L’Évangéliaire de Saint-Mihiel : une nouvelle défaite du patrimoine français

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C’est un des manuscrits médiévaux les plus importants au monde. L’évangéliaire de Saint-Mihiel avait été classé trésor national le 1er mars 2020. Il était en effet, selon l’avis de la Commission consultative des trésors nationaux, « l’un des plus beaux témoins de l’ultime période de création de l’école de Reichenau ». Rien n’est passé d’équivalent en vente publique depuis le début du XXe siècle au moins. Il appartenait à l’Université catholique de Lille (la Catho) qui voulait le vendre, officiellement parce que sa conservation était trop complexe.


Reichenau Abbey, c. 1100
Irmengarde and Werner offering a book to Christ, illumination from the Evangeliary of Saint-Mihiel
Photo : Wikipedia (Public domain)
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En réalité, la sensation d’avoir été mené en bateau par cette institution à laquelle nous nous étions adressé pour enquêter sur les deux scandales qui la concernaient (la destruction de l’église Saint-Joseph et la vente de cet évangéliaire - voir l’article) est très forte. Car l’œuvre n’a pas été cédée à un privé européen, mais finalement au Getty Museum (probablement via Jörn Günther à Bâle, qui fournit les photographies au communiqué du Getty), qui vient de l’annoncer fièrement [1] (il y est appelé l’Irmengard Codex, du nom de son commanditaire). Et si nous ne connaissons pas le prix de vente, celui-ci semble être extrêmement élevé. Les marchands du Temple ne sont plus hors de l’Église, ils sont désormais dans l’Église. Et la responsabilité de l’archevêché de Lille (l’archevêque est désormais celui de Paris) est immense, comme celle de la Catho, qui a préféré vendre ce manuscrit pour récolter un maximum d’argent plutôt que de privilégier son maintien en France.

Une fois de plus donc, un trésor national majeur sort de notre pays. Le ministère de la Culture est également responsable, bien entendu, sachant qu’il ne s’agit pas ici de la Direction générale des patrimoines, mais du Service du livre et de la lecture, qui dépend de la Direction générale des médias et des industries culturelles. Une direction et un service, on le comprendra aisément, qui se moquent comme d’une guigne du patrimoine, ce qui pose une fois de plus (nous y reviendrons), la question du rattachement de la Bibliothèque nationale qui est en réalité, pour une grande partie de son fonds, un musée.

La Bibliothèque nationale elle-même n’a donc pas su mobiliser autour de ce chef-d’œuvre. A-t-on une seule fois entendu la présidente de l’établissement public s’exprimer sur ce sujet ? Une recherche sur Google [2] répond immédiatement à cette question : non, évidemment. Accaparée par d’autres acquisitions davantage dans ses moyens, la Bibliothèque a-t-elle seulement cherché à le faire ? Il nous est permis d’en douter plus que fortement. Nous allons désormais enquêter de manière approfondie sur les raisons de cet échec majeur, un de plus, de la politique culturelle française. À quoi bon classer quelques rares objets « trésor national » si on ne fait rien pour les acquérir ? Tout cela, une fois de plus, est révoltant.

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