Imaginez que la colonnade de l’Assemblée nationale se trouve dans un site patrimonial remarquable soumis à un plan de sauvegarde et de mise en valeur.
Imaginez que la colonnade de l’Assemblée nationale se trouve dans un site du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Imaginez que la colonnade de l’Assemblée nationale se trouve dans un site inscrit.
Imaginez que la colonnade de l’Assemblée nationale soit en co-visibilité avec des monuments historiques protégés.
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- 1. Façade de l’Assemblée nationale prise sous le même angle que
le visuel diffusé par l’Assemblée nationale (ill .2)
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Vous vous demanderiez pourquoi la colonnade de l’Assemblée nationale n’est pas classée monument historique. Et vous auriez raison car celle-ci, construite en 1800 par l’architecte Bernard Poyet pour répondre à la façade de la Madeleine, est évidemment un monument historique de la plus grande importance. Mais cela ne change pas grand-chose à sa protection et à celle des ses abords car le règlement du PSMV s’applique pleinement à elle et à son entourage.
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- 2. Visuel diffusé par l’Assemblée nationale montrant le
nouveau bâtiment construit à droite de la colonnade
© Moatti & Rivière - Voir l´image dans sa page
Imaginez enfin que l’Assemblée nationale, présidée par Yaël Braun-Pivet, veuille remplacer le bâtiment d’accueil qui se trouve à sa droite, édifice sans grand intérêt architectural mais qui sait justement se faire oublier en se fondant dans le paysage.
Imaginez qu’elle ait lancé un concours d’architecture en juillet 2023 et que le lauréat (l’agence Moatti & Rivière) ait été désigné par les Questeurs le 25 juin 2024 sans que rien de cela ne soit jamais mis en ligne sur son site.
Imaginez que l’unique mention de ce projet par l’Assemblée nationale ait été publiée sur le site de sa présidence il y a seulement cinq jours.
Imaginez que la nouvelle construction soit prévue un étage plus haut avec un restaurant panoramique derrière une façade en verre et acier, au dessin pas très éloigné, comme le remarque justement Xavier de Jarcy dans Télérama, de la façade de la nouvelle Samaritaine.
Vous penseriez qu’il s’agit d’une infox, que jamais les députés (vous savez, ceux qui votent les lois, notamment le code du patrimoine censé protéger les monuments historiques, les sites sauvegardés, les sites patrimoine mondial de l’UNESCO et donc la colonnade de l’Assemblée nationale) ne pourraient avoir une idée si folle et si scandaleuse.
Et même, en voyant le visuel qu’elle a diffusé, vous penseriez qu’il s’agit d’une image générée par une intelligence artificielle, d’un « deep fake » comme on dit aujourd’hui, faute d’avoir trouvé encore un équivalent français (un « faux profond » ?). C’est ce que certains ont cru sur les réseaux sociaux lorsque l’image a commencé à être publiée.
Imaginez maintenant que l’Assemblée nationale n’ait jamais communiqué officiellement au ministère de la Culture son projet, ni les plans et visuels qui vont avec comme le ministère nous l’a confirmé.
Imaginez que l’Assemblée nationale nous dise que « l’architecte des bâtiments de France (ABF) compétent […] a été consulté à chaque étape du projet ».
Imaginez que le choix effectué n’ait jamais été communiqué à la presse [1] .
Imaginez que les associations de protection du patrimoine ne découvrent ce projet qu’aujourd’hui.
On vous traiterait de fou, d’affabulateur.
Pourtant, tout cela est vrai, même si un point reste indéterminé à ce stade : qui nous ment ? L’Assemblée nationale qui dit que l’ABF a été consulté à chaque étape du projet, ou la DRAC Île-de-France qui dit qu’elle ne l’a découvert qu’hier.
Si l’ABF a été informé et a donc donné (par avance) son accord, nous pourrions ajouter : imaginez qu’un ABF donne un accord à un projet pareil dans un secteur sauvegardé et patrimoine mondial, et peut-être sans prévenir sa hiérarchie ?
Tout est vrai donc, dans cette nouvelle affaire.
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- 3. Installation de Laurent Perbos devant la colonnade de l’Assemblée nationale en avril 2024
Photo : Assemblée nationale - Voir l´image dans sa page
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- 4. Escalier de la colonnade de l’Assemblée nationale, le 24 juin 2025, maculée de couleurs diverses
(œuvre d’Elsa Tomkowiak)
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Imaginez aussi, pour finir, que l’Assemblée nationale, sa présidente et ses questeurs n’aient aucun goût, et aucun respect pour le monument historique qu’ils occupent. Cela aussi est vrai comme en témoignent la manière dont cette colonnade, pourtant récemment restaurée, a été traitée en 2024 (ill. 3) et en 2025 (ill. 4).
À quel moment ceux qui nous gouvernent, le pouvoir législatif comme l’exécutif, chargés de faire respecter la loi, commenceront-ils à mettre cela en pratique ?