L’agrandissement du Musée de Picardie suscite des inquiétudes

1. Musée de Picardie d’Amiens
Façade avec sa grille d’honneur
État actuel
Photo : Didier Rykner
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En partie fermé depuis plusieurs années (tout le premier étage) car le bâtiment connaît de graves désordres qui menaçaient les œuvres, le Musée de Picardie devrait bientôt bénéficier de travaux de remise en état (et aux normes) et de la construction d’une extension (architectes : Frenak et Jullien).
Si ces travaux sont absolument indispensables, et n’ont déjà que trop tardé, si la nouvelle construction, édifiée à l’arrière du bâtiment d’origine, ne menacera pas son intégrité ni son environnement, on peut en revanche se demander quel sort sera réservé à sa façade (ill. 1).

L’inquiétude [1] est d’autant plus justifiée que le musée est lui-même une œuvre d’art et un témoignage précieux de la conception qu’on se faisait d’un tel édifice au milieu du XIXe siècle (il s’agirait du plus ancien musée français construit spécifiquement pour cette fonction). L’architecte Henri Parent, vainqueur d’un concours organisé en 1853, fut incité à modifier ses plans en s’inspirant également de certains des projets concurrents. Après sa démission au début des travaux, il fut remplacé par plusieurs architectes qui menèrent la construction jusqu’à sa fin. Pierre Puvis de Chavannes peignit le décor du grand escalier et le musée fut inauguré en 1864. En 1890, un grand salon (où sont présentés les grands formats) remplaça la cour intérieure et deux galeries furent construites au rez-de-chaussée et au premier étage [2].
L’intérêt évident de cet ensemble, largement conservé dans son état originel malgré l’adjonction, en 1992, d’un décor de Sol Lewitt (discutable dans cet environnement XIXe), a été reconnu par diverses mesures de protection : une inscription des façades, des toitures et des peintures murales de Puvis de Chavannes dès 1975, une inscription totale du bâtiment (jusqu’aux murs de clôture) en 2009, puis un classement de l’ensemble du bâtiment en 2012.


2. Façade du Musée de Picardie
État du projet début 2013
© Frenak et Jullien
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Ce classement récent rend d’autant plus incompréhensible la partie du projet (ill. 2) concernant la façade (y compris le jardin et la grille). Même s’il a subi des changements récents, il reste tout-à-fait contestable puisqu’il vise à modifier radicalement ces éléments, partie intégrante de l’architecture.

Plusieurs points sont inacceptables non seulement parce qu’ils dénatureraient profondément un monument classé, mais aussi parce qu’ils impliqueraient des travaux coûteux dont on comprend d’autant moins l’intérêt dans un contexte budgétaire difficile :

3. Grille du Musée de Picardie
État du projet début 2013
(le soubassement de la grille est supprimé,
la porte centrale est enlevée,
les parties latérales sont coulissantes...)
© Frenak et Jullien
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- Au départ, le projet prévoyait purement et simplement la disparition de la grille ; désormais, celle-ci reste en place, mais tellement modifiée (ill. 3) que le vandalisme ne serait pas moindre. Il est en effet prévu de supprimer son soubassement (ce qui abaissera l’ensemble de 50 cm, obligeant d’ailleurs à mutiler le portail central [3]) et de placer les extrémités sur roulettes afin de pouvoir ouvrir des passages à droite et à gauche ; ceci est tout simplement grotesque, la grille faisant partie de la composition architecturale au même titre que le bâtiment et étant d’ailleurs tout autant protégé.

 Au départ, le projet prévoyait de remplacer les deux bassins du jardin (actuellement masqués par des planches) par un « jardin d’eau miroir » ; selon la note d’intention du projet, ce jardin miroir, « véritable événement urbain », « convoque en un même plan l’eau, le ciel, les exèdres, la façade du musée, ses lumières, pour une nouvelle lecture du lieu ». Ce type de prose lyrique cache toujours une grande faiblesse de conception. S’il n’est plus désormais question d’un plan d’eau unique, on n’en est tout de même pas très loin. Les bassins existants seront conservés mais noyés (à l’exception des lions ailés qui les décorent), la majeure partie du jardin sera remplacée par de l’eau, des cheminements permettant aux visiteurs de traverser le plan d’eau latéralement (ill. 4 et 5). Une fois de plus, on nie la composition du XIXe siècle classée monument historique.


4. Façade du Musée de Picardie d’Amiens
Etat du projet début 2013
(miroir d’eau, terrasse, percement de portes)
© Frenak et Jullien
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5. Projet de plan d’eau devant le musée
On voit les deux anciens bassins noyés
En gris, les passages hors d’eau
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 Au départ, le projet prévoyait d’installer une terrasse le long de la façade du musée (ill. 6), supprimant ainsi les marches de l’entrée et masquant la base ; à l’arrivée aussi. Le projet tel qu’il est actuellement défini diminue seulement de 50 cm la hauteur de cette terrasse. Inutile de dire que cela modifiera profondément l’équilibre de la façade classée monument historique. La terrasse, selon Sabine Cazenave, « ne viendra pas s’installer contre le stylobate ; elle remplacera le perron mais celui-ci ne sera pas détruit, et le tout sera réversible ». La réversibilité de ce type de travaux, est-ce bien sérieux ?


6. Détail de la façade du Musée de Picardie
Dans le projet actuel, les fenêtres sont transformées en portes,
une terrasse noiera la base, les marches disparaîtront
Photo : Didier Rykner
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7. Détail d’une façade latérale du Musée de Picardie
On voit que les allèges sous les fenêtres, que le projet
actuel prévoit de supprimer sur la façade principale
est un décor se retrouvant sur tout le monument
Photo : Didier Rykner
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 Au départ, le projet prévoyait de supprimer les allèges des baies de droite du rez-de-chaussée de la façade, afin de créer des portes. C’est toujours le cas, et ces allèges doivent également être supprimées sur les baies de gauche, sans doute pour une question de symétrie. Ici, on s’attaque à un décor de la façade (classée) qui est pourtant un de ses éléments importants, que l’on retrouve d’ailleurs sur tous les côtés du bâtiment (ill. 7).

On constate donc que la façade du musée et son jardin, si ce projet n’est pas amendé, seront entièrement dénaturés. Nous avons souhaité savoir ce qu’en pensait la DRAC de Picardie : nous avons reçu une réponse d’une langue de bois admirable (rien n’est définitif à ce stade, et « la DRAC accompagne d’un point de vue technique le projet, comme elle le fait pour chaque Monument historique engagé dans des travaux et pour chaque zone des abords d’un Monument Historique ») qui n’augure rien de bon.

Pourquoi la directrice du Musée d’Amiens, Sabine Cazenave, souhaite-t-elle de telles modifications ? Nous avons pu la rencontrer mais n’avons pas été convaincu par ses explications :

 L’enlèvement du muret de la grille : si on le laissait, on ne pourrait plus installer de système coulissant. Mais pourquoi ce système ? Car « on a besoin d’ouvertures latérales plus grandes pour laisser entrer les groupes scolaires » ! L’explication laisse perplexe : les groupes scolaires ne pourraient donc pas entrer par le portail central qui serait trop étroit (ill. 1) ? Sabine Cazenave aurait pu ajouter qu’avec la création du miroir d’eau, qui empêche d’entrer de face dans le musée, il est nécessaire de passer par les côtés. Mais pourquoi installer ce miroir d’eau ? Nous n’avons pas de réponse claire à cette question, sinon « de proposer une réinterprétation contemporaine d’une figure emblèmatique des jardins à la française : le bassin d’apparat » comme on le lit aussi dans la « note d’intention » déjà citée...

 la terrasse et le percement de fenêtres à droite de la façade ? Ceci n’a qu’une justification : permettre une utilisation de plain-pied par le café-restaurant qui sera installé dans l’ancienne chapelle. Explication, là encore, irrecevable : d’une part on ne dénature pas un monument historique pour installer un café, mais surtout, il peut l’être sans qu’une terrasse soit indispensable ; si l’on veut absolument que des consommateurs puissent s’installer à des tables dehors, rien n’empêche de le faire dans le jardin, en contrebas, devant la façade, ce qui obligera seulement les serveurs à un trajet un peu plus long. Rien qui soit insurmontable.

Sabine Cazenave a également prétexté des questions d’accessibilité aux handicapés (une rampe sera installée pour accéder à la terrasse) ; là encore, un prétexte irrecevable puisque des entrées handicapées existent déjà à l’arrière du bâtiment et qu’on pourra en aménager dans le nouveau bâtiment destiné à devenir l’entrée du musée...

La directrice du Musée de Picardie s’est inquiétée de l’impact que pourrait avoir notre article critique sur le lancement d’un chantier qui n’est pas encore définitivement décidé par la municipalité. Soyons clair, pour conclure : nous partageons sa préoccupation pour le musée et son diagnostic sur le caractère indispensable des travaux. L’essentiel du projet, qui prévoit par ailleurs une restauration respectueuse des salles, la remise aux normes de l’édifice, la restauration des verrières et un retour de la lumière naturelle, est excellent ; si l’on peut avoir quelques doutes sur la qualité architecturale de l’aile contemporaine (elle devrait être encore modifiée), cela n’est pas très grave car son gabarit la rend assez discrète.

Bref, la mairie d’Amiens doit valider ce projet qui permettra à son musée de redevenir l’un des premiers de France, tout en se modernisant, mais elle doit refuser des travaux inutiles, qui le dénatureraient. Et si le musée persistait dans ses intentions, la DRAC devrait prendre ses responsabilités, et faire respecter le classement monument historique, paradoxalement initié par Sabine Cazenave.

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