« Un musée est une institution permanente sans but lucratif au service de la société et de son développement ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d’études, d’éducation et de délectation. »
Simple, claire, et correspondant à la réalité. Voilà ce qu’est actuellement la définition d’un musée par l’ICOM, organisation non gouvernementale dont l’objectif principal est « d’établir des normes professionnelles et éthiques pour les activités des musées ». Le Conseil International des Musées (International Council of Museums) « formule des recommandations sur des questions liées au patrimoine culturel, promeut le renforcement des capacités professionnelles et fait progresser la connaissance dans le domaine » et il « est le porte-parole des professionnels des musées sur la scène internationale et sensibilise le grand public à la culture par le biais de réseaux mondiaux et de programmes de coopération ».
Cette définition nous semble parfaite. Mais, comme le dit sans rire Jette Sandahl, présidente du comité permanent de l’ICOM : « elle ne parle pas le langage du XXIe siècle » ! Celle-ci ajoute, de manière à ce qu’il n’y ait plus aucun doute sur l’origine de l’affaire, que « la définition du musée doit donc être historicisée, contextualisée, dénaturalisée et décolonialisée ».
Voilà la nouvelle définition du musée tel que cette dame et quelques autres à l’ICOM voudraient imposer et inclure dans les statuts de l’organisation par un vote lors d’une assemblée générale extraordinaire qui aura lieu à Kyoto le 7 septembre 2019. Nous avons été nombreux à croire à une plaisanterie, mais il n’en est hélas rien : « Les musées sont des lieux de démocratisation inclusifs et polyphoniques, dédiés au dialogue critique sur les passés et les futurs. Reconnaissant et abordant les conflits et les défis du présent, ils sont les dépositaires d’artefacts et de spécimens pour la société. Ils sauvegardent des mémoires diverses pour les générations futures et garantissent l’égalité des droits et l’égalité d’accès au patrimoine pour tous les peuples.
Les musées n’ont pas de but lucratif. Ils sont participatifs et transparents, et travaillent en collaboration active avec et pour diverses communautés afin de collecter, préserver, étudier, interpréter, exposer, et améliorer les compréhensions du monde, dans le but de contribuer à la dignité humaine et à la justice sociale, à l’égalité mondiale et au bien-être planétaire. »
Est-il vraiment nécessaire d’analyser un tel verbiage qui regroupe tout ce qu’une certaine intelligentsia pseudo progressiste nous sert à longueur de temps ? Rien ne nous est épargné. Ni les mots « inclusifs » et « participatifs » - ou même quelques nouveaux mots qu’on voit déjà promis à un brillant avenir, comme des lieux « polyphoniques » - ni les bons sentiments : « dignité humaine », « justice sociale », « égalité mondiale », et même « bien-être planétaire » ! On croirait presque un discours de Miss France, et on s’étonne que les musées ne soient pas dédiés aussi à la paix dans le monde… Il n’y a plus d’acquisitions, il y a une « collecte », qui n’a pas le même sens. On collecte des spécimens (le terme est d’ailleurs employés dans la nouvelle définition) alors qu’on collectionne des œuvres. Ce dernier terme, dont « patrimoine matériel » consistait un assez bon équivalent dans l’ancienne définition n’est évidemment pas utilisé. Il n’y a plus, avec des « spécimens », que des « artefacts ». Il est extraordinaire d’apprendre que les musées sont dédiés au « dialogue critique sur les passés et les futurs ». Il va donc falloir, si l’on comprend bien, faire « dialoguer » - là encore un terme que nos nouveaux penseurs adorent, on fait « dialoguer » tout avec tout - les artefacts et les spécimens du passé avec ceux de l’avenir, ce qui va impliquer une nouvelle discipline pour le concours des conservateurs : la voyance. Les musées sont « participatifs », on l’a déjà vu mais ils doivent aussi être « transparents » sans que ce terme peu précis soit jamais défini. On s’interroge aussi sur « participatif ». Les visiteurs seront-ils amenés à compléter les tableaux ? Qui sont ces « diverses communautés » avec qui les musées doivent « travailler en collaboration active » ? On aurait aimé plus de précision.
Il semble que cette nouvelle définition vienne de l’étranger, même si certains en France lui ont bien préparé le terrain. Qu’on se rappelle le rapport sur le Musée du XXIe siècle (voir nos articles) commandé par le ministère de la Culture. On est bien, avec ce texte de l’ICOM, dans la même idéologie.
Heureusement, le comité national d’ICOM France a réagi très rapidement à l’annonce de cette nouvelle définition (voir ici) en s’en étonnant, et en rappelant que le rapport préparatoire à cette décision avait des « conclusions mettant en cause de manière idéologique l’histoire et la conception actuelle des musées européens ». Il constate que « La définition proposée (dans la version française) s’éloigne singulièrement de cette position par sa tonalité politique et elle met au second plan certains termes relatifs aux missions essentielles qui caractérisent toujours les métiers des musées. » Remarquons que la version anglaise est exactement identique.
Le comité français va donc demander à ce que le vote de ce projet soit « reporté à une assemblée générale convoquée dans des délais compatibles avec un travail de réflexion dans les pays membres et les comités internationaux. »
On voit donc se profiler un véritable bras de fer entre certains membres de l’ICOM et l’ICOM France dont nous ne savons pas exactement aujourd’hui quel est le rapport de force. Souhaitons que ce dernier et bien au delà tous les conservateurs et professionnels de musées français fassent entendre bien haut leur voix pour refuser cette définition orwellienne. L’ICOM est, comme on le lit sur la page d’accueil de son site, « la seule organisation internationale dans le domaine des musées ». Son importance est telle qu’on ne peut le laisser aux mains d’apprentis sorciers.