Avant de passer à Lens et Abu Dhabi, une question pour terminer le chapitre consacré au Louvre à Paris. Vous allez ouvrir un espace éducatif. Que comprendra-t-il ? Pour les enfants, le mieux n’est-il pas d’aller directement dans les salles ?
Ce ne sera pas uniquement pour les enfants. Le musée du Louvre a des collections si riches que le visiteur venant pour la première fois peut se sentir un peu perdu. Et à l’exception de quelques chefs-d’œuvre comme la Joconde, la Vénus de Milo, des images liées à la culture médiatique actuelle ou à sa propre culture, il est un peu perdu. Pour ce visiteur-là, pour le grand public qui passe en moyenne deux heures et demi au musée, l’espace Richelieu - celui où se trouve actuellement l’exposition sur le trésor de l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune - sera un lieu dédié à une initiation à l’histoire des arts, à l’histoire des techniques, à des présentations autour d’un thème. On l’ouvrira à l’automne 2015, pour des présentations de dix mois. Ce ne seront pas des expositions classiques, plutôt des présentations d’œuvres autour d’un thème. Les outils de médiation seront peut-être un peu plus importants qu’ailleurs. Prenons un exemple : un sujet pourrait être la représentation du pouvoir. Ou « qu’est-ce que la peinture ? ». On veut toucher le grand public, mais aussi le public scolaire, même si ce n’est pas un musée des enfants. Le visiteur pourra commencer sa visite par cette petite présentation.
Et à terme, à l’ancien emplacement des arts de l’Islam, quand les réserves qui y sont conservées auront pu bénéficier des nouvelles réserves hors du palais, on organisera des ateliers liés à la thèmatique de l’espace d’exposition.
Venons-en au Louvre-Lens. Quelle sera la durée de la présentation de la galerie du Temps, et que va-t-il se passer après ?
Ce musée, comme vous le savez, n’a pas de collections propres puisqu’il a pour vocation de présenter les collections du Louvre. Il y a un espace d’exposition temporaire et cette galerie du Temps qui est une présentation semi-permanente. Depuis le début, nous avons prévu que le principe de cette galerie, organisée selon un axe chronologique, mêlant toutes les civilisations et toutes les techniques (sauf le dessin), allait durer cinq ans, c’est-à-dire de décembre 2012 à décembre 2017 ; un renouvellement partiel de 10 à 20% des œuvres, donc une quinzaine ou une vingtaine d’œuvres par an, est fixé à la date anniversaire du 4 décembre. Ensuite, nous continuerons à présenter les collections du Louvre pour une période dépassant la durée d’une simple exposition temporaire. Est-ce que ce sera thématique, chronologique ? Ce n’est pas encore complètement défini. Nous analyserons les limites de cette présentation, mais aussi ses avantages. Il n’est pas exclu qu’on fasse une seconde présentation de cinq ans selon un axe chronologique, mais ce n’est pas encore décidé. Ce n’est d’ailleurs pas le plus simple : la contemporanéité des créations fait se juxtaposer des œuvres parfois très hétérogènes.
L’une de mes critiques est que le Louvre est ainsi privé de certains de ses chefs-d’œuvre pendant au moins un an. Pourquoi cela ne vous gêne-t-il pas ?
C’est simple, et c’est là que nous n’avons pas la même perception des choses : il faut rappeler que le Musée du Louvre est un musée national, les collections du Louvre ne lui appartiennent pas, ce qui n’est pas le cas des autres musées. J’ai l’impression que vous raisonnez comme un Anglais, un Italien ou un Allemand. Dans les autres pays européens, les collections appartiennent aux musées qui les conservent. Les collections sont confiées au Louvre par l’État, c’est dans le décret, dans les statuts, dans les fiches de poste. Et l’État - il l’a déjà fait - pourrait changer le périmètre et l’affectation. Le Musée d’Orsay par exemple, est né comme cela, à partir des collections du Louvre ; le Musée Guimet aussi, partiellement. Depuis notre création comme musée national, nous avons dans nos gènes la circulation des biens. Je ne dis pas ça parce que c’est politiquement correct, mais parce que c’est la réalité. Je l’ai dit à la presse espagnole et j’ai l’impression qu’ils n’ont pas très bien compris. Je ne vais pas citer d’exemple pour ne fâcher personne. Mais le musée X, aussi grand soit-il, en Espagne ou en Italie, n’a aucun rapport, ni hiérarchique ni partenarial, avec les autres musées du même pays. Le Musée du Louvre et les huit départements ont un rôle patrimonial sur l’ensemble du territoire français. Lens ou pas Lens, ce qui se passe pour la peinture française du XVIIe siècle en France ou ce qui se passe pour l’égyptologie concerne le Louvre. Par conséquent, il est évident qu’un directeur de département au Musée du Louvre a plusieurs publics. Il ne s’adresse pas uniquement à celui qui vient visiter le palais du Louvre, mais aussi à ceux qui viennent voir les collections nationales dépendant du Louvre ailleurs qu’au Louvre. C’est dans nos gènes, c’est notre carte d’identité. C’est pour cela que Lens n’est pas une annexe du Louvre.
Ceci dit, je reconnais avoir visité des musées - dont je tairai le nom - où la plupart des chefs-d’œuvre étaient absents, et trouvé cela très gênant. Bien entendu, il faut trouver un équilibre dans cette présentation. Vous pouvez critiquer notre démarche, c’est tout-à-fait normal, mais nous cherchons à satisfaire tous ces publics. Et si vous ne comprenez pas que c’est dans notre mission de montrer des œuvres en région tout autant que dans le palais, vous ne comprenez pas ce que nous cherchons à faire.
C’est pour trouver un équilibre qu’on a créé ce concept de galerie semi-permanente à Lens. Si on avait créé un musée avec une partie des collections du Louvre, cela aurait été une forme d’affectation définitive à Lens. Et cela nous ne le voulions pas. Certes, les chefs-d’œuvre qui y sont envoyés manquent pendant un an à Paris, je ne vous dis pas le contraire. Mais en même temps nous envoyons 205 œuvres. Comme vous le savez, il n’y en a que 38 000 exposées au musée. Je ne crois pas qu’avec 205 œuvres à Lens et 100 à Abu Dhabi nous touchions à l’équilibre des collections.
Est-il prévu que parfois les expositions de Lens viennent à Paris ?
La question que vous posez est celle de l’introduction du Louvre Lens dans une économie générale – au sens noble du terme – des expositions du Louvre. Elle se pose de deux manières. D’un point de vue de la distance, Lens est assez proche de Paris puisque l’on est à une heure et demi porte à porte. Il semble a priori assez difficile d’imaginer une exposition à Lens et à Paris qui soit exactement la même. De la même manière qu’on ne ferait pas la même exposition à Rouen et à Paris car on risquerait de s’adresser un peu au même public.
En revanche, nous essayons de mieux articuler les choses, chaque saison, pour montrer cette volonté de cohérence entre Paris et Lens, voire Abu Dhabi. Et aussi avec l’auditorium en terme de programmation culturelle. Je vous donne un exemple : pour l’année 2016, on essaye de bâtir plutôt une saison sur le XVIIIe siècle. À Paris, il y aura Hubert Robert, Bouchardon et le Musée des Monuments Français, à Abu Dhabi il y aura « Naissance d’un musée » - celle du Louvre, le Louvre des Lumières - et à Lens, deux expositions, celle d’hiver, consacrée à Watteau et la Fête Galante et celle d’été, une espèce de « Paris-Londres » qui aurait pour sujet « quand la peinture anglaise regardait la peinture française et quand la peinture française regardait la peinture anglaise, dans les années 1750-1850 ». On a construit ces propositions en imaginant ainsi des expositions complémentaires.
Pour 2015, on aura durant l’hiver, une exposition qui s’appellera sans doute « les animaux des pharaons », c’est à dire une exposition d’égyptologie sur la représentation de l’animal en Égypte. On essaye aussi d’accompagner les musées en région : il y aura au même moment à Lille une exposition Sesostris III, qui se monte en partenariat avec le département des Antiquités égyptiennes du Louvre. Et à l’été 2015, ce sera une exposition Paris-Sienne-Florence, XIIIe-XIVe siècles, une exposition dont Xavier Dectot est le commissaire et qui correspond presque à ce qui précède celle sur le printemps de la Renaissance.
Mais quel rapport entre Paris d’une part, Sienne et Florence de l’autre ?
Justement, ce sera l’influence gothique et française dans l’art de la fin du Moyen Age en Italie.
Quant à la saison 2017, elle n’est pas encore complètement définie.
Pour Abu Dhabi on ne peut pas vraiment parler d’irriguer le territoire français…
Tout à fait, c’est un tout autre projet.
Pourquoi les Émiriens donneraient-ils la liste des œuvres envoyées par le Louvre ? Ne serait-ce pas plutôt au Louvre de le faire ? Cela me choque un peu…
Vous n’avez pas compris ce qui se passe à Abu Dhabi. On ne nous demande pas de construire un musée, il ne s’agit pas d’une annexe du Louvre. Ce serait voir les choses du côté français.
Les Émiriens ont développé une véritable stratégie de développement culturel. Vous pouvez la critiquer, en penser ce que vous voulez, mais ils ont choisi la Sorbonne, ils ont décidé de construire une île des musées, ils ont sélectionné Jean Nouvel, ils ont voulu créer un musée universel, tout cela avant de choisir les musées français. Ce qu’ils veulent, c’est un transfert de compétence avec l’idée qu’on les accompagne dans la création, le développement et la valorisation d’un patrimoine culturel. Tout est consigné dans l’accord de 2007 qui est facilement accessible sur internet.
Si on créait une annexe du musée du Louvre là bas, je comprendrais votre question. Mais il s’agit d’un transfert de compétence avec trois temporalités. Comme vous le savez, le nom du Louvre est donné pour trente ans, donc jusqu’en 2037 ; l’agence France Muséums et les musées français doivent accompagner le musée pour la programmation des expositions pendant quinze ans, et ils s’engagent à prêter des œuvres durant dix ans, avec un rythme décroissant : 300 œuvres d’abord, puis 250, puis 200. Le cœur du sujet, c’est la création d’une collection nationale pour Abu Dhabi. C’est cela qui intéresse les Émiriens, et c’est cela qu’ils veulent promouvoir. C’est la raison pour laquelle les prêts français ne sont qu’un complément qui diminuera au fur et à mesure de l’augmentation et de la création de cette collection, pour finalement cesser. Le musée va s’appeler musée du Louvre Abu Dhabi, mais dix ans après l’ouverture il n’y aura plus un seul prêt du Louvre.
Ne chaussez pas des lunettes franco-françaises ; essayez de comprendre ce qu’ils ont voulu faire. Soit les œuvres prêtées viendront combler des lacunes, parce qu’il n’ont encore rien d’équivalent, soit elles seront en complément de leur propre collection. Les Émiriens souhaitent valoriser leur collection, et c’est pour cela qu’ils ont commencé à la montrer, d’abord pendant l’été 2013 à Abu Dhabi, et à partir du 2 mai 2014 au Louvre à Paris. C’est bien leur collection que nous allons montrer, pas les prêts. Nous ne voulons rien cacher, mais ce qui est essentiel, c’est leur collection. Vous comprenez donc pourquoi ce sont les Émiriens qui choisissent, nous leur avons suggéré ce qui nous semblait complémentaire de leur collection. Cela n’a rien à voir avec Lens, ou avec un musée qu’on créerait de toutes pièces. Dans un deuxième temps seulement, nos partenaires émiriens communiqueront sur les prêts consentis par les musées français, soit 300 œuvres dont le tiers venant du Louvre.
Combien de temps y resteront-elles ?
Elles restent un an.
Chacune restera un an ?
Un an c’est le minimum, une œuvre peut rester plus.
Mais jusqu’à combien de temps peuvent-elles rester ? Au départ, il y avait un maximum prévu.
Non, il n’y a aucun maximum.
Des œuvres pourraient donc rester dix ans ?
Elles pourraient rester dix ans. Mais a priori aucune œuvre ne devrait rester dix ans. Il y a un accord et il suffit de le lire sur internet. Je peux comprendre la polémique, ou qu’on interroge l’action publique. Mais les choses ont été les plus transparentes possibles à partir du moment où ce projet a été décidé par les politiques. Pour répondre à votre question, les prêts sont d’un an renouvelables.
Qui va décider de l’envoi des œuvres qui ne sont pas du Louvre, qui les propose, qui suggère, qui choisit ?
Il s’agit du fonctionnement de l’agence France-Muséums. Dans cette agence, il y a un conseil scientifique que je préside. J’ai été élu, comme mon prédécesseur Henri Loyrette. C’est important, ce n’est pas le président du Louvre qui est de droit celui de l’agence, il est élu. Mes collègues ont pensé que puisque le musée portait le nom du Louvre, il était naturel que ce soit le président du Louvre. Cela signifie que j’agis comme coordinateur des prêts au sein de l’agence. Dans ce conseil siègent le Musée Rodin, Orsay, Guimet, le Quai Branly, le département des peintures, la Bnf, le Centre Pompidou, le Musée de Cluny.
Et qui choisira les prêts des musées de province ?
Dans un premier temps, en tout cas pour l’année 1, il n’y aura pas de prêts des musées de province à Abu Dhabi. Cela ne veut pas dire que ce n’est pas possible, mais élaborer en même temps la collection nationale et la complémentarité des prêts des musées français était un peu délicat. Vous comprenez bien qu’à chaque acquisition, cela modifie la liste des prêts.
Le jour où ils achètent un Léonard de Vinci, il n’y aura plus besoin de la Belle Ferronière ?
Je ne sais pas pourquoi vous faites une fixette sur Léonard. Comme vous le savez, il y en a un qui vient d’être vendu…
Donc, c’est à l’intérieur de ce conseil scientifique que les listes ont été élaborées et validées. On a franchi une étape car, vous le savez sans doute, la proposition des 300 prêts des musées français pour l’année 1 a été remise par la ministre de la Culture en novembre 2013. Nous attendons l’accord des Émiriens et il y aura d’ici quelques mois la signature d’un contrat de prêt traditionnel pour une année avec chacun des établissements.
Et les achats ? Y-a-t-il un changement dans l’organisation de France Muséums depuis votre arrivée (et le départ de Laurence des Cars) ? Est-il normal à votre avis d’acheter des œuvres immeubles par destination, comme ce plafond du XVIIe siècle français ? S’il fallait un plafond du XVIIe siècle, n’aurait-on pas dû acheter un plafond italien par exemple, hors de France ?
On peut donc aller piller le patrimoine des autres pays européens ? Je ne comprends pas bien votre vocabulaire.
Les fonctionnaires français sont là pour enrichir le patrimoine français, les fonctionnnaires italiens pour enrichir le patrimoine italien. Ce que je veux dire c’est qu’il est à mon avis du devoir des fonctionnaires français d’interdire de sortie certaines œuvres, pas de les faire sortir justement. Une des fonctions du Louvre c’est bien de conserver le patrimoine. Or, sortir un plafond du XVIIe siècle français alors qu’il en reste très peu, c’est discutable. En revanche un conservateur français peut aller acheter une œuvre comparable dans un autre pays. Je pense que vous me comprenez.
Non franchement. Je connais la pratique des musées et notre métier. J’ai l’impression que les questions que vous posez participent du principe qu’il y aurait un marché fermé dans lequel il y aurait une concurrence. La réalité c’est qu’effectivement il y a en France des lois de protection du patrimoine qui sont très bien faites. Mais ces lois s’exercent sur notre territoire et comme vous le savez, si une œuvre a été depuis plus de 50 ans en France, nous avons la possibilité de l’arrêter et de faire une proposition, donc d’avoir une prérogative d’achat. Mais, d’abord, il y a des des milliers d’œuvres d’art qui passent en vente et les musées français n’ont pas la capacité, ni même la volonté de tout arrêter. Donc Abu Dhabi ou pas Abu Dhabi, la question se pose pour nous quotidiennement. Ce n’est pas parce qu’une œuvre est de qualité muséale que nous l’arrêtons. Car il s’agit ensuite de l’acquérir. J’insiste sur ce point parce qu’il peut y avoir une ambiguïté, certaines personnes se demandent pourquoi on a laissé sortir telle ou telle œuvre ? C’est notre mission, notre expertise.
Parce que certains peuvent estimer que celle-ci aurait dû être retenue. On peut ne pas être d’accord.
On peut ne pas être d’accord, mais c’est à nous de juger, au nom de l’État, si on l’arrête ou pas.
Ensuite je veux rappeler à votre lectorat que cette fonction ne s’exerce que sur le territoire français. Or, je vous rappelle que l’essentiel du marché de l’art aujourd’hui est à Londres, à New York ou en Suisse. C’est-à-dire que l’essentiel du marché de l’art échappe à ces dispositions. C’est quand même la réalité. La majorité des œuvres achetées par Abu Dhabi ne l’ont pas été sur le territoire français, mais à New York ou à Londres… On peut préempter, mais en France, pas à Londres ou à New York. Notre capacité, même pour l’art français, est tout de même assez limitée malgré la législation.
Dans la commission d’acquisition, il y a des Français et, bien entendu, des Émiriens. Ce sont eux qui achètent et qui décident au final. La procédure mise en place prévoit que chaque projet d’acquisition est d’abord adressé au musée patrimonial français. Guimet, Orsay, le Louvre… Avec une double demande : l’achat est-il souhaitable pour Abu Dhabi et sur quel critère ? Cela ne nuit-il pas à la cohérence des collections françaises, en un mot, les musées français ne veulent-ils pas l’acquérir ?
Pose-ton cette question aussi aux musées de province ?
Comme je vous l’ai dit, on le demande aux musées patrimoniaux.
Oui, mais je vous rappelle ce qui s’est passé naguère, c’était avant que vous ne soyez nommé, quand France Muséums a essayé d’acheter le portrait des enfants de Dreux de Géricault. Le musée de Lyon était intéressé, ce qui n’a pas empêché France Muséums d’essayer de l’acheter. Il n’a pas réussi car le tableau a été adjugé trop cher, mais s’il l’avait fait, ce tableau aurait été perdu définitivement pour les musées français. Désormais, il est chez Liliane Bettencourt dont on dit qu’elle léguerait ses œuvres aux musées français. Preuve que tant qu’une œuvre n’est pas achetée par un musée étranger, il y a toujours une chance qu’elle puisse finir dans les collections françaises. Donc n’y-a-t-il pas un risque à ne pas interroger les musées de province ?
Qui vous dit qu’on n’interroge pas les musées de province ?
Vous m’avez dit que vous vous adressiez aux musées patrimoniaux.
On adresse aux musées patrimoniaux la question suivante : l’achat par Abu Dhabi ne nuit-il pas à la cohérence des collections publiques françaises. Leur rôle patrimonial consiste à dire, par exemple, « moi Musée du Louvre je ne veux pas l’acheter, mais c’est une œuvre absolument fondamentale pour le musée de Grenoble ».
Oui, mais le musée du Louvre peut penser que ce n’est pas intéressant pour le musée de Grenoble alors que Grenoble pourrait penser le contraire.
Je le répète, c’est la procédure qui est en place. C’est l’article 7 de l’accord inter-gouvernmental. Comment articuler le conseil à la création d’une collection nationale d’Abu Dhabi avec la mission d’expertise des conservateurs français.
Puis-je prendre un exemple actuel ? France-Muséum pense acquérir un bronze des collections royales. N’est-ce pas quelque chose que, par nature, on devrait s’interdire d’acheter pour Abu Dhabi ?
L’œuvre a été achetée et sera visible à Paris durant l’exposition. Elle l’a été à Londres et ne conserve pas le numéro gravé qui prouverait son appartenance aux bronzes de la couronne. Ce n’est donc qu’une hypothèse.
Un conservateur doit acheter des œuvres pour les musées, mais est-ce à un conservateur de dire qu’une œuvre n’aura jamais vocation à entrer dans un musée et qu’on peut s’en priver définitivement ?
Je répète, on se pose cette question et on y répond. Nous pouvons être critiqués mais on y répond. Dans ce cas précis, c’est un bronze qui était en Espagne et qui est passé en Angleterre. Il est sur le marché depuis de nombreuses années et les musées français n’ont jamais cherché à l’acheter.
Je suis désolé de revenir sur la question du plafond du XVIIe, mais vous avez un peu botté en touche. Or ce plafond est purement patrimonial, il était en France, pas à l’étranger.
Comme je n’étais pas encore à la tête du Louvre, et pas concerné par cet objet, je ne peux pas répondre à votre question, je ne connais pas bien le dossier. Comme vous le savez il y a eu des dizaines d’hôtels particuliers parisiens du XVIIe siècle détruits. Je pense qu’aucun musée français n’aurait acheté cette œuvre.
On a beaucoup dit qu’il n’y avait pas de censure, que France Muséums avait acheté des nus, des peintures religieuses… On nous a dit aussi que cela allait ouvrir les esprits à la tolérance. Mais cela ne semble pas bien parti. Que pensez-vous de l’interdiction du film Noé de Darren Aronofsky dans les Émirats Arabes Unis ? Pourriez-vous prêter une œuvre qui représente Noé ?
Je ne vais pas alimenter votre polémique, je n’ai pas vu le film. La seule chose que je peux vous dire est que nous proposons des acquisitions et qu’il n’y a aucune censure. On n’a jamais indiqué à l’agence qu’il y avait la moindre limite. Ni sur des thèmes, ni sur des techniques, ni pour des pays. Il n’y a aucune exclusion.
Ferez-vous à nouveau des expositions pour Madame Chirac, comme par exemple le paysage dans les collections du Louvre ?
Je n’étais pas là, je ne commenterai pas.
Et poursuivrez-vous vos expositions diplomatiques ou payantes lorsqu’il y aura Lens et Abu Dhabi ?
Je ne sais pas ce que vous appelez une exposition louée ?
Une exposition où il y a un contrat, avec une location, un ou deux millions d’euros par exemple…
D’abord, je pense que le Musée du Louvre n’a jamais fait cela. On se poserait peut-être la question. On ne nous le demande pas.
Si on vous le demandait ?
Je pense qu’on ne le ferait pas. L’essentiel de nos expositions se fait pour le public. Ce peut être aussi des publics éloignés géographiquement. Certains publics étrangers sont particulièrement importants pour le Louvre, comme les Américains, les Chinois, les Brésiliens… (ce sont dans l’ordre les plus nombreux). Je cherche donc très clairement à développer des expositions avec les musées chinois, américains ou d’Amérique latine. C’est une occasion de comprendre les habitudes et les goûts de ces publics. C’est aussi l’occasion pour nous de publier dans leurs langues et donc de nous confronter à un problème de traduction qui pourra nous servir pour le musée. Tout ce qu’on a pu faire en Chine permet d’améliorer l’accueil du public chinois. À Pékin, par exemple, on vient de fermer une exposition sur les collections de la Méditerrannée au Louvre.
Cette exposition n’était pas louée ?
Non, pas du tout. Cela donnait la possibilité de présenter le Louvre en Chine.
Il est vrai qu’au Japon et au Brésil, les expositions ne sont pas géréres par des musées ou des opérateurs nationaux comme la RMN, mais par des opérateurs culturels souvent liés à des grands groupes de médias, de télévision. Ils montent des expositions très professionnelles et ont pris l’habitude de verser des « fees », des contributions. C’est un modèle économique particulier qu’on ne trouve que dans ces pays. Dans la plupart des autres pays les expositions sont organisées de musée à musée et ne sont pas payantes.