Le rejet hier par l’Assemblée Nationale des amendements déposés par certains députés à la loi de finances pour inclure les œuvres d’art dans l’assiette de l’ISF ne met hélas pas un terme définitif à ce débat.
Le retour périodique de cette idée sur le devant de la scène est en effet très inquiétant, d’autant que de nombreux parlementaires de gauche se sont exprimés en sa faveur, notamment François Hollande. Le retour possible l’année prochaine de la gauche au pouvoir pourrait la faire resurgir une nouvelle fois, avec un risque accru qu’elle finisse par être appliquée.
Il semble donc nécessaire de faire, durant les prochains mois, œuvre de pédagogie et d’expliquer, encore et toujours, pourquoi cette imposition serait une catastrophe, particulièrement pour le patrimoine des musées.
Lors du débat en commission (que l’on peut lire ici) et dans celui qui a eu lieu en séance plénière (à consulter là), un grand nombre d’absurdités et d’erreurs ont en effet été proférées, et nous n’en relèverons que quelques-unes :
– Marc Le Fur, auteur du principal amendement soutenant la fin de l’exonération [1], a ainsi expliqué que « les seules dérogations concevables sont celles qui tiennent à l’emploi, ce qui n’est pas le cas des œuvres d’art ». Bien d’autres considérations peuvent justifier des dérogations fiscales, mais même en admettant que seul l’emploi dût être pris en compte, il est évidemment stupide de penser que le commerce d’art ne génère pas d’emplois. Sans même parler de ceux directement liés au marché de l’art qui peuvent sans difficulté être évalués à plusieurs milliers, celui-ci « permet le maintien de savoir faire constitutifs de la tradition artisanale français » estimé à au moins 33 000 emplois. Ce n’est pas nous qui le disons, mais le rapport de l’Assemblé Nationale intitulé : « Marché de l’art : les chances de la France » datant d’avril 1999).
– Jérôme Cahuzac : « Les œuvres d’art étant généralement assurées, il ne serait pas difficile de calculer l’assiette. » Là encore, il s’agit d’une méconnaissance total de la réalité. Bien au contraire, de très nombreuses œuvres ne sont pas assurées, soit en raison du coût, soit surtout justement parce que les collectionneurs ne veulent pas prendre le risque que les sociétés d’assurance soient interrogées par le fisc (rappelons qu’il y a peu encore, celles-ci avaient pour obligation de signaler à l’administration les contribuables assurant leurs œuvres d’art).
– Daniel Garrigue : « Les œuvres d’art, devenues objets de spéculation, devraient figurer dans l’assiette de l’impôt sur le patrimoine. » Pour l’essentiel, et n’en déplaise à ce député, les collectionneurs ne spéculent pas sur les œuvres d’art et ceux qui se sont risqués à le faire ont en général connu de gros déboires. Certains objets prennent de la valeur au cours du temps (et ils restent, en cas de revente, imposés sur les plus-values) mais beaucoup en perdent aussi. En réalité, toutes les études montrent qu’investir dans l’art constitue le plus souvent une opération qui permet juste de maintenir son capital.
– Jean-Pierre Brard : « Quant aux œuvres d’art, elles sont un support, non seulement de spéculation, mais aussi de blanchiment. Le plafonnement à 3 000 euros des paiements en espèces ne s’appliquant pas aux étrangers, rien n’empêche, par exemple, la mafia russe de transformer l’argent de la prostitution et des trafics d’armes en œuvres d’art, ensuite monnayées en argent ordinaire. Il faut donc adopter cet amendement. » Jean-Pierre Brard veut donc imposer les mafieux russes. A ce niveau d’argumentation, on ne commentera même pas.
– Jean-Pierre Brard à nouveau : « [Pour] que les personnes riches qui possèdent des œuvres d’art soient exonérées [il faut] une condition : ces derniers doivent présenter les œuvres une fois par an au public. » Le ridicule de cette proposition avait été démontré par Jacques Thuillier et rappelée dans le rapport de 1999 : « On ne sait s’il faut rire ou pleurer. Que veut dire exposer leurs œuvres au public ? S’agit-il d’exposition dans un musée ? L’idée serait inepte. Tous les musées de France ne suffiraient pas à exposer en un an, dans les petites salles dont ils disposent, la centième partie des œuvres de collection privée, et qui se chargera du transport, de l’assurance ? S’agit-il d’ouvrir son appartement au public ? On voit d’ici la famille se relayant pendant six semaines pour " tenir portes ouvertes -, et permettre aux cambrioleurs de repérer ce qui mérite leur attention... Ou bien ces bons députés sont-ils assez imbus des clichés les plus éculés pour croire que tous les collectionneurs soumis à l’ISF sont gens à château avec cohorte de valets de chambre ? Quelle confiance faire à des personnes aussi expérimentées ? [2] »
– Jérôme Cahuzac, encore lui, prétendant que l’amendement n’imposerait que ceux qui refuseraient obstinément de prêter leurs œuvres aux musées qui en feraient la demande, explique également : « Si elles devaient sortir malgré tout, ce serait sans conséquence pour notre pays puisque leurs propriétaires ne souhaitaient pas les faire partager. Qu’elles se trouvent à Paris, à New York ou à Genève est alors rigoureusement sans importance. » Ce député avait pris soin de préciser auparavant : « je connais [le marché de l’art] moins bien que certains de nos collègues ». Manifestement, ne pas connaître un domaine n’empêche pas un député d’en discuter. Jérôme Cahuzac, effectivement, semble ignorer tout du marché de l’art et ne comprend pas le fait qu’il est au contraire très important qu’une œuvre, même non montrée au public, soit conservée à Paris plutôt qu’à New York ou Genève. Car ceux qui connaissent le marché de l’art et l’histoire des musées, savent qu’un objet d’art conservé en France a infiniment plus de chance d’entrer dans un musée français que celui qui en est sorti.
– Catherine Génisson : « Certes, les caves du Louvre sont pleines, c’est bien pour cela que l’on a créé le Louvre Lens et le Louvre Abu Dhabi… » Plusieurs députés ont, dans ce débat, repris une nouvelle fois l’argument des réserves du Louvre pleines à craquer de chefs-d’œuvre. Nous avons plusieurs fois démontré ici-même que cela était faux, et tous ceux qui connaissent un peu les collections du Louvre le savent [3]. Il est effrayant de constater une nouvelle fois que nombre d’élus ignorent en fait tout ou presque des sujets dont ils parlent et sur lesquels ils légifèrent.
– Jean-Pierre Brard (encore et toujours) : « Monsieur Soisson, je connais une grande artiste qui vous est chère. Si vous achetiez demain l’une de ses œuvres, cette dernière ne serait pas taxée car, Dieu merci ! son auteur est de ce monde. » L’amendement n° 358 rectificatif prévoyait en effet que seraient exonérés les possesseurs d’objets d’art « dont le créateur est vivant au 1er janvier de l’année d’imposition ». Là encore, on peut citer le professeur Thuillier, repris également par le rapport de 1999 : « On se frotte les yeux. Le collectionneur devra-t-il s’enquérir, avant d’acheter une œuvre, de la date de naissance de l’artiste, et demander communication de son bulletin de santé ? Devra-t-il, pour n’être pas accusé de fraude, vérifier s’il n’est pas mort dans l’année ? Lui faudra-t-il, sous peine de voir ses impôts augmenter, revendre ses tableaux le jour même du décès de l’artiste ? Et verra-t-on dans la semaine suivante déferler à Drouot la moitié des œuvres du malheureux disparu - et du coup s’effondrer sa cote ? ».
Nous avons suffisamment, sur La Tribune de l’Art, dénoncé les innombrables attaques de ce gouvernement contre le patrimoine historique pour ne pas, pour une fois, saluer la position sans ambiguïté prise par le ministre de la Culture, le ministère du Budget, le Premier Ministre et même le président de la République, qui ont combattu avec force cette mesure.
Un nouveau risque existe, cependant. Les mêmes députés qui viennent d’échouer dans leur tentative veulent revenir dans les jours qui viennent en tentant de faire quadrupler la taxe actuellement appliquée lors de la mutation des œuvres d’art. La mesure serait également un coup dur porté au marché de l’art et donc, comme nous ne cessons de le répéter, au patrimoine et aux musées. Là encore, François Baroin a apporté la réponse nécessaire : « La taxe de 5 % sur les œuvres d’art en question n’affecte pas la plus-value mais la valeur du bien au moment de la cession, ce qui n’a rien à voir et permet de constater qu’il s’agit d’un prélèvement sage et responsable ».
On conclura cet article en citant (on l’espère une dernière fois sur ce site) Jean-Pierre Brard. Ce député a en effet affirmé qu’il reconnaissait dans l’intervention du ministre, qui expliquait les conséquences dramatiques d’une taxation des œuvres d’art, un texte écrit par Françoise Cachin et lu par le ministre d’alors, Christian Pierret, lors d’un débat en 2000 à l’Assemblée Nationale portant sur le même sujet. Et ce Monsieur Brard a osé dire qu’ainsi c’étaient « les lobbies qui avaient agi et qui s’exprimaient par la voix du ministre ». Cette sortie est tout simplement indigne. Françoise Cachin, directrice des musées de France, s’exprimait en tant que fonctionnaire servant l’intérêt du patrimoine national, non d’un quelconque lobby. Et l’opposition des conservateurs à une telle mesure est bien la preuve que les musées en seront les premières victimes.