Jardin de l’Archevêché : quand la Ville de Paris se paie la tête de la CNPA

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Pensez à signer la pétition, si vous ne l’avez pas déjà fait.

Le 11 mai prochain, la CNPA (Commission nationale du patrimoine et de l’architecture) se penchera sur les abords de Notre-Dame, et notamment sur le devenir des squares Jean XXIII et de l’Île-de-France [1]. Pour cela, la Ville de Paris a concocté un dossier de présentation que nous avons pu nous procurer et qui vaut son pesant d’or. Croyant sans doute s’adresser à des visiteurs ordinaires, elle ne se contente pas de servir sa novlangue habituelle dont nous donnerons ici quelques extraits croustillants. Elle essaie de faire croire, grâce à une présentation biaisée, que le point le plus discutable du projet - la disparition des grilles du jardin de l’Archevêché (square Jean XXIII) - n’existe pas.


1. Les pieds d’arbres promis par la mairie de Paris sur ses vues prospectives
(ici devant l’Hôtel-Dieu)
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2. Ce que cela devient dans la vraie vie
(place de la République, le 28/12/21)
Photo : Didier Rykner
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Les manipulations que l’on trouve dans ce document sont renforcées par deux procédés qui servent à perdre encore davantage le lecteur.
D’abord la multiplication des images prospectives (ill. 1, 11 et 12) dans lesquelles s’est spécialisée la mairie de Paris qui n’aime rien tant que les outils du type Photoshop, lui permettant de montrer une vision fantasmée de la capitale qui n’a jamais rien à voir avec les résultats obtenus (ill. 2).
Ensuite l’absence sur de nombreux plans et schémas de légendes, ce qui est pourtant la base dans ce genre d’exercice. Nous nous interrogeons donc. Que veut dire cette série de points reliés par des pointillés (ill. 3) ? Sont-ce des constellations ? Les points semblent des arbres, mais que signifient les lignes qui les relient ?


3. Schéma dont on s’interroge sur la signification...
Il s’agit probablement d’arbres, et non de constellations
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4. L’un des nombreux plans sans légende
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Autre exemple : on voit sur ce plan (ill. 4) divers types de couleurs (gris clair, gris foncé, rose) et de motifs (losanges, carrés, traits, etc.) sans que jamais ce qu’ils représentent ne soit indiqué. La même chose est valable pour cet autre (ill. 5) où l’on retrouve d’autres signes cabalistiques pas davantage expliqués, et des ronds différents, clairs ou foncés, avec ou sans motifs, sans qu’aucune légende ne vienne dire à quoi cela correspond.


5. Autre plan sans légende en dehors de quelques indications
qui ne permettent pas de le comprendre réellement
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Nous pourrions multiplier les exemples de ces schémas plus ésotériques les uns que les autres qui feraient sans doute échouer n’importe quel étudiant à son examen d’architecte. Nous poursuivrons par les merveilleux discours de la mairie de Paris, qui n’ont rien à faire dans un dossier technique comme celui-ci, mais qu’ils ne peuvent manifestement pas s’empêcher de servir à toutes les modes, pour se convaincre eux-mêmes plus qu’ils ne convainquent leurs lecteurs.
Qu’on en juge, avec quelques extraits choisis uniquement dans l’introduction :
« L’Île de la Cité est le laboratoire de la transformation de la ville : ses bâtiments et ses espaces sont la cristallisation plastique et sensible des désirs et des besoins, des préoccupations et des rêves de toute la société parisienne au cours des siècles. » Cette phrase ne veut rien dire, mais elle fait joli.
« Notre projet part du présupposé que la ville est avant tout l’espace de vie qui se dessine à travers l’interaction de deux forces : le collectif et le climat. La rénovation des abords de la cathédrale, chantier du commun, sera la démonstration que le climat est toujours œuvre et espace du collectif. » Là encore, nous aimerions comprendre ce que cette phrase veut dire…
Il est vrai que comme tout ce que fait désormais la mairie de Paris est officiellement réalisé pour « lutter contre le réchauffement climatique », le réaménagement des abords de Notre-Dame devait être exemplaire sur ce sujet. C’est ainsi qu’ils assènent : « Le projet des abords repense chaque figure sous le double angle du collectif et du climat. ». On remarquera qu’ils ne craignent pas de répéter à quelques phrases de distance leur rapprochement qu’ils doivent penser intelligent, « le collectif et le climat ».

Toute l’introduction, que nous aurions pu citer intégralement, est de la même eau. Et sa dernière phrase est sublime, simplement sublime, osant même faire appel aux mânes de Victor Hugo : « Dans son roman ‘Notre Dame de Paris, 1482’, Victor Hugo nous immerge dans un Paris médiéval et imaginaire. Livré en 2027, 545 ans après, le projet de réaménagement des abords de Notre Dame nous fait rêver d’un Paris de l’avenir réel. »
Le reste des 107 pages de ce document, qui normalement devrait être un document technique, permettant aux membres de la CNPA de se faire une juste idée des travaux prévus, est pour une grande partie écrite dans le même style. Moins on est compréhensible, plus on peut tromper le lecteur, c’est sans doute ce que se sont dit ses concepteurs, qui prennent réellement les membres de la commission pour des imbéciles.


6. Jardin de l’Archevêché vu depuis la cathédrale Notre-Dame (26 août 2013)
Photo : Shadowgate (CC BY 2.0)
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Nous poursuivrons ici sur le square Jean XXIII qui cristallise les critiques.
On apprend tout d’abord qu’une partie des tilleuls de ce square ne seront progressivement plus taillés. Ainsi, l’un des charmes de ce jardin du XIXe siècle, qui était justement la taille de ses arbres que l’on peut voir sur les photographies d’il y a quelques années (ill. 6), va disparaître. Ce n’est pas le plus grave, mais c’est absurde.


7. Dessin dans le document montrant le projet que doit valider la CNPA.
On constate que les grilles entourant le square Jean XXIII,
et celles fermant le square de l’Île-de-France, ont disparu.
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Mais c’est là (p. 9) du document qu’a lieu la plus grande manipulation. On lit en effet : « La clôture de Viollet-le-Duc, qui entoure le square depuis les rénovations de la Cathédrale et ses abords au XIXème siècle est conservée, mais un double portail d’accès est installé dans l’axe de Notre Dame. » À cette lecture, on pourrait conclure hâtivement (et c’est évidemment l’objectif des rédacteurs) que les grilles qui entourent le square depuis sa construction entre 1837 et 1844, vont demeurer en place. C’est faux bien entendu comme les visuels que l’on trouve plus loin (ill. 7) le démontrent si on les regarde attentivement : toutes les grilles entourant le square disparaissent, sauf effectivement la « clôture Viollet-le-Duc » qui n’entoure pas le jardin contrairement à ce qui est écrit, mais qui entoure la cathédrale. Cette grille classée monument historique avec la cathédrale ne sort d’ailleurs pas complètement indemne de l’opération puisqu’un « double portail est installé dans l’axe de Notre-Dame ». Ce double portail doit permettre, comme on le lit plus loin p. 28 « de faire le tour du monument ». Ce qui est un nouveau mensonge puisque s’il est possible, au sud et à l’est, de circuler près de la cathédrale à l’intérieur de cette clôture, cela est tout à fait impossible au nord (ill. 8). Non seulement parce qu’il y a trop peu d’espace entre la cathédrale et la grille, mais parce que pour des raisons de sécurité (possibilité d’écoulement d’eau de pluie polluée par le plomb), cet accès sera interdit au public. On ne comprend donc pas au nom de quoi on mutilerait la grille de Viollet-le-Duc pour créer un passage entre le jardin de l’Archevêché et la proximité de la cathédrale.


8. Grille dite de Viollet-le-Duc entourant la cathédrale, vue au nord, dont le document fait croire qu’on pourra faire le tour à l’intérieur de cette grille...
Photo : Didier Rykner
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Le jardin ne sera pas uniquement ouvert jour et nuit par l’enlèvement des grilles, ce qui sera nuisible à la fois pour la sécurité et l’entretien des lieux [2], ainsi que pour le repos de la flore et de la faune, il sera également éclairé la nuit, ce qui est néfaste aux animaux nocturnes. Il faut d’ailleurs noter que nulle part ici on ne parle de la présence dans les lieux d’une espèce de chauve-souris, la pipistrelle commune, dont il est pourtant fait mention sur le document d’autorisation demandée au ministère de la transition écologique. Le CEREMA, établissement public sous tutelle de ce même ministère, a publié un document relatif à l’éclairage nocturne et à la biodiversité qui confirme cet impact négatif non seulement sur les chauve-souris, mais aussi sur les oiseaux et les insectes. Dans une ville lumineuse comme Paris, réserver des zones nocturnes sans lumière paraît nécessaire. Et que dire de la consommation d’énergie que suppose cet éclairage alors que la municipalité ne cesse de nous parler du réchauffement climatique ?


9. Jardin de l’Archevêché en août 2017
Photo : Google Earth
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10. Jardin de l’Archevêché tel que prévu dans le projet, sans les grilles, avec la pelouse agrandie et piétinée (et qui ne restera pas verte longtemps)
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Ajoutons que la pelouse, dont l’élégant dessin remontait certainement à la création du jardin à son ouverture en 1844, sera un peu agrandie en un simple rectangle, ouverte au public alors qu’elle en était protégée par des haies, et privée des massifs de fleurs qui l’ont pendant longtemps ornée (ill. 9). On peut s’attendre à ce que cette pelouse, surfréquentée par les touristes qui viendront y pique-niquer (ill. 10 et 11), ne devienne très rapidement qu’une étendue de terre râpée comme on le voit un peu partout dans Paris. Remarquons d’ailleurs que les mêmes pelouses que chacun pourra piétiner font aussi leur apparition sur le parvis qu’on nous annonçait comme un espace minéral en dehors de la plantation - celle-ci très souhaitable et à laquelle nous n’avons rien à redire - d’arbres sur son contour.
Quant au square de l’Île-de-France, autre havre de paix à l’extrémité de l’île de la Cité, il sera aussi ouvert jour et nuit en continuité avec le jardin de l’Archevêché, alors qu’on devrait lui aussi le sanctuariser d’autant qu’il renferme le Mémorial de la Déportation (classé monument historique).


11. Vu du Jardin de l’Archevêché dans le projet, sans les grilles, avec les pelouses piétinées,
et la légende suivante : « Le square Jean XXIII s’étend du chevet à la pointe Est de l’île pour devenir un véritable espace public » (rappelons que ce square a toujours été ouvert au public)
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En ce qui concerne le mobilier urbain, si le maintien des bancs Davioud est annoncé, et si la plupart des éclairages semblent conformes à ce qu’on peut attendre à cet endroit, le reste demeure dans un flou artistique, avec néanmoins la précision qu’il sera « choisi en cohérence, suivant les préconisations du Manifeste parisien pour la beauté ». Quand on voit comment celui-ci, parfaitement spécieux, a été mis en œuvre ailleurs, cela inquiète nécessairement.


12. Vue du parvis prévu dans le projet avec, là encore (comme dans le jardi au sud) des pelouses ouvertes au public qui ne tiendront évidemment pas longtemps.
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Ce qu’on peut trouver dans ce document destiné à la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, à condition que l’on fouille vraiment et qu’on ne se fie pas aux phrases volontairement trompeuses, est donc bien conforme à ce que nous avons combattu depuis le début. Tout n’est pas à rejeter dans ce projet. Le parvis est globalement - là encore à l’exception des pelouses (ill. 12) et de la « lame d’eau » qui risque de ressembler rapidement au « miroir d’eau » de la place de la République - acceptable. Mais le traitement réservé aux jardins existants ne l’est pas, et c’est pour cela qu’une fois de plus nous invitons nos lecteurs à signer ici la pétition dont nous parlions dans notre brève d’hier.
On peut enfin s’inquiéter de ce qu’on lit sur les « Installations éphémères, saisonnières ou événementielles » (p. 68) : « le parvis mesure 4500 m2 sur un plan quasi horizontal. Cette surface permet l’organisation de toute sorte d’événements, tout le long de l’année ». On voit donc se profiler à l’horizon ce qui se passe désormais sur la plupart des places parisiennes, autour du Louvre, sur la place de la Concorde, autour des Invalides, au Champ-de-Mars, etc. : l’installation régulière de tentes et autres structures provisoires mais qui se succèdent « tout le long de l’année » et qui transforment tout Paris en un grand champ de foire.

Il reste à espérer que la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture donnera un avis clairement négatif aux éléments les plus inacceptables de ce projet. Avoir négligé à ce point l’avis du public qui avait pourtant été consulté et organiser un concours avant même qu’elle ait pu se prononcer devrait la motiver à demander au ministère de la Culture qu’il s’oppose à la mairie de Paris.

Didier Rykner

P.-S.

Nous avons enlevé de cet article après sa parution un court passage où nous parlions de « la transformation en jardin de la partie sud de la cathédrale », ce qui était une erreur (voir cet article paru ensuite).

Notes

[1Rappelons que la CNPA est constituée pour une grande part d’experts du patrimoine qui donnent un avis consultatif pour le ministère de la Culture.

[2Ne reculant devant rien, le document ose affirmer que : « le principe d’ouvrir le square Jean-XXIII et la promenade le long de la Seine participent utilement à la mise en sûreté du quartier »…

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