L’Adoration des bergers, un chef-d’œuvre rembranesque de Benjamin Gerritsz. Cuyp pour Amiens

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La quasi renaissance du musée d’Amiens, l’un des plus considérables de France, n’a eu lieu, après huit ans de travaux, qu’en février 2020, juste en marge du contrariant covid, lequel, on s’en doute, n’aura guère facilité la résonance médiatique de l’événement [1]. Cela dit, une telle monstrance nous réservait, on s’en doute, quelques heureuses surprises. Pouvait-il d’ailleurs en être autrement ? Comment imaginer que des conservateurs de musée ne soient pas aussi et même d’abord des historiens d’art susceptibles de trier et honorer, disposer et réencadrer si besoin est, faire restaurer, étudier et documenter, cataloguer et attribuer (une double opération souvent), commenter et expliquer, augmenter à l’occasion et ce, malgré les difficultés du temps, les avoirs de leurs collections, lesquelles sont désormais comme à Amiens très vertueusement réexposées [2] ?. Qu’il nous soit permis au passage de tancer l’actuelle mode, incroyablement débridée, de l’expositionite qui ne saurait (et ne devrait !) jamais constituer l’alpha et l’oméga de la vie et de la réalité des musées ! La réouverture d’Amiens, toute axée sur l’essentiel et le permanent, a vraiment quant à elle du bon et même plus que du très bon !


1. Benjamin Gerritsz. Cuyp (1612-1652)
L’Adoration des bergers
Huile sur panneau - 92 x 70 cm
Amiens, Musée de Picardie
Photo : Musée de Picardie
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Aussi bien voudrions-nous parmi les nouveautés bienvenues du réaccrochage, spécialement attirer l’attention sur l’Adoration des bergers de Benjamin Gerritsz. Cuyp (1612-1652) jamais montrée au public jusqu’à maintenant (ill. 1), de ce Cuyp qui est l’un des membres de l’illustre famille des peintres de ce nom à Dordrecht, laquelle se distingue notamment par Jacob Gerritsz., un demi-frère d’une génération plus ancienne (1594-1651), et par le neveu de Benjamin, Aelbert (1620-1691), le seul des Cuyp qui soit aujourd’hui vraiment célèbre.
Donné au musée de Picardie en mai 2011 par les enfants [3] de Jacques Foucart-Borville [4] (1912-2005), cet érudit et historien d’art et d’histoire si attaché à Amiens, singulièrement à l’étude de la cathédrale et du musée comme à tout le passé de la région, ce tableau sans autre provenance connue que directement familiale depuis le XIXe siècle [5] n’avait pu être exposé à temps pour la réouverture du musée du fait d’une restauration achevée seulement en mai 2020 [6], par le fait d’un retard dû cette fois encore au fâcheux covid…
Dans la foisonnante (et fascinante !) galerie des peintres d’histoire du Siècle d’or néerlandais, au premier chef les Rembranesques, qu’ils soient ou non de vrais élèves de Rembrandt ou simplement des artistes manifestement influencés par le maître, ce qui représente un considérable élargissement de la curiosité et de l’histoire de l’art au cours de ces dernières années [7], émerge justement l’attachant Benjamin Cuyp, peintre d’histoire et de genre aussi savoureux que prolifique qui ne mérite certes plus d’être relégué loin derrière les autres Cuyp précédemment cités, tels Jacob, probe portraitiste, et le fils de ce dernier, Aelbert, l’enchanteur paysagiste et lui aussi peintre d’histoire sacrée, comme le prouve au musée d’Amiens une belle acquisition effectuée en1984 [8]).
Benjamin Cuyp pourrait même être surnommé en quelque sorte le maître des Adorations des bergers et accessoirement celui des Annonces aux bergers, tant il en a multiplié les évocations, succès qui a sans nul doute entraîné des répétitions, copies, imitations, pour raisons commerciales, ainsi que l’a établi la spécialiste hongroise du peintre, Ildikó Ember, dans une ample et novatrice étude monographique, quasi un catalogue sommaire (provisoirement !) complet de l’œuvre peint de cet artiste qui fut longtemps minoré. Dans ce travail publié en 1979 et 1980 [9], le tableau désormais à Amiens était alors recensé sous le n° 58 chez Jacques Foucart [-Borville] [10].

Sur une bonne centaine – 123 à peu près – de peintures d’histoire sacrée (essentiellement Ancien et Nouveau Testament) que Ildikó Ember retient comme authentiques, on compte quelque trente Adorations des bergers dont plusieurs déjà dans des musées à la date de la publication de ce corpus (par exemple à Berlin, Bremen, Bordeaux, Dessau, Dordrecht [11], Gateshead, Madrid, Mannheim, Poitiers, Roanne, Utrecht, etc.), treize Annonces aux bergers, un thème connexe qui se prête lui aussi à des frappants effets d’éclairage [12], dix Adorations des Rois mages, sans compter nombre de sujets tirés de la vie du Christ, spécialement L’Ange soulevant la pierre du sépulcre et La Résurrection de Lazare, avec ce goût si affirmé pour les rayonnements de lumière théâtraux (ainsi à Lille, Stockholm, Dordrecht ou Budapest pour l’Ange au sépulcre, à Valenciennes ou à Augsbourg pour la Résurrection de Lazare), et l’on se doute que bien d’autres peintures de Cuyp sur de tels sujets sont apparues depuis, notamment dans les ventes publiques. Une telle spécialisation de notre artiste dans la peinture ne saurait bien sûr faire oublier son adhésion résolue au genre rustique-populiste. Ildikó Ember retient à cet égard au moins cent cinquante tableaux de paysages, scènes villageoises, batailles. Une adhésion à la peinture de genre que Benjamin Cuyp partage avec tant de ses contemporains nordiques, tels Adriaen Van Ostade (1610-1685) avec lequel Cuyp a été parfois significativement confondu ou même David Teniers (1610-1690). D’où la typique et sympathique figuration alertement bonhomme qui, elle aussi, agrémente immanquablement chez Cuyp la plupart de ses scènes d’histoire religieuse.


2. Benjamin Gerritsz. Cuyp (1612-1652)
L’Adoration des bergers
Huile sur panneau - 69 x 92 cm
Roanne, Musée Déchelette
Photo : Musée Déchelette
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3. Benjamin Gerritsz. Cuyp (1612-1652)
L’Adoration des bergers
Huile sur panneau - 68 x 97 cm
Dordrecht, Dordrechts Museum
Photo : Dordrechts Museum
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Avantage insigne pour Amiens, au vu de toutes les comparaisons photographiques qu’on peut faire entre la présente Adoration des bergers d’Amiens et celles repérables sur le base Internet du RKD à La Haye et sur celles de ventes publiques de type Artprice et Artnet.com, le tableau du musée de Picardie se révèle sans conteste, comme le met bien en valeur la belle restauration récente, l’un des plus heureusement composés et d’un équilibre qui fait tout autant allégeance au plaisir de la forme plastique qu’à la sincérité du ressenti religieux. C’est que le choix du format vertical adopté dans le tableau d’Amiens est particulièrement propice à une insistante dramaturgie d’éclairage tombée d’en haut, disons d’un ciel peuplé d’angelots comme il sied à cet épisode du récit évangélique (Luc II, 8). Le parti vertical adopté ici, pour être étroitement contraignant, efficacement resserré, magnifie en fin de compte la scène, la dignifie en quelque sorte en lui conférant de la profondeur et du recul, autrement dit une nécessaire distanciation autant sacrale que spatiale. Bestiaux par exemple et bergers sont à dessein regroupés en bloc à gauche, hiérarchisation s’impose ! Cette bienfaisante tendance à l’ascensionnel, va au rebours de l’horizontalisme qui affecte, gêne parfois même les Adorations des bergers étirées en largeur, nettement les plus nombreuses (ill. 2 et ill. 3), ce qui n’est pas surprenant – idem bien sûr pour les Adorations des Rois –, où l’effet de coulée de lumière risque alors d’être moins prédominant, voire concurrencé par la prosaïque réalité des bestiaux [13] et des bergers. Il n’est que juste d’observer ici combien la restauration du tableau amiénois lui a été profitable, rendant pleinement force et sens à l’effet d’éclairage : une lumière suggestivement fractionnée [14] et de ce fait davantage démonstrative, une lumière vivante, dynamique, comme une (surnaturelle !) lumière de l’Esprit, qui s’en vient isoler, détacher et littéralement illuminer le groupe sacré des parents et de l’Enfant. L’allègement du vernis a révélé ainsi à nouveau et le pur bleu ciel – pas trop pur cependant – et l’irradiante blancheur du linge enveloppant l’enfant, et la discrète, un je ne sais quoi attendrissante note bleu pâle de la robe de la Vierge qui rime seule avec le bleu clair du ciel mais tranche sur un chaleureux concert de bruns et de dorés. Seul regret peut-être dans ce tableau presque trop parfait, une saillie d’une partie de nuages à droite qui ballonnent presque maladroitement.

4. Benjamin Gerritsz. Cuyp (1612-1652)
L’Adoration des bergers (détail)
Huile sur panneau - 92 x 70 cm
Amiens, Musée de Picardie
Photo : Musée de Picardie
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Soulignons surtout le geste tellement parlant, ô combien symbolique de la Vierge qui élève les bras (ill. 4), geste d’acclamation et d’exhortation pour signifier (c’est le mystère de Noël !) que l’enfant – l’Enfant-Dieu – est d’une nature autre que purement terrestre, qu’il est à saluer et à reconnaître ici comme tel. Le détail est pratiquement exceptionnel dans les Adorations des bergers de Benjamin Cuyp. A lui seul, il justifie la primauté qui doit revenir de toute évidence au tableau d’Amiens. En général, la Vierge, dans les autres versions, est assez peu participative, joint simplement les mains, tient parfois un pan de drapé de l’Enfant. Notons cependant un autre cas rare dans un tableau proposé en vente à Londres en 2013 [15] où l’on voit, ce n’est pas moins porteur de sens, la Vierge posant une main sur la tête de l’Enfant pour le désigner aux bergers et en même temps marquer sa filiation divine, tandis qu’elle brandit son autre main en signe d’oraison (ill. 5). Comme à Amiens, l’évidence du rôle de Marie doit ici être relevée [16], mais le motif montre alors bien moins d’éloquence, et le tableau de la vente de 2005 reste dans son effet d’ensemble peu persuasif, disons trop peu signifiant.


5. Benjamin Gerritsz. Cuyp (1612-1652)
L’Adoration des bergers
Huile sur panneau - 167 x 215 cm
Localisation actuelle inconnue
Photo : Christie’s
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Reste à savoir comment situer l’Adoration des bergers d’Amiens dans l’évolution stylistique de l’artiste. Or, l’on ne conserve de Benjamin Cuyp pratiquement aucune œuvre datée, à une exception près peu concluante, une Vue de port [17], et rien ne transparaît de la première formation du peintre à Dordrecht (chez son demi-frère Jacob Gerritsz. Cuyp, au dire de Houbraken en 1718). Ensuite, on sait seulement qu’en 1631 Benjamin Cuyp devient maître à la Corporation des peintres de Dordrecht, puis on le trouve mentionné encore dans cette ville en 1641, il demeure à La Haye en 1643, à Utrecht en 1645, ville où il doit avoir des liens familiaux, et il est attesté de nouveau à Dordrecht en 1652 où il décède. Rien d’éclairant hors le simple contexte de l’époque pour expliquer de fait l’extraordinaire emprise qu’exerce l’art de Rembrandt sur Benjamin Cuyp, laquelle dut être sans nul doute assez précoce, si l’on en juge, comme le propose Ildikó Ember, par de multiples emprunts et démarquages de Rembrandt constatés chez Cuyp et ce, à partir d’œuvres appartenant elles-mêmes à la jeunesse du maître leydois. L’indéniable gaucherie de telles imitations, parfois dûment signées de Cuyp, peut-être pour qu’on ne les confonde pas avec les productions mêmes de Rembrandt, pourrait permettre ainsi une première évaluation, il est vrai laborieuse, des débuts de Benjamin Cuyp qui pour autant ne paraît pas avoir été un véritable élève de Rembrandt.
Convenons-en alors, une meilleure maîtrise des effets de lumière et davantage d’alacrité formelle justifieraient raisonnablement de situer dans les années 1630 et au-delà nombre de tableaux de Benjamin Cuyp qui se révèlent être en parallèle justement avec Rembrandt, tant d’un point de vue qualitatif que stylistique. Est-ce à dire que Cuyp cherchait en quelque sorte à rivaliser avec son modèle et chef d’inspiration leydois ? Ainsi en est-il des œuvres de Benjamin Cuyp vraiment discernables comme telles avec leur écriture saccadée si particulière, nourrie de brusqueries, d’éclairages théâtraux et de coups de lumière fantastique qui tendent à parodier le langage de la gravure rembranesque. Comme l’attestent notamment les virtuoses rayonnements qui qualifient si bien ses Résurrections du Christ (voir les versions déjà citées de l’Ange soulevant la pierre du sépulcre à Lille et à Budapest) ou une frappante Résurrection de Lazare comme celle de l’Ermitage.


6. Rembrandt (Rembrandt Harmensz. van Rijn) (1606-1669)
L’Annonce aux bergers, 1634
Gravure, 26,2 x 21,8 cm.
Paris, Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
Photo : Paris Musées/Domaine public
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C’est dans cette phase de rembranisme accompli et mûri, toute en baroquisation et narratif merveilleux que se déploie chez Benjamin Cuyp le thème privilégié de par ses possibilités expressives de l’Adoration des bergers tout comme celui de l’Annonce aux bergers qui en est nécessairement inséparable. Comment ne pas s’appuyer ici sur la sublime, incontournable gravure de l’Annonce aux bergers de Rembrandt datée de 1634 [18] (ill. 6), avec sa somptueuse théâtralisation de nuées célestes trouant la nuit terrestre et sylvestre ! Tout de même, ne serait-ce que par le choix du format vertical, Cuyp change hardiment de référence rembranesque, ne s’intéressant plus aux modestes petites gravures réalistes de la jeunesse de Rembrandt. Non peut-être sans un certain décalage chronologique par rapport au Rembrandt graveur de 1634 : Ildikø Ember (p. 134) propose bien pour de telles Adorations des bergers de Cuyp une datation relativement tardive, à la fin des années 1630 ou au début des années 1640, comme si l’artiste était plus à même d’assimiler enfin la puissante novation créatrice de Rembrandt sans pour autant la pasticher, ce qui serait faire aveu d’impuissance.
Pourrait-on même dire qu’il veut en ce tableau d’Amiens faire du rembranesque plus fort que celui de Rembrandt, presque comme pour se substituer à lui ? Le fait est que le maître de Leyde, paradoxalement, ne s’est guère attaqué au thème de l’Adoration des bergers mis à part une gravure d’ailleurs assez tardive, vers 1654 [19], en fait une simple Nativité ou Sainte Famille, petite évocation à format horizontal et nantie de quelques pieux bergers, ainsi que deux peintures conservées à Londres et à Munich, toutes deux de 1648 [20], narrations elles aussi concentrées sur un effet d’intimisme et dépourvues de toute illumination à caractère proprement hiérophanique où l’éclairage tombe significativement d’en haut.


7. Benjamin Gerritsz. Cuyp (1612-1652)
L’Ombre de Samuel évoquée devant Saül par la pythonisse d’Endor
Huile sur panneau - 55 x 59 cm
Remiremont, Musée municipal Charles de Bruyères
Photo : Musée de Remiremont
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De quoi conclure avec ce nouveau Benjamin Cuyp amiénois, dernier à être entré à ce jour dans les collections publiques françaises, sur une belle séquence d’achats d’œuvres religieuses de Cuyp effectués au XXe siècle. Pour une fois, ne disons pas que nos musées restent peu acheteurs et médiocrement curieux ! Ainsi ont-ils su élire, pour s’en tenir à l’exemple privilégié de Cuyp, des Adorations des bergers comme celles des musées de Poitiers et de Roanne. Telle jolie Fuite en Egypte presque elsheimérienne par son pittoresque effet d’éclairage lunaire est arrivée à Soissons et un Ermite complaisamment rembranesque (dans l’esprit des premiers exercices pittoresques du maître leydois en ses débuts) se voit désormais à Chalon-sur-Saône, tout comme, à Remiremont, une étrange représentation biblique, L’Ombre de Samuel évoquée devant Saül par la pythonisse d’Endor brillamment acquise en 1991 (ill. 7). Enfin, à des dates plus anciennes, remontant nettement au XIXe siècle, sont parvenus dans divers musées maints Cuyp avantageux : à Lille (L’Ange soulevant le couvercle du tombeau du Christ), à Valenciennes (La Résurrection de Lazare), à Bordeaux (L’Adoration des bergers), à Epinal (La Montée du Christ au calvaire). Autant de sujets d’histoire religieuse plus attractifs, admettons-le, que le genre simplement rustique ou batailliste dans lequel abonde également Benjamin Cuyp et qui retint facilement l’attention des musées ou des amateurs (Aix en Provence, Amiens – Réjouissances villageoises –, Bordeaux, Douai – deux tableaux –, Quimper, Rennes, Paris (Louvre), etc.
Tant qu’à faire, le sous-aimé Benjamin Cuyp trouvera pleine et glorieuse audience dans ce nouveau musée d’Amiens tout paré de chefs-d’œuvre comme celui-ci.

Jacques Foucart

Notes

[1À ce sujet, voir de rares articles comme celui de Nathalie d’Alincourt, « Le doyen des musées français [Amiens] achève sa mue », L’Objet d’Art, avril 2020, p. 22-29, avec 9 reproductions, et surtout celui de Didier Rykner, « La rénovation du musée de Picardie à Amiens] », article en ligne dans La Tribune de l’Art, mardi 15 septembre 2020, avec 21 reproductions, dont celle du Benjamin Cuyp ill. 12, présentement étudié par nous et repr. ici même ill. 1.

[2Il n’est que juste de signaler et louer la superbe prestation de Laure Dalon, à la tête du musée d’Amiens (id est Musée de Picardie) à partir de mars 2017 (elle y officia déjà de 2009 à 2012). Elle a pris également soin de faire paraître, comme il convenait, à la date de février 2020 justement, un Musée de Picardie / Guide historique et architectural, appréciable vision d’ensemble ainsi qu’un commode Musée de Picardie / Guide des collections, édités par le Musée de Picardie et les Éditions Invenit, de Lille.

[3Les donateurs sont Bruno Foucart (1938-2018), Jacques Foucart, Chantal Foucart, épouse Ausseur, Bernard Foucart, Pierre Foucart et Vincent Foucart.

[4Sur Jacques Foucart-Borville (le deuxième nom est celui de sa mère), voir entre autres la brève de la Tribune de l’Art, 17 septembre 2005, et le Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie, 3e et 4e trimestres 2005, p. 385-389, avec quelques erreurs biographiques mais non sans l’utile liste de ses contributions au Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie (1976-2005).
Il a également donné nombre d’articles dans la Gazette des Beaux-Arts, dans le Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art français, dans le bulletin amiénois Eklitra (édité par la Bibliothèque municipale d’Amiens), et dans le Bulletin de l’Association des Amis de la Cathédrale d’Amiens, etc.

[5Quoique non signé mais d’une attribution patente, le tableau a toujours été connu comme œuvre de Benjamin Cuyp. Son plus ancien propriétaire repéré à ce jour est Auguste Pollet (1811-1899), d’une famille bourgeoise de Lille, négociant retiré des affaires dès 1860 et vivant dès lors de ses rentes. Le Cuyp passe ensuite avec la collection Pollet chez Albert de Borville (1843-1895), magistrat à Lille puis à Douai, marié à Eugénie, la fille d’Auguste Pollet. Puis il y eut partage de la collection entre les trois enfants dudit Albert de Borville, dont l’une des deux filles, Thérèse, mariée à Charles Foucart (1871-1914), qui entra ainsi en possession de Cuyp. Notons que Charles Foucart fut sans nul doute l’une des premières victimes de la Guerre de 1914-1918 : ironie tragique de l’histoire, il mourut du fait d’une balle française ! venue d’un tireur affolé en proie à une crise d’espionnite sur un barrage routier ! Le Cuyp parvint finalement à l’avant-dernier des enfants de Thérèse et Charles Foucart, soit Jacques Foucart-Borville, père des donateurs (voir note 3). – Suivant des indications familiales, recueillies par Jacques Foucart-Borville, le Benjamin Cuyp, acquis par Auguste Pollet sans doute dans les années 1880 d’un courtier hollandais dénommé F. Kenuis (même provenance pour un Van Goyen acheté en 1892 et disparu, alors qu’il se trouvait chez un autre descendant (branche Borville), à Dunkerque lors de la deuxième Guerre mondiale). Ce Pollet aimait collectionner les tableaux nordiques et français mais dont une bonne partie disparut pendant la guerre. Il se fournissait aussi chez un autre courtier hollandais, Jean-François de Pauw, et ce, dans les années 1840-1860.
Le tableau de Cuyp fut estimé le plus haut (1500 fr) en 1917, opération d’évaluation effectuée à cause de la guerre. – Signalons que quelques tableaux de provenance Pollet, passées chez Jacques Foucart-Borville, furent donnés en 2005 par son fils Jacques Foucart au musée de Beauvais (deux petits Louis Watteau de Lille et un Bakalowicz), tandis que le musée d’Abbeville recevait une belle Perdrix morte de M. J. Speeckaert, des Salons de Douai et de Lille (1819), que le père d’Auguste Pollet, Pedro Pollet (1775-1859, avait acquise dans une loterie liée au Salon de Lille de 1822.

[6Tableau restauré à Paris par Eleonora Tushinky-Merlette, transporté à Amiens le 3 juillet et accroché quelques jours plus tard au musée.

[7Il faut notamment se reporter à l’ouvrage majeur de Werner Sumowski, Gemälde der Rembrandt-Schüler, Landau, t. I (1983), t. II [1983], t. III [1986], t. IV [1989], t. V [1990], t. VI [1993], Benjamin Cuyp étant introduit au t. I p. 84-87 avec repr. p. 121-125, puis plusieurs de ses œuvres sont reproduites au t. IV, p. 2503, au t. V, p. 3158-3160, au t. VI, p. 3575-3580, 3814-3822, 4140.

[8La Chute de saint Paul sur le chemin de Damas, vers 1650-1655 (cf. J. Foucart dans la Revue du Louvre et des musées de France, 1986, n° 4-5, p. 273-274 avec fig. 13.

[9Ildikó Ember, Benjamin Gerritsz. Cuyp (1612-1652), article en 2 parties, Acta Historiae Artium (Académie hongroise des sciences), Budapest, t. XXV, 1979, p. 89-141 avec 49 repr. (peintures religieuses), et t. XXVI, 1980, p. 39-73 avec 28 repr. (peintures de genre).

[10Ildikó Ember connut le tableau grâce au Bureau de documentation d’histoire de l’art de La Haye (R.K.D) auquel Jacques Foucart-Borville signala son tableau lorsqu’il était encore magistrat à Soissons (d’où la localisation soissonnaise donnée par Ember), où il était en poste depuis 1954, gagnant ensuite la Cour d’appel d’Amiens en 1967 où il acheva sa carrière.

[11Deux à Dordrecht dont une entrée depuis 2015, sans doute non connue d’Ildikó Ember, tableau offert au musée de Dordrecht par Catharina Parmentier et Dirk Cornelis Mulder, précédemment proposé en vente chez Christie’s à Amsterdam le 25 novembre 2014, n° 118, repr. au catalogue, mais non vendu.

[12À ceux dénombrés par Ildikó Ember, il convient notamment d’ajouter l’ex-Adriaen Van Ostade du musée de Brunswick, puissant tableau luministe que Rüdiger Klessmann range désormais sous le nom de Benjamin Cuyp dans son catalogue des peintures hollandaises de ce musée paru en 1983. La datation que Ember (I., p. 130) assigne au tableau de Brunswick, soit les années 1637-1650 de la période rembranesque d’Adriaen Van Ostade, s’applique évidemment à ce Cuyp réattribué à juste titre comme tel, ainsi qu’au tableau d’Amiens.

[13Relativisons quand même : ce n’est pas à dire que Cuyp ne se complait guère à des effets de lumière dans ses Adorations de bergers horizontales ; voir ainsi de bons exemples avec les exemplaires ex-Kilgore à New York (vente Sotheby’s, New York, 4 juin 2015, n° 59, repr. au catalogue), musées de Roanne, Dordrecht, Gateshead, Christie’s, Amsterdam (9 mai 2000, n° 24, repr. au catalogue), ex-Chrysler à New York (vente Sotheby’s, New York, 27 janvier 2011, n° 239, repr. au catalogue, non vendu), mais ils sont comme diffus, peu percutants ; en format vertical, distinguons entre autres l’excellent exemplaire Caretto de Turin (exposition en 2000, n° 9, repr. au catalogue), il est vrai sans profondeur ni recul, au contraire de l’Adoration d’Amiens justement, etc.

[14Ce fractionnement de la lumière est très efficace car il intègre par ses échos lumineux tout ensemble bergers, bestiaux et cruches de cuivre, celles-ci pour les reflets, à cette scène d’émerveillement réaliste, participant chacun de leur nature proprement terrestre, humaine, à la sacralité de l’événement céleste. – Toujours cette association-rencontre fondamentale qui est au cœur du fait chrétien.

[15Vente Christie’s, Londres, 3 décembre 2013, n° 420, repr. au catalogue, non vendu.

[16Est-ce à dire qu’un tel tableau à coefficient si marial pouvait être destiné à un client catholique ? – Délicat à établir, car Cuyp est enterré à la Grote Kerk de Dordrecht, ce qui atteste qu’il est protestant mais une telle présence de la Vierge relève de toute une tradition iconographique forcément antérieure à la Réforme et non oblitérée par elle pour des raisons de dogme ; le prouvent à suffisance les nombreuses Vierges de Rembrandt qui n’était pourtant pas catholique. – Vaste problème en fait que celui de l’éventuelle interaction – et interdépendance – entre art et religion ! Faut-il immédiatement catégoriser ? Reste il n’y aurait pas autant de représentations du Nouveau Testament s’il n’y avait eu dans les Pays-Bas une clientèle éventuellement catholique sinon restée fidèle à des traditions iconographiques.

[17Ildikó Ember (t. I, p. 99-100) note juste un Charlatan (n° 162 de son corpus), signé Cuyp 16-5 ? à Glasgow, le 3e chiffre étant effacé ; fut proposé parfois de lire 1645 mais par le style mieux vaudrait songer à 1625, voire 1635.

[18Bartsch 44.

[19Bartsch 45.

[20Classiques de l’art, Flammarion, nos 272-273.

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