer le visiteur en lui montrant des œuvres d’art et en lui expliquant ce qu’elles signifient, à l’exception d’une portion congrue sous la coupole de Lucien Jonas représentant les grands artistes valenciennois. On montrera ici une « petite histoire de l’art » (car une grande histoire de l’art, ce serait sans doute trop) pour donner des « clés de lecture aux visiteurs ». Et très fièrement ils insistent : « c’est le seul espace du parcours qui sera chronologique ». La chronologie, qui permettrait de comprendre un peu, voilà l’ennemi.
- 7. La salle des Flamands du XVIIe siècle (2017)
Photo : Chatsam (CC BY-SA 3.0) - Voir l´image dans sa page
- 8. La salle du XIXe siècle (2017)
Photo : Chatsam (CC BY-SA 3.0) - Voir l´image dans sa page
Vous savez donc à peu près tout de ce projet honteux, qui manifestement a été validé par la DRAC, donc par le ministère de la Culture. Il n’est pas trop tard pour qu’ils l’amendent sérieusement, les travaux venant à peine de commencer.